« Après la décision de passage de la majorité civile à 18 ans, en 1974, de nombreux jeunes se sont retrouvés majeurs du jour au lendemain et privés d'accompagnement éducatif ou social, faute d'adaptation du cadre législatif. Sensibilisés par cette réalité souvent cruelle pour beaucoup d'entre eux en réelle difficulté dans leur processus d'autonomisation, les pouvoirs publics feront alors paraître divers textes, telle l'ordonnance du 18 février 1975. C'est ainsi que l'ensemble du cadre permettant l'accompagnement judiciaire, administratif et pénal des jeunes majeurs fût créé. Lequel, au-delà de la question de la délinquance, affirme vouloir apporter une réponse à des publics «éprouvant de graves difficultés d'insertion» ou «confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre» (1).
Depuis, il y a eu la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) entrée en application le 1er janvier 2006. Les financements de l'action publique sont désormais décidés à partir de projets de performance, de missions, desquels découlent des programmes. Dans ce cadre dit «rénové», le budget de la Justice, une des «missions» de l'Etat, s'est vu doté de 5,9 milliards d'euros pour cinq programmes en 2006, soit une hausse de 4,6 % par rapport à l'année précédente. Le programme intitulé «protection judiciaire de la jeunesse» a obtenu 740 millions d'euros en 2006, soit 12 % du budget de la «mission justice» contre 10,8 % en 2005. Mais si la part consacrée aux mineurs délinquants (centres éducatifs fermés et renforcés) augmente de 38 %, celle allouée aux mineurs en danger et aux jeunes majeurs baisse de 16 % (2) !
Si l'on ajoute à ces chiffres, la hausse démographique des 18-25 ans et les problèmes critiques d'accès au logement auxquels sont confrontés ces jeunes, la contradiction entre les choix politiques effectués et la réalité quotidienne de cette population apparaît avec évidence. On peut dès lors s'interroger sur les orientations du gouvernement qui privilégie une politique répressive au détriment d'actions d'accompagnement, moins «visibles» médiatiquement, plus laborieuses, parfois en échec, mais au final souvent plus efficientes dans la durée, notamment dans le tissage de liens sociaux durables (3).
C'est cette efficience pourtant que, depuis plusieurs années, les autorités de contrôle et de tarification semblent ignorer. Aiguillonnées par une hiérarchie inquiète du nombre important des aides aux jeunes majeurs dans les départements, elles souhaitent les remettre en cause. Une attitude qui pourrait être fondée : interroger la pertinence d'un dispositif, associatif ou public, ne peut en effet, sous réserve d'objectifs et de méthodes fiables, claires et compatibles, que concourir à son amélioration.
Les dispositifs d'évaluation de la loi de janvier 2002 vont d'ailleurs clairement dans ce sens. Les cadres de l'action sociale accompagnent ainsi leurs équipes avec détermination dans cette direction, ayant bien compris combien ces efforts peuvent concourir, par un fonctionnement plus transparent et respectueux des bénéficiaires et de leurs familles, à la lutte contre la maltraitance institutionnelle.
Pourtant, la difficile réalité vécue dans les Pyrénées-Atlantiques depuis quelques années, et qui gagne aujourd'hui le plan national, montre bien l'urgence qu'il y a à interroger, de notre place de directeur, mais aussi de militant d'action sociale, les dispositifs locaux imaginés et les méthodes utilisées. Sans aucune consultation, ni des acteurs sociaux ni des organismes gestionnaires, autre que purement informative, sans étude préalable de population, ni des parcours des jeunes majeurs en très grande difficulté, sans avoir interrogé en amont les dispositifs destinés aux mineurs, sans étude des besoins, sans éclairage sérieux sur les raisons profondes du nombre important d'aides aux jeunes majeurs dans le département, les autorités ont décidé, dans un souci principal de maîtrise des coûts, de diminuer brutalement (PJJ) ou de repenser (ASE) les aides aux jeunes majeurs (4).
Par ailleurs, quelques cas isolés d'ordonnances de placement, très longues et sans doute critiquables, sont présentés comme le fonctionnement général et habituel de toutes les maisons d'enfants à caractère social (MECS) et de tous les juges. Ces méthodes, qui procèdent d'une généralisation hâtive, créent un malaise et rendent difficiles ultérieurement la confiance et la collaboration de qualité, pourtant plus que jamais nécessaire.
C'est dans ce climat délicat, et parfois suspicieux, que la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse (DDPJJ) et l'aide sociale à l'enfance, dans le cadre du «schéma départemental de l'enfance et de la famille des Pyrénées-Atlantiques», entendent lancer un «appel d'offres» pour déterminer quel sera l'acteur chargé de créer le nouveau dispositif «mutualisé» réservé aux jeunes majeurs. L'objectif visé semble être une «rationalisation» de l'activité avec l'idée qu'en diminuant l'offre, la demande sera moindre. Un raisonnement qui, pourtant, montre vite ses limites... Comment en effet imaginer sérieusement qu'il suffirait d'offrir moins de possibilités de réponses à la souffrance des jeunes pour qu'elle disparaisse ?
Pour revenir à la situation plus générale, il apparaît ainsi que de nombreux établissements sont aujourd'hui confrontés à une situation très dangereuse pour leur avenir (5). Tandis que les jeunes eux-mêmes, sans dispositif de remplacement élaboré préalablement à ces décisions et en concertation avec tous les acteurs sociaux, sont littéralement abandonnés.
Paradoxalement, limiter l'aide judiciaire aux jeunes majeurs aurait pu se concevoir, à la condition sine qua non que sa prise en compte dans le cadre de la protection de l'enfance ait été préalablement pensée et financée.
Cette situation amène de nombreuses questions, la liste présentée ici n'étant pas limitative. L'Etat via la protection judiciaire de la jeunesse peut-il cesser brutalement de fournir un service, sans contrepartie financière aux départements ? Est-il concevable de changer les règles en cours d'année ? Comment l'Etat peut-il décider de ne pas payer des mesures judiciaires ordonnées légalement, réalisées en conformité avec les habilitations et dans des établissements dont le projet d'établissement a été validé par les mêmes autorités ? Ces mêmes établissements peuvent-ils, et doivent-ils, refuser d'admettre les mineurs qui vont devenir majeurs dans les mois à venir ? Et si oui, ne s'agit-il pas de discrimination ? Prise en contradiction avec la procédure budgétaire cette décision imposant un quota est-elle légale ? Pour chaque refus de paiement de la DDPJJ, faut-il envisager un recours devant le tribunal administratif ? Les jeunes ont-ils aussi la possibilité de saisir le juge administratif et faut-il les aider à s'organiser en ce sens ? Les autorités ont-elles l'intention de fragiliser, voire de fermer certaines MECS, préparant ainsi «le terrain» pour la future loi sur la protection de l'enfance ?
Arrivés à ce point limite et avant l'implosion de nombreuses structures sociales, plus particulièrement de celles habilités à accueillir de grands adolescents en difficulté, nous souhaitons faire quelques propositions concrètes :
il faut tout d'abord obtenir un moratoire immédiat sur toutes les décisions des DDPJJ et DRPJJ en matière de quota pour 2006 et pour 2007 ;
il est nécessaire d'organiser rapidement des tables rondes dans chaque département et/ou région, afin de convenir de stratégies raisonnables pour tous les acteurs. Ces temps de rencontres doivent associer les professionnels, les associations, les organisations syndicales, les autorités de contrôles, les magistrats de la jeunesse, etc. ;
une commission départementale d'admission mutualisée pour les jeunes majeurs, composée des prescripteurs ou de leurs représentants, de responsables et d'acteurs de terrain des structures sociales concernées, de représentants des familles et des jeunes devrait être créée. Elle aurait pour mission de donner un avis éclairé aux prescripteurs, tant pour les premières mesures que pour les éventuels renouvellements et les réorientations ;
la question des aides aux jeunes majeurs ne saurait être limitée aux seules dimensions institutionnelles, malgré l'urgence. Il est indispensable de repenser ces accompagnements sereinement en prenant en compte également le suivi des mineurs, les dispositifs de droit commun, de prévention et de placement familial.
Enfin, il nous semble nécessaire d'aborder ces éléments de réflexion dans le cadre de la prochaine loi sur la protection de l'enfance. D'une façon générale, il convient d'engager un travail sérieux sur l'aide à l'autonomisation des jeunes de 17 à 21 ans, voire à 25 ans, en abandonnant toute tentation de simplification et de réponse aux seuls critères économiques. Puissions-nous rapidement être entendus. »
Pyrénées actions jeunesse : 18, rue Louis-Barthou - 64110 Gélos Tél. 05 59 06 07 67 - E-mail :
(1) Décret du 18 février 1975 et art. L. 221-1 du CASF.
(2) Eléments chiffrés issus du rapport législatif du Sénat relatif au projet de loi de finances de 2006.
(3) Voir l'intéressant article de Robert Bidart, Roland Ceccotti-Ricci et Hélène Franco sur
(4) Le schéma départemental des Pyrénées-Atlantiques prévoit la création d'un service « mutualisé » pour tous les jeunes majeurs. La concertation mise en oeuvre en ce sens mérite d'être saluée, tout en restant prudent sur les résultats à venir.
(5) Pour l'établissement que je dirige l'activité jeunes majeurs 2006 devrait se situer autour de 3 000 journées. La PJJ nous a informé le 28 avril que le plafond est fixé à 1 460 journées... depuis le 1er janvier.