Depuis les violences urbaines de l'automne dernier, les tentatives de décryptage se sont multipliées. « Aucune grille de lecture n'est cependant parvenue à s'imposer et nombre de discours approximatifs continuent d'obscurcir le débat public », constate le Conseil d'analyse stratégique (CAS) dans sa « note de veille » du 19 juin (1). Pour porter un éclairage aux événements, l'institution a choisi d'étudier les dossiers individuels des personnes déférées en comparution immédiate au tribunal de grande instance de Bobigny pour des faits de violences urbaines commis du 29 octobre au 14 novembre 2005. 115 individus étaient concernés, tous majeurs, poursuivis pour un nombre total de 160 infractions commises en Seine-Saint-Denis (10 % des infractions recensées au plan national durant cette période).
Premier enseignement : bien que connus des services de police et de gendarmerie, nombre de jeunes n'avaient jamais fait l'objet de poursuites judiciaires. « Dans ces conditions, les personnes concernées ne peuvent être décrites comme profondément engagées dans la délinquance », souligne le CAS. Si 40 % d'entre elles ont déjà été condamnées, pas plus d'une condamnation en moyenne figure à leur casier judiciaire. Les trois quart des jeunes déférés ont moins de 21 ans, sont dans leur grande majorité de nationalité française (82 % des personnes déférées en comparution immédiate) et habitent dans 86 % des cas chez leurs parents. 56 % d'entre eux vivent au sein de familles « traditionnelles » (contre 32 % dans des familles monoparentales, 9 % dans des familles recomposées et 3 % dans des familles polygames), mais près d'un tiers ne dispose plus du tout de référent paternel ou maternel. Souvent issus de familles nombreuses (cinq enfants en moyenne), ils « vivent dans des foyers marqués par la précarité, tant sur le plan de l'emploi que du logement (31 % vivent à plus de deux par pièce) ».
Quel a été le traitement judiciaire de ces infractions ? 89 % des condamnations prononcées à la suite d'une comparution immédiate se sont traduites par des peines d'emprisonnement. Paradoxe cependant : « les mêmes procédures dans le même ressort ont donné lieu à des décisions de relaxe dans 35 % des cas, chiffre extrêmement élevé ». Preuve que l'institution judiciaire a d'abord répondu « par l'impératif du maintien de l'ordre public avant de trouver, dans un second temps, un fonctionnement plus classique ». Ainsi, dans près du quart des dossiers, les décisions de relaxe ont concerné des personnes ayant comparu détenues. La difficulté de caractérisation et d'imputation de certaines infractions et le déferrement systématique, « qui a conduit le Parquet à ne pas exercer son rôle de filtre des procédures », expliquent le taux de relaxe observé.
(1) « Le traitement judiciaire des violences urbaines : leçons d'une étude de cas » - Note de veille n° 16 - Disp. sur