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L'analyse des besoins sociaux, une valeur ajoutée pour l'action sociale ?

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Depuis 1995, les centres communaux d'action sociale doivent recourir à l'analyse des besoins sociaux de leur territoire. Bien peu pourtant réussissent à dépasser l'aspect bureaucratique de la démarche pour en faire un véritable outil de pilotage de l'action sociale intégrant les travailleurs sociaux.

Le chiffre est révélateur : selon une étude de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas) réalisée en 2002, à peine un tiers des CCAS remplissent leur obligation légale de recourir à l'analyse des besoins sociaux (ABS) de la population. Lancée par un décret du 6 mai 1995 (1), l'ABS représente pourtant sur le papier un puissant outil de pilotage de l'action sociale. Par sa finalité, tout d'abord, rappelle Marc Fourdrignier, sociologue et formateur, puisqu'elle vise à « engager une action sociale générale sur la base d'un recensement précis des besoins sociaux et d'une analyse de leur évolution ». Par sa logique ensuite, puisqu'elle fait du CCAS le coeur d'un système de remontée d'informations englobant les principaux partenaires sociaux du territoire. C'est à partir de la synthèse des données recueillies que l'établissement public déterminera sa politique globale ainsi que ses priorités spécifiques en faveur de certains publics (jeunes, personnes âgées, chômeurs de longue durée...). Il pourra aussi, en exerçant le même suivi, apprécier l'efficacité des actions qu'il conduit.

Plus de dix ans après la publication du décret, « on constate que les résistances restent vives, note le sociologue. Dans les conseils d'administration des CCAS, il n'existe pas forcément une grande conscience de cette obligation réglementaire et de sa nécessité. Chez certains élus, cela peut aller jusqu'à une hostilité au principe même de l'ABS. En réalité, leur crainte est de se retrouver engagés dans une réponse sans fin aux problèmes remontant du terrain avec derrière toute la représentation du gouffre financier qu'incarne le social. »

Résultat : lorsque le conseil d'administration du CCAS donne son feu vert, c'est souvent sur une définition purement statistique de l'ABS qui peine à laisser place à une adaptation du travail social. Dans un département particulièrement fortuné, comme celui des Hauts-de-Seine, composé pour l'essentiel d'importants CCAS, « tout au plus deux, voire trois d'entre eux, se sont engagés dans un véritable travail d'observation intégrant les travailleurs sociaux », témoigne Gaëlle Béchu, directrice de l'observatoire social du CCAS de Nanterre (2). « L'impact de la démarche sur la vie du CCAS », continuerait, selon elle, à faire reculer plus d'un postulant dès les premiers tours de table. De fait, lors du lancement de la première ABS réalisée à Nanterre, en 2003, l'installation d'outils de suivi des publics accueillis a dû s'accompagner d'un fort volet pédagogique tant les craintes étaient grandes dans les services de voir s'installer une machinerie bureaucratique. L'accent a alors été porté sur la nécessité de « dépasser la seule gestion des dispositifs » et de tendre vers une « vision globale » de l'action sociale, plus valorisante pour les travailleurs sociaux. Mais, reconnaît Gaëlle Béchu, « c'est un travail sur le long terme. Plus on pénètre dans le rassemblement et la discussion des indicateurs et plus on perturbe les logiques de conduite d'organisation, au sens de l'informatisation des services, des échanges avec les partenaires du CCAS, du recueil et de la fiabilisation des données par les agents. C'est un regard beaucoup plus technique et scientifique du travail social qui se développe. »

La diversité des stratégies déployées par les CCAS remplissant une ABS atteste à ce sujet d'un réel embarras. Souvent reléguée au niveau du bilan annuel confié à un agent sur son temps de travail, l'ABS peut, à d'autres endroits, être confiée à une société d'ingénierie externe, ou encore faire l'objet d'un partenariat entre un consultant extérieur et un groupe de travail interne au CCAS, voire, dans des cas plus ambitieux, entraîner la création d'un observatoire social piloté par un agent spécialisé, dont le profil d'informaticien, d'économiste ou de sociologue induit à son tour des orientations variables.

Auteur d'un guide méthodologique sur l'analyse des besoins sociaux (3), Marc Fourdrignier tient cependant à dépasser ce constat. « Derrière l'obligation réglementaire et la manière dont elle est réalisée, on note aujourd'hui un changement. Les directions des gros CCAS ont vu que la question de l'information était inséparable de celle de la mobilisation dans le temps et que si elles étaient en capacité d'impliquer les travailleurs sociaux, quelque chose devenait possible. »

C'est le cas du CCAS d'Angers (4), où Carolina Benito dirigeait le service d'action sociale du CCAS lorsqu'elle fut, en 2002, chargée de lancer la première ABS de la ville au sein d'un observatoire social nouvellement créé. Son parcours de terrain la conduisit à confier à un cabinet d'ingénierie sociale le volant technique de l'opération (infrastructure de renseignement, de traitement et d'exploitation des données) pour concentrer ses efforts sur l'implication des personnels. « L'ABS n'est pas une baguette magique : elle fait partie d'une stratégie globale d'adaptation du service public, affirme Carolina Benito. Et s'il n'y a pas à côté les outils du changement, si aucun dispositif de dialogue ou de communication interne ne l'accompagne, elle ne restera qu'un gadget destiné à faire des rapports. » D'où l'importance, selon elle, d'ancrer la démarche dans « des réflexes et un langage commun ». La première synthèse d'ABS, restituée en 2004 en séance publique du conseil municipal, a été réalisée par un groupe de travail composé de représentants des différents services du CCAS. Soutenus par un effort de formation, les 48 agents sociaux participent activement au processus d'enrichissement des bases de données. « Auparavant, 70 % des dossiers de demande d'aides étaient incomplètement renseignés. Aujourd'hui, chacun d'entre eux fait l'objet d'un traitement complet. Les motifs de refus d'octroi d'une aide constituent un exemple typique. Décider de les renseigner, c'est se mettre en position de les étudier. C'est ainsi que se sont révélés les besoins des travailleurs pauvres, qui jusqu'alors demeuraient invisibles statistiquement. »

Cependant, au bout de quatre années de ce fonctionnement, sa pérennité reste toujours un défi. « Si l'ABS n'est pas présentée comme une priorité, elle ne se fait pas car pour un travailleur social il y a toujours plus urgent à faire, l'analyse générant elle aussi une pression supplémentaire », regrette Carolina Benito, qui indique que le CCAS a dû se résoudre à fermer ses portes au public une heure et demi par semaine afin de permettre aux personnels de s'extraire de la gestion des dispositifs et d'échanger entre eux des informations. D'autre part, les retombées de l'ABS sont difficilement perceptibles au niveau des services car inséparables des politiques mises en oeuvre par les élus. « L'ABS permet de poser des questions mais pas forcément d'y répondre dans notre quotidien », souligne ainsi Dominique Basset, assistante sociale en charge du RMI, tout en revendiquant un nouveau regard sur l'accompagnement des publics précaires. « Pouvoir se focaliser sur un quartier grâce aux chiffres nous amène à prendre conscience de l'impact des dispositifs, à revisiter l'offre de service des intervenants locaux, là où on aurait peut-être manqué quelque chose. »

Credo volontariste

Conscient de ces difficultés, le CCAS de Besançon (5) s'est quant à lui engagé depuis 2002 dans une adaptation globale de ses services à l'observation sociale. Avec un credo très volontariste que résume Alain Ananos, directeur du pôle « Vie sociale et citoyenneté » de la ville de Besançon, un service regroupant les activités du CCAS et de la ville. « A travers l'ABS, le débat posé aujourd'hui aux travailleurs sociaux est celui de l'abandon de leur position de gestionnaires de dispositifs au profit d'autres pratiques intégrant une analyse de l'information qui, en agrégeant la série des cas individuels, permettra d'orienter les politiques publiques », explique-t-il.

Après une première ABS réalisée en 2003, le CCAS de Besançon a placé l'échange entre services au centre de son fonctionnement. Coaching personnalisé d'agents destiné à consolider leur capacité de communication, réunion inter-services dans lesquelles chaque dispositif peut se voir interrogé sans ménagement, décloisonnement des filières administratives et sociale du CCAS : rien n'est laissé au hasard pour parvenir à installer le « fonctionnement collectif organisé » prôné par le pôle « Vie sociale et citoyenneté. « Le but est d'inciter les personnels à mettre à distance leur pratique quotidienne afin qu'ils dégagent ce qui leur paraît important de faire remonter, puis l'organisent, le défendent, et qu'au final la décision politique puisse être préparée », explique Anne-Paule Roposte, responsable de la mission d'évaluation chargée de préparer l'ABS. Premiers effets de cette politique : « de nouveaux services à la population et un mode de travail tourné vers la coordination avec les autres acteurs de terrain », assure Anne-Paule Roposte. C'est par exemple sur la base d'un constat porté par des travailleurs sociaux que le problème des personnes en situation de souffrance psychique à leur domicile est parvenu aux élus bisontins. « Auparavant, ce phénomène serait resté inaperçu car échappant aux statistiques. »

Le point commun de ces stratégies ? Revendiquant le droit à l'expérimentation et à l'ajustement progressif des actions du CCAS, Alain Ananos voit se dessiner une nouvelle manière de définir les politiques publiques : « Petit à petit, le CCAS se dote de la capacité à construire la décision par du traitement d'information articulé à la conduite de projet. En retour, l'ABS produit une autre valeur ajoutée en mesurant les effets des politiques et leur orientation en fonction du cap tracé par les élus. C'est une façon de remettre au centre le politique. » De son côté, Gaëlle Béchu, observe que le CCAS pénètre progressivement dans une dynamique d'évaluation de ses actions « impliquant une logique de parcours des publics précaires qui ne se faisait pas avant dans le travail social ».

Il reste qu'une des raisons de la faible application du décret de 1995 tient aussi à la multiplication des dispositifs d'information exigés des collectivités. Comme avec la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, qui oblige les services d'urbanisme des villes à installer des indicateurs de suivi des quartiers sur des aspects traditionnellement réservés aux CCAS (santé, précarité, scolaire, etc.). « Aujourd'hui, l'enjeu n'est pas forcément que les CCAS intègrent l'ABS. Il est de faire en sorte que toutes les stratégies d'observation au niveau d'une ville fusionnent au-delà de chaque secteur de service », analyse Caroline Benito.

Les petits CCAS dans l'embarras

Plus facilement remplie par les gros centres communaux d'action sociale (CCAS), l'obligation annuelle d'engager une analyse des besoins sociaux concerne toutes les communes, sans dérogation pour celles de faible importance. Chaque année, les chambres régionales des comptes, censées être dépositaires des documents d'analyse des besoins sociaux (ABS), épinglent quantité de récalcitrants, craignant de s'engager dans la démarche ou ne pouvant simplement pas y faire face faute de disposer de ressources internes. C'est pourquoi l'Union nationale des centres communaux d'action sociale plaide pour le développement d'une mutualisation des efforts. Ainsi, un regroupement de CCAS autour de la réalisation d'une analyse des besoins sociaux peut permettre de faire des économies d'échelle, surtout si les communes n'ont pas à travailler par quartier. Quand la taille des municipalités est très réduite (en milieu rural par exemple), l'Unccas préconise de procéder à une analyse globale avec des données accessibles commune par commune.

Notes

(1) Et dont les dispositions sont reprises dans les articles R. 123-1 et 123-2 du CASF.

(2) CCAS de Nanterre : Hôtel de ville - 88-118, rue du 8-mai-1945 - 92000 Nanterre - Tél. 01 47 29 50 50.

(3) Concevoir et réaliser une analyse des besoins sociaux - Marc Fourdrignier - Mai 2005 - Unccas : 6, rue Faidherbe - BP 568 - 59208 Tourcoing cedex - Tél. 03 20 28 07 50.

(4) CCAS d'Angers : Boulevard de la Résistance et de la Déportation - BP 23527 - 49035 Angers cedex 01 - Tél. 02 41 05 49 49.

(5) CCAS de Besançon : 9, rue Picasso - 25050 Besançon cedex - Tél. 03 81 41 21 21.

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