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« Il faut intégrer l'intergénérationnel dans les politiques publiques »

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Choisie comme thème par la conférence de la famille, la solidarité intergénérationnelle doit devenir un enjeu central des politiques publiques, défend Mohammed Malki, directeur de l'association Accordages (1). Celui-ci accompagne depuis plusieurs années les collectivités locales dans la mise en place d'actions intergénérationnelles.

Actualités sociales hebdomadaires : Le fait que la solidarité entre les générations ait été le thème retenu par la conférence de la famille (2) marque-t-il une reconnaissance de l'action que vous menez depuis plusieurs années ?

Mohammed Malki : C'est effectivement la preuve que l'intergénérationnel est devenu une préoccupation sociale majeure. En créant l'association Accordages, il y a six ans, nous avions anticipé cette évolution : alors que l'intergénérationnel n'était encore qu'une thématique sectorielle, voire confidentielle et portée uniquement par des acteurs de la gérontologie ou par des associations de retraités, nous pensions que le lien entre les générations allait devenir une question centrale, notamment à la faveur du « papy-boom » : nous souhaitions sortir l'intergénérationnel du « ghetto gérontologique » et faire tout pour que les personnes âgées soient en relation avec les autres.

L'enjeu aujourd'hui est de « culturaliser » l'intergénérationnel, afin qu'il soit pris en compte en amont de la définition même des politiques publiques.

Comment y parvenir ?

- On ne peut pas dire que les grandes politiques nationales n'aient pas investi la question du lien intergénérationnel : les pouvoirs publics et les institutions nationales posaient déjà cette question avec leurs outils et leurs concepts construits autour du pacte social et de la protection sociale : la sécurité sociale, les dispositifs de pré-retraite destinés à favoriser l'emploi des jeunes, les retraites, relèvent de la prise en compte de la dimension de l'intergénérationnel. D'ailleurs, les solidarités entre les générations au sein des familles sont plus fortes que jamais, non pas parce que le pacte social ne joue pas son rôle, mais au contraire parce qu'il protège les individus et leur permet de penser à leur descendance. La caisse nationale des allocations familiales a récemment montré que les transferts financiers intergénérationnels (sans parler des dons en nature) représentaient trois fois son propre budget. Ces transferts sont d'autant plus importants que le pacte social a rendu les personnes relativement autonomes, ce qui leur permet de transmettre davantage et d'agir dans la solidarité.

Mais le champ d'intervention d'Accor-dages ne relève ni de ce qui se joue au sein de la famille, ni de ce qui se fait au sein du pacte social. Nous nous situons dans un domaine intermédiaire : celui des réseaux sociaux de proximité, qui ont toujours existé et qui se traduisent par porter le cabas d'une vieille voisine, laisser sa place dans le bus, tous ces gestes de société qui se mettent spontanément en oeuvre. Or nous pensons que, pour de multiples raisons, en particulier parce qu'il y a davantage de temps disponible, ce qui se joue dans ces espaces sociaux de proximité peut entrer en synergie avec ce qui se passe au sein des familles et des politiques nationales ou locales. Il ne s'agit en aucun cas de pallier les défaillances familiales ou politiques, mais plutôt de mettre en synergie ces éléments. Un bénévole peut avoir envie de s'occuper d'un enfant, de l'accompagner d'une façon régulière, d'établir une relation réciproque et privative. Les échanges intergénérationnels s'inscrivent dans ce type de relation, libre mais socialisée. Volontaire, affective, mais sans les obligations morales liées aux relations familiales.

Votre association favorise le développement des actions intergénérationnelles. Comment, et à quel niveau, intervient-elle ?

- Nous faisons de l'accompagnement méthodologique des porteurs de projets désireux de mettre en place des actions intergénérationnelles. Nous les aidons en amont pour l'étude, la conception, puis la conduite de ces initiatives. Nous sommes sollicités par les collectivités locales, essentiellement par les communes et les conseils généraux. Par exemple, nous avons travaillé à la mise en place de conseils des sages à Villiers-le-Bel (Val-d'Oise) ou encore à Besançon (Doubs). Notre action, dans ces deux cas, a consisté au préalable à initier les personnes âgées concernées aux nombreux aspects de la politique locale. Car il ne s'agissait pas de créer un « conseil des seniors » qui ne parlerait que des problèmes des personnes âgées, mais bien de former des citoyens qui prennent part à la vie de la cité. En outre, depuis deux ans, nous avons créé un site Internet dédié à l'intergénérationnel, qui a vocation à devenir un réseau d'échange d'expériences et de savoir-faire entre les porteurs de projet. Nous avons également édité un guide méthodologique à la demande du ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille (3).

Quelles sont les conditions de réussite de ce type d'initiatives ?

- Il suffit qu'un seul individu souhaite mettre en relation deux acteurs : « Lire et faire lire » a démarré avec seulement trois personnes, et aujourd'hui ce sont plus de 10 300 bénévoles qui agissent sur 4 000 sites éducatifs. C'est une opération qui est devenue un produit d'exportation avec des initiatives qui vont démarrer en Suisse et au Canada. La plupart des actions sont, au départ, microscopiques. Mais l'échelle pertinente, c'est la commune. Et la nature de l'action initiée dépend des situations et des enjeux locaux. Il faut partir d'un besoin social réel, c'est-à-dire que le projet doit répondre à une demande, à un besoin identifié en préalable. Le diagnostic et le montage doivent d'ailleurs associer les publics car il est nécessaire de s'appuyer d'abord sur leurs compétences.

Sur quels types de projet êtes-vous sollicités par les collectivités locales ?

- La lutte contre l'isolement des personnes âgées, les actions éducatives des retraités en direction des jeunes, et le travail sur la mémoire sont les trois axes principaux de nos interventions. Le service jeunesse d'Argenteuil (Val-d'Oise) nous avait demandé d'élaborer, pour un groupe de jeunes d'un lycée professionnel, un atelier mémoire autour d'un quartier qui était autrefois un bidonville. Nous avons retrouvé ses anciens habitants qui ont témoigné devant la caméra et nous avons produit un film de 51 minutes.

Nous intervenons de plus en plus pour des services de la petite enfance, des crèches ou des maternelles qui sollicitent la participation des personnes âgées, parce que la mixité des âges apporte une véritable valeur ajoutée que les professionnels ne peuvent pas donner. Il peut s'agir d'activités d'éveil ou de sociabilité (goûter, chant, balade...). La ville de Colombes (Hauts-de-Seine) par exemple, depuis six ans, a mis en place une série d'initiatives, associant le centre de loisirs et la maison de retraite. Cette démarche, conduite par le centre communal d'action sociale et le service « animation des retraités », consistait à amener les aînés à lire des contes aux plus jeunes. Les conteurs et les conteuses ont ainsi suivi un stage de lecture. C'est un réel travail pédagogique qu'ils ont dû mener : on ne lit pas une histoire à un groupe d'enfants comme on le ferait à son petit-fils. Une charte de l'intergénérationnel a été élaborée dans un second temps afin de réguler certains points : les personnes âgées bénévoles avaient parfois des problèmes relationnels avec les animateurs du centre de loisirs en prenant notamment trop d'initiatives. Certains seniors étaient aussi un peu trop rudes à l'égard des enfants.

A quelles difficultés vous heurtez-vous dans la mise en place de ces projets ?

- La vieillesse a mauvaise presse. La tendance générale consiste à dire « cachez ces vieux que l'on ne saurait voir ». Certaines villes ne veulent pas communiquer sur ce thème, préférant afficher une image jeune et dynamique. On fabrique ainsi des individus malheureux à cause de leur âge. De plus, ne pas « montrer la vieillesse », induit des pratiques de domination, de paternalisme, d'infantilisme. Pourtant la vieillesse est une richesse qui crée des emplois, génère de l'activité comme cela a, par exemple, été le cas dans des petits villages de la Nièvre avec l'initiative « Les 80 ans de ma mère », dont Accordages a réalisé l'évaluation. De jeunes artistes ont travaillé durant deux mois avec une quarantaine de personnes âgées à la réalisation d'un objet à quatre mains. Ces personnes étaient parfois très isolées dans certains de ces villages qui ne comptent plus que quelques habitants. A présent, elles reçoivent des visiteurs intéressés par la dimension artistique de cet événement.

L'autre difficulté que nous rencontrons dans la mise en place des actions intergénérationnelles, ce sont tous les cloisonnements qui marquent la société française. Les services publics, même territoriaux, repèrent un public en fonction d'un critère, de l'âge par exemple, identifient un besoin, et mettent en oeuvre des moyens, des personnels et des institutions. On fait des prestations à destination d'un corps social isolé, morcelé. Mais c'est une solidarité artificielle : on regroupe un public qui connaît les mêmes difficultés face à une organisation pyramidale et on s'interdit du même coup les solidarités entre les personnes. Les services publics territoriaux devraient d'abord être une plate-forme de développement du lien social avec une organisation transversale. Cela passe par exemple par la mise en contact de deux ou de plusieurs services afin qu'ils montent en commun une opération en associant leur public respectif. La ville d'Angers (Maine-et-Loire), par exemple, a su créer une organisation où tous les services sont amenés à travailler les uns avec les autres : culture, personnes âgées, jeunesse... Le territoire administratif est différent des vrais territoires d'action.

Quant aux financements ?

- C'est un autre problème : à qui doit-on s'adresser, puisque l'action intergénérationnelle, par définition, va impliquer différents secteurs administratifs ? Par ailleurs, les dispositifs sont élaborés par tranches d'âge ou par domaines. C'est sur tous ces cloisonnements que l'on devrait agir pour mettre en place une véritable politique intergénérationnelle. On retrouve cet obstacle pour l'évaluation des actions intergénérationnelles où différents services doivent être mis à contribution. Or cette démarche est nécessaire pour modéliser les actions développées à l'échelle de la commune et intégrer l'intergénérationnel dans l'ensemble des politiques locales, y compris dans l'urbanisme (4). Mais comment l'intergénérationnel peut-il se traduire concrètement au sein de l'administration ? Nous avons besoin d'outils de suivi pour rendre visibles ces actions et justifier que l'on engage des dépenses.

Pour vous, il y a urgence ?

- Je crois en effet qu'il y a une vraie guerre qui ne dit pas son nom entre les générations de 50 ans et plus et les jeunes. Il y a une coupure générationnelle sur laquelle j'alerte régulièrement la puissance publique. C'est une lutte sourde autour de l'emploi, du revenu, des médias, du cadre de vie, des valeurs esthétiques, qui se joue actuellement entre les aînés qui ont connu au cours de leur vie une augmentation des revenus, du patrimoine, une amélioration de leur statut professionnel, et les jeunes générations. C'est pourquoi il faut se poser la question de la transmission, de ce que les aînés vont laisser derrière eux. On se rend bien compte, lorsqu'il y a des consultations publiques sur les aménagements des villes, que les attentes ne sont pas les mêmes : les plus vieux, les « installés » ne veulent pas de tours, pas de voitures, contrairement à la majorité des jeunes. Il existe aussi des micro-conflictualités au sein des espaces urbains : les personnes âgées qui sont surreprésentées dans les HLM se sont retrouvées dans un environnement qui a beaucoup changé avec l'arrivée d'une population jeune importante. Et elles ne supportent plus l'utilisation qui est faite des espaces sociaux, comme les cages d'escaliers ou l'abord des immeubles. C'est pourquoi il faut absolument créer des espaces de rencontre. Les maisons de quartier, en particulier, devraient travailler sur la fonction d'accueil en modifiant les âges des personnels pour faire entrer plus de personnes âgées. Des conseils d'usagers au sein de ces maisons seraient susceptibles de faire émerger des désirs communs. Mais pour cela il faut créer les éléments de la rencontre.

Notes

(1) Accordages :16, rue du Général-Brunet - 75018 Paris - Tél. 01 47 70 79 67 - www.accordages.com.

(2) Voir ce numéro, p. 23.

(3) L'intergénération : une démarche de proximité - Ed. La Documentation française - 14 € .

(4) Le gouvernement a d'ailleurs, dans le cadre de la conférence de la famille, annoncé son intention de promouvoir un « urbanisme intergénérationnel » - Voir ce numéro, p. 24.

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