Recevoir la newsletter

Le travail en réseau : passer du concept à la pratique

Article réservé aux abonnés

Face à la complexité de la situation de certains jeunes, les travailleurs sociaux misent de plus en plus sur le fonctionnement en réseau et divers partenariats prennent forme çà et là. Objectif : renforcer la cohérence des prises en charge. Pour travailler avec d'autres, les professionnels doivent toutefois accepter de dépasser leurs propres logiques et pratiques. Sans pour autant perdre leur identité.

« Tout comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, aujourd'hui, sur le terrain, nous faisons du partenariat sans le savoir. Devant les difficultés globales des jeunes, les professionnels ont en effet naturellement cherché à développer des synergies pour faire avancer les choses. Les assistantes sociales scolaires, dont je suis, collaborent par exemple étroitement avec leurs collègues de l'aide sociale à l'enfance [ASE], de la protection judiciaire de la jeunesse [PJJ], de la pédopsychiatrie... », assure Isabelle Baillon, du Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction pu-blique (SNUAS-FP-FSU). Cette évolution, l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) l'a, elle aussi, largement constatée. Dans son rapport Le travail social auprès des jeunes en difficulté dans leur environnement (1), elle souligne en effet que « le travail social est apparu très marqué par la notion de partenariat », lequel « se décline aux niveaux tant institutionnel qu'opérationnel », et que, « malgré des difficultés relationnelles pointant ici ou là [...], les professionnels travaillent au quotidien en réseau ». Sur le terrain toutefois, la démarche partenariale ne va pas toujours de soi.

Première difficulté à surmonter : comprendre et accepter la logique de l'autre. « Il ne peut y avoir de partenariat sans une certaine égalité dans la relation et sans que chacun se sente assuré de sa place. Le partenariat exige de partir du principe que l'on a à apprendre de l'autre et que de cela, chacun sortira gagnant », observe Patrick Cottin, administrateur de l'Association des instituts de rééducation. Sur la même lignée, Jérôme Dormoy, directeur de la maison de l'emploi de Nanterre, estime que l'approche partenariale « passe par une reconnaissance mutuelle. Si on n'est pas prêt à confronter ses logiques et ses modes de fonctionnement à ceux de l'autre activité, à comprendre les limites de chacun, on ne pourra rien poser. De plus, un partenariat, ça ne se décrète pas, ça se construit. » Il convient donc, après avoir identifié les partenaires utiles, d'apprendre à se connaître. Tel est même le point de départ choisi, à Châtillon (Hauts-de-Seine), par l'association La Pépi-nière, qui, répondant à une commande politique, s'est livrée à un travail poussé de construction de réseau afin de développer une mission de prévention spécialisée. « L'implantation de la logique de prévention spécialisée s'est faite par celle de partenariat. Nous avons commencé par rencontrer tous les acteurs concernés par la question des jeunes sur la commune et constaté certaines difficultés des uns et des autres à collaborer. Cependant, au-delà même de la commande politique, il y avait une réelle volonté de travailler ensemble, et cela s'est traduit par la création d'une coordination prévention-jeunesse », témoigne Christine Barres, chef de service éducatif. Dans un premier temps, il s'est agi « d'échanger sur les pratiques et d'améliorer la connaissance des services » ; dans un second, « a émergé l'idée de monter des projets collectifs, en particulier une exposition, permettant de mieux se connaître dans l'action ».

A l'inverse, il arrive souvent que le partenariat se heurte au manque de support des institutions. Ce que déplore l'IGAS : « Dans la pratique, le partenariat est apparu très dépendant de la personnalité des intervenants de terrain, faute d'un véritable «portage politique et hiérarchique» de l'intervention sociale auprès des jeunes en difficulté. » Maints partenariats sont en effet « fondés sur des connaissances personnelles, ce qui a vite des limites. Il faut s'appuyer dessus mais ça ne suffit pas. Il faut formaliser les partenariats », assure Yves Rousset, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales des Côtes-d'Armor. En témoigne d'ailleurs Salem Kessar, depuis un an et demi directeur départemental adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse de l'Essonne, qui, dès son arrivée, a constaté la difficulté à coopérer de la PJJ et de l'ASE, enfermées dans une méconnaissance mutuelle. La mobilité des professionnels en est une cause, tout comme l'absence de formalisation. « Les anciens éducateurs travaillent avec le réseau de partenaires qu'ils se sont constitué et cela fonctionne ; mais la rotation des éducateurs est telle que cette pratique ne se transmet pas », analyse-t-il. Le problème du turn-over touche également les inspecteurs de l'ASE et les juges des enfants. « Au final, on n'a plus de cadre. Pour pérenniser le travail de partenariat, il faut sortir de l'interpersonnel. Si on n'améliore pas les relations entre institutions, si on n'articule pas leur action sur le terrain, l'idée même du parcours des jeunes devient vaine et la prise en charge est condamnée à ne se faire que dans l'urgence. » Afin d'y remédier, des réunions formelles et sectorielles entre inspecteurs de l'ASE, professionnels des circonscriptions d'action sociale, éducateurs de la PJJ et juges des enfants sont organisées. « Nous installons cela au niveau politique mais dans l'optique que cela se pérennise sur les territoires et que des réseaux se nouent sur les secteurs », explique Salem Kessar. Ces réunions seront ensuite ouvertes aux associations habilitées, voire à l'intersecteur ou à l'Education nationale.

Le cloisonnement des institutions, l'existence de barrières d'ordre administratif ou géographique, entravent aussi la mise en oeuvre de partenariats efficaces et, de fait, nuisent à la continuité du suivi du jeune. L'IGAS décrit ainsi « la difficulté pour certaines institutions de prolonger leur action «au-delà de leurs murs» » et cite, pour exemple, le cas des sortants de prison, « laissés à eux-mêmes, faute que soit organisé un véritable relais entre les services sociaux du milieu carcéral et les missions locales ou les services sociaux généralistes ». Une problématique sur laquelle s'est penchée la mission locale de Nanterre. Avec le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de la maison d'arrêt sise sur la ville et la PJJ, elle a réfléchi au moyen d'utiliser au mieux la période d'incarcération pour élaborer un projet professionnel avec le jeune. Objectif : préparer réellement sa sortie, voire favoriser un aménagement de peine. « Nous avons mis plus d'un an et demi à établir une convention, par laquelle chacun des partenaires a accepté de remettre en cause une partie de ses responsabilités et de modifier son organisation de travail », souligne Jérôme Dormoy. Le référent de la mission locale (qui fait partie de la maison de l'emploi) peut ainsi désormais s'entretenir avec le jeune en prison dans les mêmes conditions que le SPIP. Au besoin, ce dernier s'efface même pour permettre au référent de mener un travail spécifique, lui laissant alors le soin d'assurer le lien. Le référent peut bénéficier de certains moyens du SPIP comme de dispositifs (ateliers, structures d'insertion...) de la PJJ. De son côté, la mission locale a accepté d'élargir son territoire au-delà de Nanterre et d'intervenir sur l'ensemble des Hauts-de-Seine. Une procédure a ainsi été validée avec les autres missions locales. Le partenariat devrait peu à peu s'étendre à d'autres acteurs. En outre, souligne Jérôme Dormoy, « le SPIP nous demande désormais d'intervenir pour tous les jeunes de la maison d'arrêt, ce qui signifie qu'il faut coopérer avec des missions locales hors du département ». Autre difficulté : certains jeunes ont l'interdiction de rester dans les Hauts-de-Seine. « Il nous faut donc trouver des réponses, des aides financières, des hébergements, sur des départements où nous n'avons pas de relais. Ce n'est pas simple. D'autant que le SPIP comme la PJJ éprouvent aussi des difficultés à étendre leur prise en charge hors de leur territoire. »

Sur le terrain, il y a en fait partenariat... et partenariat. En effet, constate l'IGAS, « les réseaux mis en oeuvre fonctionnent essentiellement dans une logique de donneur d'ordre [...] conduisant les travailleurs sociaux «classiques» à privilégier leur fonction d'orientation dans l'ensemble de leurs missions, malgré l'émergence d'autres formes de prise en charge ». Parfois, cependant, il peut s'agir d'échanger des regards différents. C'est par exemple ce qu'a fait l'ASE de l'Essonne qui a souhaité analyser avec les acteurs de la pédopsychiatrie, et via un opérateur extérieur, le parcours d'enfants, longtemps suivis mais sortis du dispositif, pour en tirer d'éventuels enseignements. Cela a permis de « mieux comprendre les logiques d'approche des problématiques des jeunes et d'intervention de chaque institution, explique Brigitte Guzzi, chef du service de l'ASE. Cela nous a aussi démontré que nous devions davantage tenir compte de l'histoire du sujet, mieux rechercher à analyser les ruptures de parcours et travailler sur nos représentations. »

Dans d'autres cas, il s'agit de travailler sur un projet collectif ponctuel ; dans d'autres encore, le rapprochement des partenaires aboutit à la création d'outils pérennes communs apportant des réponses innovantes aux situations complexes de certains jeunes, grâce à la pluridisciplinarité mise en oeuvre. C'est le cas d'un groupe de travail mandaté par les services de l'Etat (DDASS, PJJ, Education nationale) et du conseil général d'Eure-et-Loir. Ce collectif, relate l'IGAS, a mis au point « un projet intéressant de coopération, qui permet une prise en charge multidisciplinaire et conjuguée des jeunes - et non la prise en charge séquentielle par chacune des institutions concernées - dans une structure à triple habilitation (santé mentale, PJJ et ASE) ». Autre illustration : le foyer La Maison, de la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence des Yvelines, qui, après avoir monté divers partenariats, notamment fondés sur des échanges de compétences (convention autorisant la présence mensuelle d'une éducatrice à la mission locale, par exemple), participe aujourd'hui au développement d'une formule novatrice. « Le partenariat, c'est un échange réciproque mais ce peut aussi être de l'intelligence collective, analyse Christine Vigean, directrice du foyer. Ainsi, dans le cadre d'un appel d'offres de la direction des affaires sociales du département des Yvelines sur les jeunes en grande difficulté, la Sauvegarde propose une réponse associative. Chaque établissement et service a mis dans le pot commun ce qu'il sait faire : un temps d'hébergement, de l'école interne, de l'investigation... Le jeune entrera via l'association, et non via l'établissement, et y effectuera un parcours tout en bénéficiant d'un référent unique. L'objectif est d'éviter les ruptures. Cette mise en commun de compétences permet la création d'une réponse originale, qui n'est pas juste la somme des compétences. En cela, le partenariat fait changer la logique de chaque institution, l'obligeant à sortir un peu de son champ. »

Reste que la mise en oeuvre du partenariat se heurte à l'insuffisance des moyens de certains services. « Que faire, par exemple, face au manque de lits de la pédopsychiatrie ? Comment travailler ensemble ? », interroge Isabelle Baillon. Mais aussi d'alerter : « Les partenariats ne doivent pas non plus se construire pour servir à compenser des faiblesses structurelles de moyens. »

LA Question du secret professionnel

Le partenariat reste encore très « institutionnel » et concerne surtout le partage de réflexions stratégiques, relève l'inspection générale des affaires sociales, dans son rapport sur Le travail social auprès des jeunes en difficulté. En revanche, il reste exceptionnel s'agissant du dialogue sur la gestion de dossiers individuels car il se heurte aux difficultés du partage de l'information entre tous les acteurs (travailleurs sociaux, enseignants, animateurs, médiateurs). L'inspection pointe ainsi que, faute de pouvoir l'organiser, « les interventions sur les jeunes en très grande difficulté sont peu coordonnées », et estime que « la notion de secret professionnel constitue un obstacle à la cohérence de l'attitude des adultes face au jeune ». De fait, elle appelle avec insistance à « trouver un modus vivendi permettant le partage de l'information tout en préservant la confidentialité » et recommande de créer un protocole-type, en vue d'autoriser « l'élaboration de diagnostics pluridisciplinaires partagés sur les situations individuelles de chaque jeune ». Elle observe néanmoins que « ces informations sont certainement à différencier selon leur caractère plus ou moins intime et les professionnels concernés ». C'est bien d'ailleurs cette question de l'étendue et des modalités du partage de l'information qui suscite les nombreuses critiques autour du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance (2) actuellement examiné au Parlement. Lequel, en élargissant cet échange au maire, s'éloigne de la conception plus restrictive du projet de loi sur la protection de l'enfance, dont l'examen est toujours en suspens (3).

Notes

(1) Rapport thématique préparatoire au rapport sur « l'intervention sociale, un travail de proximité », qui avait donné lieu à un colloque organisé le 23 mars par l'IGAS - Voir aussi ASH n° 2441 du 3-02-06, p. 41 - Consultable www.ladocumentationfrancaise.fr.

(2) Voir ASH n° 2468 du 8-9-06, p. 20.

(3) Voir ASH n° 2454 du 5-05-06, p. 18.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur