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Vers des projets de plus en plus individualisés

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Entre action éducative en milieu ouvert et placement, a fleuri une kyrielle de dispositifs innovants, visant à insuffler plus de souplesse dans la prise en charge des enfants en danger. Souvent issues de « bricolages » institutionnels, ces solutions, auxquelles la réforme de la protection de l'enfance devrait apporter un cadre légal, entendent se centrer sur l'usager et fabriquer du « sur mesure ».

Action éducative en milieu ouvert (AEMO) ou placement ; placement ou action éducative en milieu ouvert ? Indéniablement, le choix des modes d'intervention en matière d'enfance en danger se révèle, sur le plan du droit, des plus binaire. Sur le terrain cependant, au fil des ans, un riche entre-deux s'est développé, des pratiques ont émergé, des solutions modulées sont apparues. Des alternatives d'ailleurs recommandées, sur le principe, par divers rapports ministériels, citées dans maints schémas départementaux, et qui pourraient bientôt trouver une légitimité juridique avec la future loi réformant la protection de l'enfance (1). Ces expériences ont été classées par l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) en cinq groupes : relais parentaux, AEMO renforcée, accueil séquentiel, accueil de jour et dispositifs alliant intervention à domicile et suppléance familiale en internat ou en famille d'accueil (2). D'ores et déjà, il apparaît que « les deux modalités les plus pratiquées sont l'accueil de jour de l'enfant et le placement à domicile. En outre, lorsque l'une est très développée dans un département, on ne retrouve presque pas l'autre », assure Pascale Breugnot, chargée d'études à l'ONED (3).

Dans le cadre de l'accueil de jour de l'enfant, qui vise à apporter une réponse ciblée et intensive à des jeunes ayant des problèmes d'apprentissage, de comportements scolaires, et des difficultés éducatives au domicile, deux formules sont expérimentées. La première, qui se déroule hors du temps scolaire et sans hébergement, offre à l'enfant une palette d'activités ainsi qu'un planning adapté à ses besoins, et prévoit diverses interventions auprès des parents. La seconde, dans le temps scolaire, s'appuie en général sur un internat. « Elle associe scolarité en milieu protégé, activités de l'internat, accueil, séjours de vacances... Au besoin, une suppléance de quelques nuits est possible », résume Pascale Breugnot. Quant aux parents, ils sont intégrés au projet. Une méthode développée en particulier par la maison d'enfants de Saint-Seine-l'Abbaye (Côte-d'Or), où les éducateurs vont chercher les enfants à leur domicile, chaque matin, et où ils les ramènent le soir. Ils organisent ainsi « des entretiens brefs mais très concrets avec les parents, leur donnant l'occasion d'avoir une autre vision de leur enfant », explique le directeur, Patrice Durovray, pour qui « ce service n'a de sens que parce qu'il est rattaché à un internat ». Si, au départ, le suivi se révèle souvent dense, l'objectif est toutefois d'inscrire l'enfant dès que possible dans les dispositifs de droit commun, de le rapprocher de sa famille, autrement dit « de l'aider à retrouver sa place là où il vit ». Ainsi, la maison d'enfants, qui dispose d'une école d'adaptation, signe « des conventions d'intégration pour permettre au jeune d'être suivi dans le cadre classique avec l'appui de l'équipe éducative et de l'école interne ».

Certaines structures ont par ailleurs développé un autre mode d'accueil de jour, dit familial. « L'intervention s'appuie sur des activités simples, proches du quotidien, qui permettent des mises en situation autorisant les personnes à revisiter leur positionnement et à construire des réponses éducatives entre elles. Ces temps collectifs sont complétés par des échanges en groupe et des entretiens individuels », détaille Pascale Breugnot. Il s'agit en particulier, « par l'intervention simultanée de professionnels aux compétences diverses, de sortir de la logique du face-à-face avec la famille », de rompre son isolement, de restaurer les liens parents-enfants. Une formule notamment mise en oeuvre par l'association Jeunesse, culture loisirs et technique (JCLT), à Beauvais, sous la forme de « l'action multifamiliale » (4).

La seconde modalité phare, le placement à domicile, est construite sur un schéma qui tire ses racines du constat que le danger ne nécessite pas toujours une séparation continue de l'enfant et de sa famille et que certains jeunes dépriment, voire régressent en internat. Dans cette configuration, l'enfant est confié à un établissement par une mesure de placement, laquelle autorise son hébergement dans sa famille. Dès que la situation le nécessite, il réintègre l'internat. Une modalité mise en oeuvre à grande échelle depuis près de 20 ans par le département du Gard sous l'intitulé SAPMN (service d'adaptation progressive en milieu naturel) (5), et qui fait aujourd'hui l'objet d'une évaluation approfondie. Dans une même optique de prise en charge associant intervention à domicile et suppléance familiale en hébergement, s'est monté un dispositif original : le SEMO. Comme son sigle l'indique, ce service d'éducation en milieu ouvert ne part pas, lui, d'un internat. « L'entrée «milieu ouvert» permet de valoriser d'emblée la place des familles comme support essentiel des projets, qui sont de fait vraiment individualisés. Ces projets sont élaborés à partir de leurs carences désignées, mais surtout de leurs compétences et de celles du jeune », observe Alain Poussier, directeur du département milieu ouvert de l'Association calvadosienne pour la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence. Chaque SEMO, qui fonctionne avec une équipe pluridisciplinaire, se distingue « par une continuité éducative et une disponibilité. Le SEMO - qui peut effectuer 30 prises en charge - peut en effet être sollicité 24 heures sur 24, grâce à un système d'astreinte et à un foyer d'hébergement et d'action éducative de cinq places qui sert de base permanente d'action à tout le dispositif. » D'autres formules - chambres en ville, internat scolaire... - sont aussi proposées. Un hébergement peut ainsi être décidé au jour le jour. « C'est là un des atouts principaux du système : pouvoir traiter immédiatement des crises par un repli momentané qui permet d'éviter la dramatisation ou la fixation excessive des conflits. » De courte durée, ces hébergements, qui donnent lieu à un travail renforcé, ne font jamais l'objet d'un placement. Une permanence d'accueil éducatif de jour est par ailleurs assurée. Pour le reste, les équipes ont recours aux dispositifs de droit commun (école, loisirs, soins...).

Un nouveau mode d'intervention

Bien que variés dans leur mode opératoire, les dispositifs imaginés çà et là se rejoignent sur plusieurs points. En particulier, sur la volonté de personnaliser les réponses, lesquelles sont évolutives. « Ces dispositifs, qui se caractérisent notamment par une évaluation affinée de la situation de l'enfant, dessinent un nouveau mode d'intervention qui individualise de plus en plus l'action », observe Anne Oui, chargée de mission à l'ONED. S'établissent ainsi avec les familles de nouveaux rapports. Il s'agit de construire, avec elles, une relation de confiance, de tenir compte de leurs besoins, de travailler à leur insertion dans leur environnement, d'évaluer leurs compétences et de les valoriser au lieu de se centrer sur les failles, et de conforter ce potentiel. Cela se fait notamment par la réalisation avec les parents d'actes de la vie quotidienne. Ainsi, remarque Paul Durning, directeur de l'ONED, « on perçoit une réinterrogation de la place respective du dire et de l'agir et, avec elle, l'idée qu'une action éducative peut passer par un faire avec ».

Quel que soit le cadre d'intervention, administratif ou judiciaire, l'adhésion des familles est recherchée. « On essaie d'obtenir au moins leur acceptation au départ, puis leur implication réelle, souligne Alain Poussier. Même les décisions de séparation momentanée font l'objet d'une négociation entre le jeune, la famille et le service, et cela ne pose pas de difficulté majeure. » De même, témoigne Alain Grevot, directeur du service d'interventions spécialisées d'action éducative de la JCLT, « dans notre service, les gens viennent parce qu'ils le veulent ou parce qu'ils sont contraints, mais ils reviennent car ils y trouvent quelque chose. Ce qui est déterminant, c'est moins le tiroir dans lequel on rentre l'action, que son sens, son contenu, sa cohérence, la transparence et la réflexivité. » Pour tous deux, un seul impératif, pivot de la réussite : mettre les usagers au centre. Et c'est en outre parce que les difficultés de ces derniers ne sont pas linéaires qu'accroître la souplesse s'impose. « Quand on intervient en AEMO et que la séparation est nécessaire, il faut des mois avant qu'un placement ne se réalise. Pour un retour en famille, c'est pareil, rappelle Alain Poussier. Le temps des personnes n'est pas celui des institutions, il faut donc créer des dispositifs intermédiaires garantissant plus d'individualisation et de réactivité. »

Pour nombre de ces dispositifs, en plus de prévenir le danger, il s'agit d'éviter le placement, ou du moins la séparation, source de souffrance. Pour autant, insiste Marie-Paule Martin-Blachais, directrice enfance et famille du conseil général d'Eure-et-Loir, « le placement ne doit pas venir en dernier, quand tout le dispositif a été consommé. Il a une spécificité, une compétence, une fonction, une valeur, et il est parfois indiqué. Il faut donc, afin de repérer les réponses les plus adaptées, que se mettent en place des outils permettant d'estimer la problématique posée, les besoins non couverts de l'enfant, les compétences familiales... » Un point de vue partagé par Roselyne Becue-Amoris, directrice enfance et famille du conseil général du Gard, qui rappelle combien « à l'heure où la loi devrait officialiser la diversification des modes de prise en charge, il est nécessaire de poser en préalable la question de l'évaluation individuelle et de veiller dans les départements à se pencher sur le cadre et le sens des mesures ». Et d'insister : « Une AEMO renforcée ou un placement allégé ne positionnent pas les parents de la même façon ; la question des libertés individuelles n'est pas traitée à l'identique, celle de la responsabilité professionnelle diffère aussi. » En filigrane, c'est toute l'épineuse question de l'évaluation qui est posée. Et des outils à construire pour y parvenir.

De la clarté, c'est aussi ce à quoi aspire Christophe Subts, vice-président du tribunal de grande instance de Caen : « Il faudrait se repencher sur ce qu'est l'autorité parentale et évaluer quelles entorses à son exercice devraient fonder les diverses interventions. Pourquoi ne pas mener une évaluation pragmatique des clignotants qui font que l'on s'oriente plus vers telle ou telle mesure ? » L'ancien juge des enfants souhaiterait de surcroît que les mesures exécutées soient plus lisibles. « Ces familles, très démunies, ont besoin d'un discours clair des institutions, sur ce qu'on leur reproche, leurs défaillances, les mesures prises et les moyens adoptés. » Raison pour laquelle il se dit d'ailleurs peu favorable au placement à domicile qu'il juge incohérent. « Pour moi, quand un enfant est chez lui, il est chez lui ; quand il est placé, il est placé. »

Si le magistrat estime néanmoins que les formules intermédiaires ont le mérite d'enrichir l'existant, il craint qu'avec leur généralisation et la « logique de limitation des prises de risques », « juges et équipes ne se disent que l'AEMO est trop peu protectrice et qu'on y ait moins recours, mais aussi que le placement est trop dur à assumer pour les jeunes et à exécuter pour les professionnels et qu'on l'abandonne. En gros, moins d'AEMO par prudence ou moins de placements par manque de courage. » Autre risque selon lui : le dérapage des coûts. « Qui va financer et au détriment de quoi ? » Et d'alerter : « Il faudra vraiment veiller à recentrer ces mesures sur l'intérêt de l'enfant. » De tous les enfants. En effet, estime Marie-Paule Martin-Blachais, « nous ne pouvons légitimer la singularité des prises en charge que si nous pouvons aussi garantir l'équité de traitement pour les usagers ». Ce que confirme Alain Grevot pour qui, avec l'essor « de ces approches diversifiées, le risque d'accroître les inégalités sur le territoire est réel. Tous les conseils généraux, qui supportent quasiment seuls cette évolution, ne disposent pas des mêmes ressources. Un dispositif fin d'alerte et de régulation doit veiller aux moyens mis en oeuvre sur les territoires. L'ONED me semble à ce titre avoir un rôle essentiel de mise en garde à jouer pour que, partout en France, certains principes soient respectés. »

Notes

(1) Voir ASH n° 2454 du 5-05-06, p. 13.

(2) Cette classification a été abordée dans le rapport 2005 de l'ONED, qui a mis sur pied une démarche évaluative pour faire connaître les dispositifs intéressants. Leurs fiches sont consultables sur http://oned.fr. Une analyse transversale de ces pratiques intégrera en outre le rapport 2006.

(3) Lors du colloque « Les pratiques entre AED/AEMO et placement », organisé par l'ONED, le 22 juin 2006, à Paris - ONED : 63 bis, boulevard Bessières - 75017 Paris - Tél. 01 58 14 22 50.

(4) Voir ASH n° 2389 du 07-01-05, p. 33.

(5) Voir ASH n° 2204 du 02-03-01, p. 27.

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