Ce sont les techniciennes de l'intervention sociale et familiale (TISF) qui, de leur poste d'observation privilégié au coeur de l'intimité des familles, ont remarqué l'évolution : l'augmentation, ces dernières années, du nombre de jeunes mères désemparées ou incapables de repérer les besoins réels de leur enfant. Face à cette tendance de fond, en lien avec l'éclatement fréquent des cellules familiales, le chômage, l'exclusion, les troubles psychiatriques qui semblent plus fréquents et plus lourds qu'auparavant..., l'association paloise Aide et intervention à domicile (AID) (1), a diversifié ses actions de soutien à la parentalité. « Il a fallu réfléchir à un nouveau type de prise en charge, complémentaire au suivi habituel des TISF à domicile et susceptible d'apporter une réponse à ces besoins que l'on ne pouvait plus ignorer », explique Noëlle Anizan, directrice de l'association.
L'accueil familial, mis en place depuis mars 2000, est né de cette réflexion. Collectif, il est ouvert le jeudi, tous les 15 jours, de 14 heures à 16 h 30, aux parents et aux enfants, en complément de l'action au domicile. « Notre objectif est de responsabiliser les mères vis-à-vis de leurs jeunes enfants. De faire émerger les liens parentaux dans un lieu neutre qui soit aussi un espace de socialisation, différent de la maison », précise Véronique Surun, psychologue clinicienne responsable du dispositif. Les TISF référentes de chaque famille préparent une activité conviviale pour les enfants dans l'espace « enfants ». Les mères, plus rarement les pères, se retrouvent pour des activités manuelles variées (cuisine, couture, peinture...) et pour échanger sur leur vie quotidienne, les événements marquants qui leur sont arrivés récemment... En général, une dizaine de familles rencontrant des difficultés relationnelles importantes avec leurs enfants sont concernées simultanément par cette action, et quatre ou cinq viennent régulièrement. « Elles n'y sont pas obligées, souligne Noëlle Anizan, le principe même de l'accueil est le volontariat. »
« Cette régularité exige un gros effort de la part des familles concernées », note, de son côté, Véronique Surun. La plupart de ces mères ont un passé douloureux, émaillé de maltraitance et de désamour, elles ont parfois perdu la notion de l'heure, de l'hygiène et ont souvent peur du regard des autres. Toutes éprouvent un profond sentiment de dévalorisation qui les fait renoncer à la moindre activité avant même de s'y essayer. Rien d'étonnant, donc, à ce que les techniciennes de l'intervention sociale et familiale aient dû fournir au début « un énorme travail de mobilisation auprès des familles, rappelle Sylvie Fradon, directrice adjointe de l'association. Mais aujourd'hui, lorsque l'une d'entre elles manque une séance, elle en demande souvent spontanément le compte rendu oral et cela nous permet d'évaluer l'intérêt porté par la famille à cette activité et son niveau de mobilisation. »
De fait, le comportement des mères qui participent régulièrement à cet accueil évolue, remarque Véronique Surun. « Au début, elles arrivent sans dire «bonjour». Peu à peu, elles se serrent la main, s'embrassent, saluent les TISF. Des actes de reconnaissance mutuelle qui les conduisent à constater : «je suis une personne qu'on salue». Pour elles, il s'agit d'une grande marque de confiance, qui a d'heureuses conséquences sur le comportement qu'elles adoptent avec leur enfant. » Les paroles échangées en ce lieu avec des femmes auxquelles elles peuvent s'identifier semblent avoir un effet réconfortant, voire thérapeutique : elles permettent de formuler des craintes, aident à vivre moins douloureusement.
Les activités mères-enfants sont parfois regroupées. Ce qui permet par exemple aux techniciennes de l'intervention sociale et familiale, si un conflit éclate au cours de la séance, de mettre des mots sur la colère des femmes et d'apporter aux enfants des éléments d'explication : fatigue, irritation... « On apporte un sens à l'enfant, qui vit cette colère comme une menace, un risque de mort », explique Véronique Surun.
Surtout, ce temps privilégié permet aux techniciennes de l'intervention sociale et familiale d'observer des comportements qu'elles ne pourraient jamais voir émerger au domicile et d'en rediscuter plus tard avec les intéressées, pour mettre en valeur leurs aspects positifs, en matière de sollicitude à l'égard de leur enfant et de partage, par exemple. « Il s'agit d'un travail de réassurance, pour redonner à la mère sa place de mère, lui faire prendre conscience de ses capacités », souligne la psychologue. A l'issue de la séance d'accueil familial, les TISF retrouvent celle-ci pour un temps de régulation, une analyse des différences de comportement observées entre le temps d'accueil et le domicile et de « ce qui émerge de ce temps dans un espace de lien social où le groupe est soutenant », explique Véronique Surun.
L'AID a également mis en place des rencontres thématiques (santé, Noël...), mêlant l'acquisition d'apprentissages simples que les mères peuvent ensuite mettre en pratique au quotidien. Elles se déroulent en quatre ou cinq séances et aboutissent à la réalisation d'une plaquette, d'une animation, la confection d'objets... Une façon pour ces femmes, pour une fois, de faire quelque chose pour elles-mêmes sans culpabilité. Une façon aussi de développer la convivialité au sein des familles et entre elles et de valoriser les participantes.
Depuis une dizaine d'années ont lieu, en outre, des sorties familiales réunissant à chaque fois une quinzaine de familles. Des séjours de vacances d'une semaine dans un gîte des Landes sont également organisés, parfois dans le cadre d'un regroupement familial alors que les enfants sont placés. Les désistements des familles inscrites ne sont pas rares, du fait de l'angoisse du départ vers une structure inconnue, de la complexité des relations familiales...
Celles qui franchissent le pas sont accompagnées par leur TISF référente, présente en permanence sur les lieux pour soutenir l'organisation et accompagner les relations parents-enfants. Si les familles disposent de chambres particulières, des temps communs sont prévus, pour le partage des repas, des tâches ménagères... « Alors qu'il y a quelques années l'aspect «vacances» était davantage prioritaire, nous travaillons beaucoup actuellement sur la partie collective, précise Noëlle Anizan. Ces familles très désocialisées, souvent monoparentales, sans contacts amicaux ou familiaux, se retrouvent dans une situation où elles recréent des liens. »
« Ces actions collectives apportent certes quelque chose en plus du domicile pour apprécier les capacités parentales et sociales de la famille. Reste que l'évaluation de la situation globale se fait avec l'ensemble des partenaires impliqués », insiste la directrice de l'AID. Régulièrement, tous les partenaires se réunissent au sein d'une commission d'évaluation de l'aide sociale à l'enfance pour apprécier si les moyens mis en place pour étayer chaque famille - dont l'intervention d'une TISF quand elle a été décidée - permettent d'atteindre les objectifs et restent pertinents par rapport au projet familial. Ces bilans se font au sein des maisons de la solidarité mises en place par le conseil général et rassemblent l'ensemble des intervenants : psychologue, infirmière, éducateur, assistant de service social ; ainsi que les partenaires extérieurs (service d'AEMO judiciaire, association AID et la TISF référente, établissement social et médico-social et assistante maternelle en cas de placement).
La certification « NF services aux personnes à domicile » que l'AID a été la deuxième association à obtenir en février 2004 (2), aide à la clarté de l'intervention. Pour être conforme à la norme AFNOR, « nous avons dû redéfinir chaque poste, ses missions, répondre à un cahier des charges précis, réaménager nos locaux », explique Noëlle Anizan. Deux ans de préparation, un an de travail administratif, la participation de tous, pour une organisation plus claire et efficace, au bénéfice notamment d'une meilleure cohésion des interventions en matière de prévention. Les objectifs d'intervention, désormais, sont écrits noir sur blanc au sein d'un contrat passé avec la famille. « Les intervenants de terrain étaient très demandeurs car les choses n'étaient pas toujours claires. Chacun interprétait sa mission en fonction de sa sensibilité personnelle, se souvient la directrice. D'autre part, nos partenaires apprécient les objectifs ciblés par les TISF. Ainsi, on ne s'engage plus à tout faire. »
L'association Aide et intervention à domicile (AID), créée en 1943, partage essentiellement son activité entre aide à domicile aux personnes fragiles, handicapées et/ou âgées et aide à domicile aux familles, elle emploie environ une centaine de personnes. Dans le domaine de l'aide à domicile aux familles, financée par le conseil général des Pyrénées-Atlantiques et la caisse d'allocations familiales, ce sont 35 techniciennes de l'intervention sociale et familiale et 6 auxiliaires de vie qui sont mobilisées. Ces professionnelles ont par exemple effectué 36 917 heures à domicile et 2 006 heures en actions hors domicile, en 2005.
L'association est membre de la Fédération nationale d'aide et d'intervention à domicile (FNAID), qui a créé en 2005 l'enseigne « A domicile » avec l'Union nationale des associations coordinatrices et centres de soins et de santé (Unacss), Familles de France et la Fédération nationale du bénévolat associatif, avec le soutien du groupe Banque populaire (3).
(1) AID : 47, avenue des Lilas - 64000 Pau - Tél. 05 59 84 25 06.
(2) Après l'Association provençale d'aide familiale (APAF) qui l'a obtenue en 2003 - Voir ASH n° 2337 du 12-12-03, p. 34.