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« Diriger pour créer les conditions du futur »

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«Souhaitons-nous que les directeurs soient des développeurs ou bien des gestionnaires de l'existant ? », s'interroge Philippe Ropers, directeur d'un service de prévention spécialisée et d'un service d'insertion. Il regrette que le projet de décret sur la qualification des directeurs d'établissements et services sociaux et médico-sociaux lie leur niveau de qualification à la taille de la structure où ils exercent, au lieu de reconnaître par un haut niveau de compétence ce qui fait le coeur même de leur métier.

« Selon le projet de décret de qualification des directeurs (1), «le professionnel chargé de direction» doit assumer les délégations de pouvoir liées au budget, aux ressources humaines, à la gestion et à la coordination. Il sera qualifié au niveau I - master ou certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement ou de service d'intervention sociale (Cafdes) - à la condition, notamment, qu'il exerce dans le cadre d'un établissement qui réponde à deux des trois critères entraînant le recours à un commissaire aux comptes (avoir plus de 50 équivalents temps plein, un chiffre d'affaires supérieur à 3 millions d'euros, un bilan supérieur à 1,5 million d'euros) (2). Cela signifie que les compétences pour diriger les structures seraient variables en fonction de leur ampleur et de l'envergure des préoccupations quantitatives et techniques qu'elles inspirent. Ainsi, n'avoir à gérer que 48 équivalents temps plein et un chiffre d'affaires de 2,5 millions d'euros, n'exigerait du «chargé de direction» qu'une qualification de niveau II, comme c'est le cas du certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité d'intervention sociale (Caferuis). Cette approche étayée sur le principe des seuils conduit à restreindre la fonction de direction à la charge du suivi des affaires courantes d'une organisation de travail, alors qu'elle est d'abord responsabilité pleinement assumée d'y prendre des résolutions et d'y instruire les coopérations indispensables à l'obtention d'une performance sociale, notamment en lui permettant de se réformer au fur et à mesure de l'évolution de son environnement.

Plutôt que de procéder à des distinctions infinies entre les différents types de directeurs qui pourraient exister, essayons donc de redéfinir ce que revêt cette activité professionnelle que l'on doit considérer aujourd'hui comme un métier. Diriger, c'est d'abord la mise en oeuvre d'une capacité de conduire un projet d'action sociale ou médico-sociale dans un environnement marqué par la complexité. Celle-ci se constitue par le fait même que l'action est inscrite dans des enjeux de société, politiques, éthiques et techniques par définition non stabilisés. Aucune garantie n'existe quant à la pérennité de la mission développée, parce qu'il n'est pas certain que les attentes sociales n'évolueront pas à moyen terme.

L'exemple de la prévention spécialisée, du développement des missions de médiation et des réflexions sur la prévention de la délinquance, comme celui des structures d'insertion réalisant des accompagnements individuels et appelées à promouvoir des actions collectives, illustrent parfaitement cet enjeu. La pratique professionnelle déployée sur le terrain doit pouvoir évoluer afin de toujours continuer de répondre aux besoins des personnes et aux orientations énoncées par les garants de l'action publique. Au plan éthique, le souci de la place réservée à autrui dans le projet que l'on conduit, pour et avec lui, doit être présent en permanence, tout en prenant en compte les avancées scientifiques, dans le champ de la psychologie, de la sociologie et de la médecine, mais aussi de l'économie. Quant aux techniques éducatives et d'accompagnement, les directeurs doivent veiller à ce qu'elles se déclinent à partir de l'ensemble de ces évolutions.

« La pensée doit être stratégique »

Cet ensemble de sphères qu'un directeur approfondit quotidiennement doit s'accompagner d'une préoccupation rigoureuse quant aux ressources et moyens dont dispose l'organisation pour répondre à sa finalité. Il lui revient d'anticiper les difficultés à venir pour mieux négocier les changements de trajectoires, les redéfinitions de missions et, enfin, partager avec l'environnement les préoccupations nouvelles pour que chacun des acteurs avec lesquels le service ou l'établissement est en lien, puisse apporter son analyse et contribuer à l'intelligence collective au service des personnes accompagnées sur un même territoire. La dynamique gestionnaire est imbriquée à cet objet même pour le promouvoir.

C'est dire combien, dans la fonction de direction qui ne saurait se détourner des préoccupations d'efficience, la pensée doit être stratégique et saisir correctement les configurations du terrain, les alliances possibles et la «propension des choses», telle que la décrit le philosophe François Jullien (3).

Cet ensemble d'exigences est inhérent au métier de directeur. Il est indispensable que, dans les organisations d'action sociale comme dans les autres champs d'activité, il existe des professionnels qui aient cette charge anticipatrice permettant que le cap soit maintenu par les efforts coordonnés d'un collectif mobilisé sur une mission et un projet consacrés au développement des personnes accueillies.

Certes, s'appliquer à un tel engagement suppose des savoir-faire techniques de haut niveau en matière de connaissances des politiques publiques, de gestion financière, des ressources humaines et du management. En fait, il s'agit là d'un minimum de références, qui, bien articulées, sont autant de leviers d'action théoriques et pratiques pour la bonne marche de ce vers quoi on veut aller. Pour autant, la fonction de direction n'est pas l'exclusive déclinaison d'une batterie technique, s'appréciant alors logiquement à travers le nombre de partenaires approchés, de personnes dirigées ou de masse financière brassée. Car c'est négliger que la qualité organisationnelle, la définition des fonctions et des délégations doivent précisément permettre de réduire cette complication. Plus la mécanique à gérer est compliquée, plus il faut veiller à l'articulation des rouages, faciliter les liens et les communications, faire communiquer les cultures internes, développer une culture du travail social de manière transversale.

En effet, ce travail n'est qu'une partie de la fonction de direction, comprise comme l'ensemble plus large que nous venons de décrire. «Art de la mise en mouvement et de l'animation», selon le mot de Rémi Huppert (4), l'agir dirigeant implique une hauteur de vue que seule permet une formation de haut niveau. Celle-ci doit le préparer et l'entraîner à l'affrontement de la certitude, tout en favorisant sa capacité de réagir à l'incertitude, corollaire de l'instabilité évoquée plus haut. Luttant pour la libre conduite d'un projet, le directeur inscrit son activité dans un futur qui, s'il est conditionné, n'en est pas pour autant totalement déterminé. Il demeure incomplètement maîtrisable, fût-ce par la répétition d'exercices techniques tendant à s'illusionner sur le fait que l'ancrage dans des systèmes fermés permettra de faire face aux situations inédites qui ne manqueront pas de survenir.

Proche du politique, fondée sur l'intelligence prospective, et reposant sur un socle parfaitement outillé, la mission de direction n'est donc pas qu'un exercice de coordination et de gestion courante. Elle est expertise en matière de conduite de projet, d'appréhension des scénarios possibles et des moyens nécessaires à la garantie du succès dans un univers multiforme, pouvant prendre les atours de la compétition, voire de l'hostilité. De la sorte, c'est l'aptitude confirmée à accomplir et à accompagner la réforme des systèmes qui doit être recherchée chez les dirigeants. C'est pourquoi, outre cette maîtrise technique, ils doivent instruire des champs de compétence complémentaires, notamment en matière de conduite du changement stratégique et organisationnel. Cette préoccupation de l'avenir chez les acteurs dirigeant une organisation humaine est irréductible à la taille ou à l'ampleur de l'entité qu'ils pilotent ; quelle que soit sa complication présente, elle va requérir chez eux les mêmes capacités de diagnostic, de compréhension des logiques externes et internes, de stratégie de changement et de mise en oeuvre de plans d'action et d'accompagnement des personnels. Le Cafdes, à travers son épreuve «management global et conduite de projet», et certains masters préparent à cette disposition. En l'absence d'une telle perspective, le «chargé de direction» remplit une fonction de chef de service, indispensable manager quotidien des équipes dans un rapport de proximité, et non de direction, qui, elle, doit s'immerger dans le présent pour créer les conditions du futur.

« Une spécialité à part entière »

L'architecture européenne licence-master-doctorat est plus lisible que la grille interministérielle des diplômes (niveau I, II, III, etc.) pour clarifier les responsabilités attendues, tout en autorisant une meilleure appréciation des aptitudes souhaitées chez les professionnels qualifiés. La qualité d'intervention monte dans tous les champs convoqués à l'accompagnement des personnes dans les établissements et les services où les recrutements des spécialistes s'effectuent au niveau master ; il y a donc incohérence à ce que la fonction de garant du projet et de ses adaptations s'étaie sur une qualification moindre. L'exercice de la prospective et de sa mise en oeuvre ne peut s'accommoder d'une certification de type licence, mais exige un «haut niveau de compétences professionnelles», ce qu'est censé garantir le degré de master. Il s'agit d'une spécialité à part entière qui impose des efforts et débouche sur des possibilités d'intervention dont la conséquence est à la hauteur de la mission.

Les attentes à l'égard des «directeurs» d'établissements et de services doivent être clairement formulées. Souhaitons-nous des développeurs ou bien des gestionnaires de l'existant ? Ce n'est qu'en se posant cette question, et en y répondant avec rigueur, que leur dénomination s'en trouvera justifiée. »

Service de prévention spécialisée de l'association Sauvegarde 71 : 23, impasse Louis-Jouvet - BP 122 - 71300 Montceau-les-Mines - Tél. 03 85 58 98 91 - E-mail : sps.secretariat@free.fr

Notes

(1) Qui a reçu un avis favorable du CNOSS le 22 juin.

(2) Voir ASH n° 2453 du 28-04-06, p. 44 et n° 2461 du 23-06-06, p. 33.

(3) In Conférence sur l'efficacité - Ed. PUF - 2005.

(4) In Celui qui dirige -Editions d'Organisation - 2004.

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