Le phénomène avait déjà été mis au jour par les associations, notamment par Médecins du monde (1). Cette fois, c'est l'administration qui enfonce le clou de manière officielle, obligeant les pouvoirs publics et les professionnels de santé à réagir...
Le Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie (Fonds CMU) a rendu publique, le 22 juin, une enquête, réalisée à sa demande selon la méthode du « testing », qui confirme l'existence et mesure l'ampleur du refus d'accès aux soins, dont sont victimes les patients bénéficiaires de la CMU complémentaire (CMU-C) (2). Le Fonds a sélectionné un échantillon de six villes du département de Val-de-Marne, dans lesquelles plusieurs catégories de professionnels ont été appelées pour une prise de rendez-vous fictive. Lorsque les refus n'ont pas été clairement imputés à la CMU par le médecin ou sa secrétaire, les enquêteurs ont vérifié leurs doutes par un deuxième appel émanant d'un patient fictif, cette fois non bénéficiaire de la CMU-C. Quinze entretiens ont par ailleurs été réalisés pour affiner les hypothèses des enquêteurs.
Résultat : parmi l'ensemble des 215 professionnels contactés, l'estimation du taux de refus s'élève à 14 %. Plus inquiétant encore, 41 % des spécialistes ont refusé un rendez-vous. Dans cette catégorie, la palme revient aux psychiatres (50 %), suivis par les gynécologues (44,4 %), les pédiatres (40,9 %) et les ophtalmologues (33,3 %). Les dentistes sont 39,1 % à avoir refusé un patient, les généralistes 4,8 % (16,7 % en secteur 2, aux honoraires libres, contre 6 % en secteur 1).
L'étude montre de surcroît qu'au-delà des rejets catégoriques, les médecins adoptent d'autres comportements discriminatoires plus masqués. S'appuyant sur le présupposé que les bénéficiaires de la CMU ne travaillent pas, certains les orientent systématiquement sur des créneaux horaires spécifiques. D'autres apportent une restriction aux soins (les prothèses dentaires notamment) ou au département d'affiliation (seule l'affiliation à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne est parfois acceptée).
Dans plusieurs cas, les professionnels se défaussent en proposant une solution alternative : recevoir le patient à l'hôpital, le renvoyer vers une structure publique, lui demander le paiement d'un complément (refus du tiers payant) ou carrément contacter un autre médecin. « Ces résultats montrent indirectement la vision que certains professionnels ont de la loi : non pas un accès aux droits permettant aux plus démunis d'accéder aux mêmes types de soins que les autres, mais une assistance pour les plus pauvres », s'inquiète le Fonds CMU. A cette méconnaissance préoccupante de la loi par les médecins s'ajoutent des préjugés sur les abus ou prétendues incivilités de la part des patients bénéficiaires. Outre ces explications, la raison économique occupe la première place parmi les arguments de refus, notamment chez les dentistes.
Alors que le Fonds CMU déplore un « défaut de communication et d'information dirigée vers les praticiens qui constituent pourtant un maillon essentiel dans l'accès aux soins », le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a aussitôt réagi en saisissant le président du Conseil national de l'ordre des médecins sur ces actes « en contravention avec les codes de déontologie médicale ». « Si vous partagez mon point de vue, je vous serais obligé de bien vouloir rappeler au corps médical la nécessité déontologique de refuser toute discrimination à l'égard des personnes bénéficiaires de la CMU et de veiller à ce que de tels agissements soient sanctionnés par les instances compétentes de l'Ordre lorsqu'elles en sont saisies », demande-t-il. La Fédération hospitalière de France, qui regrette de tels comportements parmi des médecins de ville, « qui sont pourtant rémunérés par des fonds issus de la solidarité nationale », réclame également que le Conseil de l'ordre prenne des mesures de sanction.
L'Umespe, la branche « spécialistes » de la Confédération des syndicats médicaux français, rappelle les praticiens à leur devoir « de solidarité nationale et d'éthique médicale », tout en estimant que les refus de prise en charge sont « la conséquence des problèmes réglementaires et informatiques liés à la mise en place du parcours de soins par les CPAM, où les médecins spécialistes sont pénalisés financièrement lorsque les patients bénéficiant de la CMU n'ont pas déclaré de médecin traitant ». Des difficultés administratives réfutées par la caisse nationale d'assurance maladie, qui dénonce des refus contraires aux « obligations déontologiques des médecins libéraux ». Rappelant son attachement à l'égalité d'accès aux soins, elle souligne « les avancées récentes liées notamment à la mise en oeuvre de l'aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire et le coup d'arrêt mis ces derniers mois à la progression des dépassements d'honoraires grâce à la mise en place du parcours de soins ».
L'Uniopss demande pour sa part d'aller plus loin. Les plafonds de ressources pour l'attribution de la CMU de base et complémentaire devraient, selon elle, être alignés sur la définition européenne du seuil de pauvreté (60 % de la médiane des revenus, soit 755 € par mois par unité de consommation, au lieu de 50 % actuellement), que le Comité interministériel du 12 mai dernier a d'ailleurs promis de retenir. « Les personnes dont les ressources sont très faibles pourraient ainsi accéder de manière plus effective à des soins sans avoir à recourir à un mécanisme d'aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire qui leur laisse en moyenne 60 % du prix du contrat à leur charge », argumente-t-elle.
(2) « Analyse des attitudes de médecins et de dentistes à l'égard des patients bénéficiant de la couverture maladie universelle complémentaire » - Fonds CMU - Disponible sur