Faut-il être descendant de migrants et diplômé de l'enseignement supérieur pour intervenir dans les dispositifs de la politique de la ville ? C'est en tout cas cette question qu'explore la sociologue Marnia Belhadj dans l'enquête qu'elle a conduite dans les quartiers nord de deux communes de la région parisienne auprès d'une trentaine de personnes travaillant dans des structures d'aide à l'insertion professionnelle : conseillers à l'insertion professionnelle, chargés d'accueil, chefs de projet, responsables de régie de quartier, responsables de mission locale.
Tout comme le travail social a constitué une opportunité d'ascension pour nombre d'enfants des milieux populaires des années 70, les emplois de la politique de la ville offrent une voie d'accès à l'emploi aux enfants de migrants. Les personnes enquêtées, d'origine algérienne ou marocaine, dont les parents sont arrivés en France à la fin des années 50, sont nées ou ont grandi dans les quartiers du Val-Fourré ou de La Courneuve. Elles ont trouvé, dans les nouveaux emplois de la politique de la ville, le moyen de concilier leur formation universitaire et leurs aspirations professionnelles. En effet, si elles sont toutes diplômées de l'enseignement supérieur, leur histoire familiale, sociale et personnelle les amène à s'orienter vers des métiers dans lesquels elles ont le sentiment d'avoir un rôle utile à jouer. D'autant qu'elles ont aussi souvent une expérience militante ou associative (centrée sur la citoyenneté et l'animation de quartier).
Mais l'étude ne cache pas non plus qu'il peut s'agir d'un choix par défaut. Ainsi, l'une des personnes interviewées, responsable de projet, témoigne : « Que l'on soit ou non formés pour ça, on nous propose presque toujours des emplois sociaux. Moi, j'ai une licence d'administration économique et sociale, a priori je ne suis pas formée pour travailler dans une permanence d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) et quand je me suis présentée à l'ANPE, on m'a dit qu'une permanence allait être créée dans tel quartier et qu'ils avaient besoin d'un responsable [...] ».
Il y aurait ainsi, à l'égard de ces populations « une présomption de compétences » liée à leur ancrage territorial et social, rendant plus aisé leur accès aux postes des dispositifs de la politique de la ville. Les recruteurs - des travailleurs sociaux diplômés - confirment que la prise en compte de la diversité culturelle dans ces quartiers exigent certaines compétences et reconnaissent qu'ils sont souvent amenés, dans l'urgence, à embaucher des personnes immédiatement opérationnelles et ayant une bonne connaissance des publics. La proximité culturelle de ces descendants de migrants avec les populations des quartiers permet, par exemple, d'éviter de possibles débordements ou de résoudre des conflits plus aisément, expliquent-ils. De même, leur connaissance des milieux et les rapports souvent fraternels qu'ils entretiennent avec ces jeunes les posent en conciliateurs ou en médiateurs.
Néanmoins, pour la sociologue, privilégier les descendants de migrants pour les emplois de la politique de la ville produit une catégorisation, voire une éthnicisation de ces emplois. D'ailleurs, si la proximité, réelle ou supposée, avec ces publics joue un rôle important, la reconnaissance de ce type de compétences pose parfois un problème éthique à certains responsables de recrutement. Lesquels estiment qu'une trop forte proximité est susceptible de créer des liens trop intimes et risque d'entraîner une confusion des rôles... au détriment de la distance nécessaire à toute intervention sociale.
(1) « Quelle professionnalisation dans le travail social pour les diplômés descendants de migrants ? » - Marnia Belhadj - Revue française de sciences sociales - Formation et emploi n ° 94 - Avril-juin 2006. - CEREQ : 10, place de La Joliette - BP 21321 - 13567 Marseille cedex 02 - Tél. 04 91 13 28 28 -14,30 € .