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« Le dépistage, c'est l'échec de la prévention »

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S'il contient des avancées, le projet de loi réformant la protection de l'enfance, qui devait être adopté en première lecture au Sénat le 21 juin, entretient des confusions entre la prévention et le dépistage, les critères de danger et de risque de danger et reste trop imprécis sur les conditions de l'intervention judiciaire, analyse Pierre Verdier, docteur en droit et ancien directeur départemental des affaires sanitaires et sociales (1).

« Le projet de loi présenté par Philippe Bas (2) se propose de renforcer la prévention, d'organiser le «signalement» des enfants en danger et de diversifier les modes de prise en charge des enfants. Il contient beaucoup d'éléments tout à fait positifs que nous soutenons pleinement.

Signalons, pêle-mêle : l'affirmation de l'importance de la prévention ; la création d'une cellule départementale du signalement centralisée ; la diversification des modes d'intervention ; l'aménagement de l'obligation alimentaire pour les personnes qui ont été prises en charge par un dispositif de protection ; la clarification des conditions de partage de l'information entre personnes tenues au secret professionnel ; la possibilité pour le juge des enfants d'autoriser la personne ou le service auquel l'enfant est confié d'exercer certains actes relevant de l'autorité parentale dans des cas très précis ; la meilleure information et coordination justice/département ; les conditions d'écoute de l'enfant qui le demande (art. 388-1 du code civil)... Le texte affirme la subsidiarité de l'intervention judiciaire par rapport à l'intervention sociale.

Malgré cela, certains points restent à préciser : ainsi le projet entretient une certaine confusion entre prévention et dépistage ; les conditions de l'intervention judiciaire ne sont pas assez nettement définies ; le flou est maintenu entre les critères de danger et de risque de danger...

Pour avancer, il faut distinguer nettement trois niveaux d'intervention.

1 - La prévention. Le projet de loi en affirme la primauté dans ses intentions, mais cela ne se traduit que modestement dans les mesures proposées. La prévention, par définition, s'adresse à toute la population avant l'apparition des signes d'inadaptation. Pour qu'elle soit efficace, elle suppose la confiance : en 1810, les rédacteurs du code pénal l'avaient compris en codifiant le secret professionnel ; en 1972, les créateurs de la prévention spécialisée l'ont soutenu. Au début du siècle dernier, l'éminent avocat Maurice Garçon écrivait : «Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur. Mais ni le médecin, ni l'avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission, si les confidences qui leur sont faites n'étaient assurées d'un secret inviolable. Il importe donc à l'ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n'oserait plus s'adresser à eux si on pouvait craindre la divulgation du secret confié.»

Autrement dit, pour que l'entretien systématique du quatrième mois de grossesse ait quelque efficacité, pour que le suivi proposé par la protection maternelle et infantile (PMI) soit accepté, il est impératif que la PMI soit soumise au secret professionnel - c'est le cas dans la loi (3) aujourd'hui -, et qu'elle ait donc l'interdiction de signaler. On ne peut en même temps aider et contrôler. Or c'est exactement le contraire que prévoit la rédaction proposée pour l'article L. 226-2-1 du code de l'action sociale et des familles (CASF), qui oblige tous les services qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance ou lui apportent leur concours (dont la PMI) à transmettre toute information préoccupante sur un mineur en danger ou même risquant de l'être.

On nous objectera : peut-on constater qu'un mineur est en danger ou risque de l'être et ne rien faire ? Il ne s'agit pas de ne rien faire. Mais il faut faire un choix de méthode : ou on instaure un système de contrôle policier, avec ses limites, ou bien on développe la prévention, le soutien, l'aide, l'éducation, l'accès au droit, les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents. Les deux sont indispensables. Mais ce ne peut être les mêmes qui le font en même temps.

Sinon que se passera-t-il ? Il arrivera ce qu'annoncent déjà certaines familles en difficulté : ne plus faire de déclaration de grossesse, pour échapper au risque de la PMI. Alors que ce service peut être une aide et non une menace.

Bien évidemment, les dispositions de l'article 223-6 du code pénal qui font obligation à quiconque de porter assistance à personne en péril seraient maintenues y compris pour ce service, comme pour toute personne astreinte au secret professionnel, mais ce texte concerne seulement les situations de péril (danger avéré et immédiat) et non les simples situations préoccupantes, et il ne fait nullement obligation de signaler puisque cette assistance peut être apportée «par son action personnelle ou en provoquant des secours» (4).

2 - La protection sociale. Contrairement à la prévention qui propose des services indistinctement à l'ensemble de la population, la protection sociale est constituée par un ensemble de prestations accordées par décision unilatérale et individuelle du président du conseil général (5) à des personnes expressément désignées. Les notions de danger et de risque de danger, issues des textes de 1958 et 1959, pour distinguer la protection sociale de la protection judiciaire ne sont guère opérantes. Lorsqu'on risque d'être en danger, on est déjà en danger. En revanche, la collaboration de la famille ou l'impossibilité d'évaluer une situation (6) sont des critères objectifs. Si un enfant est en danger et qu'une aide sociale (appelée généralement à tort administrative) est efficace, cette forme d'aide est adéquate, et le juge, arbitre des conflits, n'est pas compétent.

3 - La protection judiciaire. Ce n'est pas le danger qui justifie à lui seul l'intervention judiciaire, c'est le danger consécutif à une carence parentale. Si un enfant malade est en grave danger de mort, le juge n'est pas compétent si les parents font ce qu'ils ont à faire. Il n'est compétent qu'en cas de défaillance parentale. D'ailleurs l'assistance éducative constitue une section du chapitre sur l'autorité parentale. C'est pourquoi la rédaction proposée au I du nouvel article L. 226-4 du CASF (contrairement au flou maintenu à d'autres articles) est satisfaisante : le président du conseil général avise sans délai le procureur de la République lorsqu'un mineur est en danger et que les mesures de protection sociale à domicile ou sous forme de recueil ne permettent pas de remédier à la situation ou lorsqu'il est présumé être en situation de danger et qu'il est impossible d'évaluer la situation, ou que la famille refuse manifestement d'accepter l'intervention du service de l'aide sociale à l'enfance ou qu'elle est dans l'impossibilité de collaborer avec ce service.

Si ces niveaux d'intervention sont clairs le dispositif gagnera en lisibilité et en efficacité.

Reste un quatrième niveau que certains ont évoqué un peu rapidement : le recours à l'armée. Nous pensons que cela ne peut s'envisager qu'en cas d'émeute généralisée. Hors ce cas, la mission de l'éducation incombe aux parents et aux éducateurs, non aux militaires. »

27, rue du Couédic - 75014 Paris Tél. 01 43 22 05 48 - E-mail : verdierpi@aol.com.

Notes

(1) Et auteur du Guide de l'aide sociale à l'enfance - Ed. Dunod, 2001.

(2) Voir ASH n° 2454 du 5-05-06, p. 13.

(3) Article L. 2112-9 du code de la santé publique : « Les articles 226-13 et 226-14 du code pénal relatifs au secret professionnel sont applicables à toute personne appelée à collaborer au service départemental de la protection maternelle et infantile. » En outre, sages-femmes, infirmiers, assistants de service social sont astreints au secret par profession.

(4) Article 223-6 du code pénal : « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 d'amende. »

(5) Article L. 222-1 du CASF.

(6) Notions introduites par la loi du 10 juillet 1989 et reprises à l'article L. 226-7 du CASF.

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