En 1995, une enquête de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) portant sur le placement d'enfants handicapés français dans des établissements belges, avait conduit à la mise en place au 1er janvier 1998 d'un dispositif de conventionnement entre l'assurance maladie et les établissements belges. Un second rapport de cette inspection intitulé Le placement à l'étranger des personnes handicapées françaises, bouclé en septembre 2005 et qui vient seulement d'être mis en ligne (1), montre que « le vieillissement de la population déjà accueillie en Belgique, ainsi que la poursuite des orientations des jeunes adultes français vers ce même pays, tendent à soulever des difficultés analogues » à celles qui prévalaient dix ans plus tôt.
Les inspecteurs constatent en effet qu'un nombre grandissant d'adultes handicapés français sont accueillis dans des établissements échappant au dispositif conventionnel mis en place en 1998 en faveur des enfants. Par ailleurs, « le maintien des jeunes adultes dans les établissements belges conventionnés au titre de l'amendement Creton (2), a fini par créer un engorgement de ces structures dédiées à l'accueil des enfants ».
Pour bien comprendre l'évolution de la situation depuis 1995, l'IGAS s'est attachée à analyser l'ampleur du phénomène des placements des personnes handicapées en Belgique. Premier constat : l'opacité du système tant sur le plan du nombre de personnes concernées que sur celui de la qualité de l'accueil. « Aucun organisme, aucun service de l'Etat, ne possède de données statistiques cohérentes, fiables et exhaustives concernant les populations handicapées placées à l'étranger », notent les rapporteurs. Se fondant sur des chiffres communiqués par l'assurance maladie, ils comptabilisent, en 2004, plus de 1 600 jeunes handicapés français hébergés en Belgique, majoritairement des autistes (3) et des personnes souffrant de retard mental ou de troubles du comportement, tout en avouant avoir dû se livrer à des extrapolations pour parvenir au nombre de 1 900 adultes. Preuve du caractère désormais insuffisant des conventions mises en place en 1998, « au moins 43 % des établissements qui accueillent [les adultes handicapés français] ne sont qu'autorisés de prise en charge (4) et ne sont pas conventionnés par l'assurance maladie ». De plus, l'IGAS relève le système aléatoire de contrôle des prestations, avec, pour la partie belge, des inspections limitées aux seuls établissements agréés, et pour les financeurs français, des procédures « reposant la plupart du temps sur des relations interpersonnelles » aboutissant à une estimation de la qualité du service rendu « surtout fondée sur des impressions [...] ou de simples déclarations ».
Idem en ce qui concerne le financement des places, tributaires de nombreux partenaires. Côté adultes, « à l'exception des bénéficiaires du dispositif Creton et des personnes prises en charge individuellement par leur caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), les handicapés sont pris en charge financièrement par les conseils généraux ». Côté enfants, « si le prix de journée des établissements conventionnés est établi par la caisse régionale d'assurance maladie Nord-Picardie pour chaque structure, il existe aussi des prises en charges individuelles accordées par les CPAM d'affiliation. Les conseils généraux français étant, pour leur part, libre de fixer le montant de leur participation ». Résultat : quel que soit le financeur, « les prix de journées accordés aux établissements belges sont très divers, avec de grandes amplitudes ».
Il reste que, pour l'IGAS, le principe des placements en Belgique doit être considéré comme « un fait acquis », ne serait-ce qu'en raison de l'insuffisance du nombre de places en France. « Mais plus que les capacités d'accueil, ce sont surtout les méthodes adoptées par les Belges et la qualité de l'accompagnement des jeunes handicapés qui séduisent les familles. Dès lors, et tant que les conditions d'accueil en France n'évolueront pas, il est vraisemblable que les flux des placements en Belgique continueront, au moins pour les régions frontalières », note la mission, s'attachant alors à dresser une série de propositions correctives visant à redonner de la transparence au système. A cette fin, les rapporteurs proposent, dans un premier temps, d'étendre le processus de conventionnement aux établissements pour adultes « en instituant des critères de la qualité de l'accueil et de la prise en charge thérapeutique », et en ajustant la législation « afin que l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) aux personnes placées en Belgique ne puisse être contestée ». Ils suggèrent en outre de renforcer la coordination des départements français, soit en inscrivant dans la loi « l'obligation [pour eux] d'informer annuellement l'Etat [...] des mouvements de placement des handicapés à l'étranger », soit en confiant à l'Assemblée des départements de France le soin de collecter ces informations, soit, enfin, en organisant les modalités de remontée d'informations aux directions régionales des affaires sanitaires et sociales des trois régions principalement concernées par les placements en Belgique.
Sur le plan transfrontalier, la mission suggère de réunir les financeurs français et les responsables wallons afin que « l'audit et l'inspection belges soient, dans la pratique, étendus aux établissements «autorisés» » (5). Elle préconise en outre que la notion même de « territoire transfrontalier » soit revue et qu'une meilleure circulation de l'information s'opère entre les deux pays. « Dès lors que la procédure conventionnelle garantit la qualité de l'offre, la question territoriale devient secondaire pour les Français vivant près de cette frontière et l'offre belge doit être considérée comme une offre locale. »
(1) Rapport présenté par Liliane Salzberg, Jean-Paul Bastianelli, Pierre de Saintignon -Disponible sur
(2) L'amendement Creton permet de prolonger le placement d'une personne handicapée au-delà de l'âge limite pour lequel l'établissement est agréé, tant qu'aucune autre solution n'est trouvée (code de l'action sociale et des familles, art. L. 242-4).
(3) Sur l'autisme, qui « illustre parfaitement l'attirance exercée par les établissements belges », l'IGAS formule des recommandations spécifiques pour améliorer la prise en charge en France.
(4) Le système wallon prévoit deux types de reconnaissance : l'agrément qui entraîne des procédures de contrôle très strictes sur la qualité de la prise en charge et l'autorisation de prise en charge (APC) qui se limite pour la partie belge aux contrôles de sécurité. Pour l'IGAS, cette autorisation est source d'une grande confusion en France, en étant bien souvent interprétée, « à tort [...] notamment par les conseils généraux, comme une garantie de sérieux et de qualité ».
(5) Les autorités françaises et wallonnes envisagent d'ailleurs un accord de collaboration - Voir ASH n° 2459 du 9-06-06, p. 37.