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« Le conseil est devenu un interlocuteur obligé des pouvoirs publics »

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Reconduit à la présidence du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) pour un nouveau mandat de trois ans, Jean-Marie Schléret réunit cette instance le 6 septembre. Avec la volonté d'élargir encore sa participation à l'élaboration des politiques publiques.

Actualités sociales hebdomadaires : D'abord un petit retour en arrière. A quel titre avez-vous été désigné comme président du CNCPH en 2002 ? En tant que personne directement concernée par la question ? Ou est-ce votre étiquette politique qui a prévalu ?

Jean-Marie Schléret : La tradition, mais non la règle, voulait qu'un parlementaire assure cette mission. Pour l'anecdote, François Hollande et Roselyne Bachelot figurent parmi mes prédécesseurs... Il y avait, semble-t-il, pas mal de candidats. J'étais ancien député, mais je pense que c'est avant tout mon expérience de professionnel du social et de parent d'un enfant handicapé (1) qui a intéressé Marie-Thérèse Boisseau, alors secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, et son directeur de cabinet, Raymond Chabrol. J'avais eu l'occasion de les rencontrer, chacun de leur côté, dans l'exercice de mes activités. Ma pratique d'homme de dialogue à l'Observatoire national de la sécurité - et bientôt de l'accessibilité - des établissements scolaires, sous des ministres de droite comme de gauche, a dû aussi compter.

Je suis, certes, adhérent du Parti radical valoisien, aujourd'hui rattaché à l'UMP, mais je ne me considère pas comme un militant politique. Je suis un militant social. Et c'est bien à ma fille, Marianne, que j'ai pensé quand on m'a sollicité pour présider le CNCPH. Je ne savais pas à quoi je m'engageais exactement, mais je ne pouvais que dire oui, en espérant pouvoir faire oeuvre utile.

Pourtant, vous n'avez jamais milité dans une association active dans le domaine du handicap.

- Non, j'ai été simple adhérent d'une association de parents d'enfants trisomiques, mais je n'y ai pas pris de responsabilités. D'abord parce que, lorsque ma fille est née, j'étais déjà président de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public. Et puis, surtout à l'époque, le monde du handicap me semblait très divisé, avec beaucoup d'associations très spécialisées. Celles-ci jouent certes un rôle utile, mais qui ne suffit pas. Pour moi, le combat principal était celui de l'intégration dans la société ordinaire et il se menait d'abord dans les organisations ordinaires. C'est aux parents d'être le premier facteur d'intégration.

N'est-il pas paradoxal que la composition d'un organisme comme le CNCPH, où la société civile est appelée à s'exprimer, et le choix de son président relèvent d'une décision ministérielle ?

- Tous les organismes consultatifs ne fonctionnent-ils pas comme cela ? Comment faire autrement ? En tout cas, à l'usage, je trouve opportun que, contrairement au vice-président, le président ne soit pas directement issu du collège des associations, mais soit plutôt une « personnalité qualifiée ». Il n'est pas l'otage de ses pairs. Cela facilite un fonctionnement serein, à condition, bien sûr, qu'il soit accepté par toutes les parties. Pour moi, ce n'était pas gagné d'avance, il a fallu du temps. Deux personnes ont beaucoup aidé à mon intégration : le vice-président d'alors, Jean-Pierre Gantet, un sage respecté du milieu associatif, et Patrick Gohet, le délégué interministériel aux personnes handicapées, efficace homme de liaison. Plus généralement, il me semble que le thème du handicap, tellement grave, est de nature à faciliter le dépassement des clivages politiciens.

Cette fois, en tout cas, vous êtes reconduit dans la fonction sur la base du bilan de votre premier mandat...

- Durant cette période stratégique de révision de la loi de 1975, avec trois ministres différents, le conseil a rempli la mission que le législateur lui a confiée : assurer « la participation des personnes handicapées à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques les concernant ». Il est devenu un interlocuteur obligé des pouvoirs publics. C'est la fin des strapontins. Dès 2002, nous avons rompu avec l'habitude, fréquente dans ce genre d'instance, de n'être qu'une chambre d'enregistrement. Nous n'avons pas voulu nous contenter des rapports produits par d'autres. Nous avons d'emblée souhaité mettre tout le monde au travail, de manière concrète. Nous avons aussi fait en sorte que tous les points de vue puissent se faire entendre, même si l'on sait que certains seront toujours contre !

Le rythme de travail s'est intensifié, surtout la dernière année. Le conseil est tenu à deux réunions par an, la seule assemblée plénière a été convoquée treize fois en 2005. Les six commissions se sont réunies aussi souvent que nécessaire, certaines deux fois par mois. Le bilan du conseil est aussi celui de la détermination des associations, de leur militantisme pour assurer le travail de base des commissions. Sans elles, on ne parlerait pas du CNCPH.

Vous mettez au bilan du conseil de nombreuses « avancées ». Quelles sont, à vos yeux, les principales ?

- J'en citerai deux : la volonté de participation à la vie sociale et de citoyenneté qui se reflète jusque dans le titre de la loi, et la prise en compte du projet de vie de la personne elle-même. Les associations ont mené là-dessus un combat formidable. C'est la fin de l'époque où les commissions pouvaient décider à la place de la personne, souvent sans l'entendre. C'est elle le pilote de son propre navire. Le changement est fondamental. Il reste maintenant à le faire entrer dans les faits, sur le terrain.

L'une des nouveautés de la loi est l'obligation d'inscrire les enfants handicapés à l'école de leur quartier. C'est une avancée pour beaucoup, un pari risqué pour d'autres. Qu'en pensez-vous, vous qui êtes à la fois - et c'est rare - enseignant et éducateur spécialisé, professionnel et parent ?

- Ma première vocation, c'était d'être enseignant. Mais j'ai voulu devenir éducateur spécialisé quand je me suis rendu compte, très vite, que l'école était excluante pour les jeunes en difficulté sociale. L'Education nationale n'a jamais voulu faire place aux éducateurs pour s'attaquer à ce problème. Il ne faut pas renouveler la même erreur : le monde enseignant doit se laisser irriguer par le monde médico-social, les deux doivent absolument travailler ensemble, avec le souci premier de l'intérêt de l'enfant. Si on y parvient, quelle belle réussite ce sera pour le modèle républicain !

Quels sont vos projets au CNCPH pour les trois prochaines années ?

- Il nous faut d'abord faire vivre la loi. Cela se jouera notamment dans les maisons départementales des personnes handicapées et les commissions des droits et de l'autonomie. Elles doivent prendre en compte le projet de vie des personnes et pratiquer une évaluation individualisée de la situation de handicap : par rapport aux anciennes commissions, c'est un véritable changement de culture qui leur est demandé. Les conseils départementaux consultatifs des personnes handicapées devront jouer un rôle de vigie à cet égard. Actuellement, ces instances ont une existence très inégale selon les territoires et nous ne savons pas très bien ce qu'elles produisent. Il faudra améliorer les échanges. Je n'exclus pas que nous allions sur le terrain.

Autre priorité : obtenir les évolutions législatives et réglementaires qui restent nécessaires. Par exemple, en matière d'allocation aux adultes handicapés : elle est toujours trop faible et les bénéficiaires n'ont guère vu d'amélioration concrète dans ce domaine. Il reste aussi à travailler sur les établissements et services d'aide par le travail. Nous attendons impatiemment la réforme des tutelles...

Enfin, le CNCPH est chargé d'une mission d'observation et d'évaluation de la situation : c'est un chantier qui reste à lancer.

Revenons sur la composition du CNCPH : on a l'impression qu'il exprime le point de vue des associations, des usagers. Or il comporte aussi des représentants des ministères, des élus, des financeurs, des partenaires sociaux... Comment cela se passe-t-il ?

- Que les ministères soient représentés au conseil est très positif. Devant la qualité des débats, la haute administration a compris qu'elle n'était plus seule à rédiger les textes. Ses représentants sont très présents dans les travaux des commissions, ils y touchent du doigt les difficultés concrètes. Parfois des textes rédigés avec la meilleure volonté peuvent produire des résultats contraires. Par exemple, une réglementation trop tatillonne peut priver d'agrément des centres de vacances ordinaires qui pratiquaient déjà l'intégration... Les hauts fonctionnaires sont généralement à l'écoute et soucieux d'améliorer les textes. Pour eux, c'est mieux d'obtenir un avis favorable... De notre côté, nous avons toujours privilégié le dialogue, quitte à prolonger les discussions tant qu'il nous semblait possible d'obtenir des améliorations. Nous n'avons émis d'avis défavorable que lorsque subsistait un désaccord majeur.

Du côté des élus, les représentants des maires et de l'Union nationale des CCAS ont été très présents, l'Association des régions de France aussi, ces derniers temps. Pas ceux de l'Assemblée des départements de France, alors que les conseils généraux sont en première ligne pour concrétiser la réforme. Leur absence est l'une de nos faiblesses. Nous en avons une autre du côté des partenaires sociaux, car si la CGT, la CFDT et, dans une moindre mesure, FO participent activement à nos débats, le Medef ne vient plus. Or nous avons aussi besoin des employeurs pour progresser sur les problèmes d'emploi.

Est-il difficile de faire travailler ensemble des associations qui représentent des handicaps, des intérêts et des sensibilités très divers ?

- De fait, il y a les grandes associations et les petites, les représentantes des usagers et celles qui sont aussi gestionnaires d'établissements... Au CNCPH, toutes s'expriment : les grands barons mais aussi les porte-parole des traumatisés crâniens, des polyhandicapés, de l'alliance des maladies rares, des autistes... La multiplicité des associations dans certains domaines reste une difficulté. Ce n'est pas toujours le franc amour entre elles, il y a des chapelles, des conflits de pouvoir, comme partout. Mais pas de désaccord fondamental sur l'essentiel : l'approche de la personne handicapée comme actrice de son propre destin, l'idée que l'on ne peut plus décider à sa place. Une forme de symbiose s'opère au CNCPH où les associations font la preuve qu'elles peuvent s'entendre et s'atteler à un même combat d'intérêt général. A dire vrai, ce rapprochement avait déjà eu lieu au sein du Comité d'entente, qui porte bien son nom et qui a servi de creuset. La diversité est une richesse à partir du moment où on accepte de travailler ensemble. Les choses désagréables peuvent se dire et on arrive à les dépasser. La composition du conseil vient d'être élargie pour accueillir notamment les représentants des grands handicapés (2) et ceux des professionnels, et c'est une bonne chose.

Le CNCPH a dû longtemps fonctionner sans moyens. Où en êtes-vous ?

- Effectivement, pendant longtemps, nous n'avions ni boîte aux lettres, ni secrétariat. La direction générale de l'action sociale avait d'autres priorités. Notre rattachement, début 2005, à la délégation interministérielle aux personnes handicapées a représenté pour nous un grand progrès. Patrick Gohet fait le maximum pour que le comité puisse travailler efficacement. Mais il ne pourra pas éternellement y affecter une partie de ses moyens humains et financiers. Il faudrait qu'une ligne budgétaire supplémentaire soit créée pour assurer notre logistique. Et cela, d'autant plus que nous souhaitons désormais être saisis de tous les textes de portée générale qui ont une incidence pour les personnes handicapées.

Notes

(1) Voir le portrait de Jean-Marie Schléret dans ASH Magazine n° 16, p. 6, livré avec ce numéro.

(2) Entre notamment au conseil la Coordination handicap et autonomie - Voir aussi ASH n° 2466 du 25-08-06, p. 14.

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