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« La partie émergée de l'iceberg »

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Mi-redresseurs de torts, mi-défenseurs de la veuve et de l'orphelin, les contrôleurs des caisses d'allocations familiales sont chargés d'aller chez les usagers vérifier l'exactitude de leurs déclarations. Constituant le volet humain du contrôle, ils jouent un rôle essentiel - même si, par rapport au fruit des échanges informatisés de données, les résultats sonnants et trébuchants de leur intervention sont très relatifs.

L'antienne n'est pas nouvelle. Mais, avec l'extension de la précarité, soit aussi celle du coût de la solidarité, l'idée que les allocataires de l'Etat providence pourraient bénéficier indûment de la générosité publique revient sous les feux de l'actualité. De très nombreux usagers, en effet, tirent l'exclusivité ou une large partie de leurs ressources de prestations servies par les caisses d'allocations familiales (CAF). Les intéressés ont-ils bien tous leurs droits, mais rien que leurs droits ? Affirmant, d'un même mouvement, sa vocation sociale et sa non moins grande rigueur, c'est en ces termes qu'il y a une dizaine d'années, la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a été conduite à poser la question du contrôle des prestations. L'institution entendait se démarquer d'une vision purement répressive de la démarche et se prémunir aussi des imputations de laxisme qui discréditeraient le système.

Comptables des fonds publics, les organismes distributeurs de prestations sont légalement tenus de vérifier la véracité des dires de leurs allocataires. Inscrite dans le code de la sécurité sociale, cette obligation n'est pas non plus récente. De fait, les conditions d'attribution et le montant de plusieurs prestations, en particulier les aides au logement, le revenu minimum d'insertion (RMI) et l'allocation de parent isolé (API), sont tributaires de nombreuses informations relatives aux différents aspects de la vie - souvent instable - des usagers. Résultat : les déclarations inexactes, incomplètes ou trop tardives pour que les changements de situation signalés puissent être pris en compte à temps sont légion. Aussi les CAF doivent-elles procéder, chaque année, à plusieurs millions de régularisations (voir encadré, page 28). Coû-teuses pour l'institution, les opérations de recouvrement de sommes indûment versées le sont aussi pour leurs débiteurs : avoir à rembourser ces dettes, alors qu'ils sont déjà en situation précaire, ne contribue pas à arranger leurs affaires. Quant aux allocataires qui ne perçoivent pas, en temps voulu, la totalité de leurs droits alors que nombre d'entre eux en ont un besoin vital, ils ne sont évidemment pas logés à meilleure enseigne.

Les CAF ont une batterie de moyens pour vérifier le bien-fondé des versements effectués à leurs allocataires ou ceux qui auraient dû l'être. Les plus importants et les plus rentables sont aussi les moins coûteux à réaliser - financièrement parlant comme en termes d'image puisqu'ils s'exercent à l'insu des usagers : il s'agit d'échanges informatisés de données avec d'autres organismes (voir encadré, page 29). Mais, le plus souvent, c'est l'envoi spontané d'une pièce par les intéressés qui permet de détecter les irrégularités. Le cas échéant, les caisses ne manquent pas non plus de demander aux allocataires de leur fournir des justificatifs de leur situation (1). Plus fréquemment, surtout si cette dernière est particulièrement embrouillée, elles diligentent auprès d'eux un professionnel spécialisé. Celui-ci pourra également enquêter dans les différents organismes qui sont habilités à communiquer des renseignements confidentiels aux CAF, voire chez des interlocuteurs qui ne sont pas tenus de lui répondre - mais qui, souvent, le font.

564 agents des corps extérieurs de représentation et de contrôle (ACERC) sont chargés de ces contrôles sur place (2). Ils constituent le volet humain du contrôle dans tous les sens de cet adjectif. « La partie émergée de l'iceberg », selon la formule de Jean-Charles Slama, directeur de la CAF des Bouches-du-Rhône : celle qui se voit et qui est là pour être vue, afin de faire peur aux fraudeurs et de rassurer la collectivité. « Vitrine » de leur institution qui les présente volontiers comme de preux chevaliers facilitant l'accès aux droits des allocataires - ce qu'ils sont aussi mais, pour un tiers du volume financier résultant de leur activité -, les contrôleurs des prestations sociales doivent chacun, potentiellement, veiller à l'exactitude des dires d'un portefeuille allant de 5 000 à 30 000 allocataires. Les 123 CAF, en effet, ne sont tenues que d'avoir au minimum un ACERC dans leur personnel. Au-delà, toute latitude leur est laissée de multiplier ou pas les postes. Ce qui dépend en grande partie du profil de leurs allocataires - et maintenant aussi de la politique des conseils généraux pour qui les caisses gèrent le RMI. Deux prestations, en effet, se partagent à égalité 80 % des contrôles à domicile : le RMI et l'API. « Non pas que leurs bénéficiaires fassent montre de comportements frauduleux, mais parce que en raison de leur propre complexité, ces prestations présentent de plus grands risques d'indus », précise Daniel Buchet, responsable du bureau « minima sociaux, maîtrise des risques, contentieux » à la CNAF.

Des électrons libres et assermentés

Avant de pouvoir se rendre chez les allocataires, les agents de contrôle doivent être agréés par la CNAF et prêter serment devant le tribunal d'instance : leur parole fera donc foi jusqu'à preuve du contraire produite par l'allocataire. Ce statut, dont ne dispose aucun autre personnel des CAF, peut conforter le penchant « flic » de certains, qui a surtout tendance à s'exprimer chez les plus anciens dans la fonction. Cependant, les différences d'approche ne sont pas uniquement une question de génération. Elles tiennent, aussi, pour partie, au profil personnel des ACERC, ainsi qu'à celui de leurs directions. Les premiers sont de « fortes personnalités » relativement incontrôlables car la plupart du temps à l'extérieur des caisses. Quant aux secondes, elles aussi peuvent avoir une fibre sociale plus ou moins affirmée. En outre, la connaissance que les différents protagonistes ont des règles de droit est également variable. C'est pourquoi la CNAF n'a de cesse de le répéter à « Mesdames et Messieurs les Directeurs et Agents Comptables » des caisses à qui elle adresse un abondant courrier : les allocataires ont des droits. Il n'empêche : les magistrats doivent parfois aussi le leur rappeler, car certaines CAF ont tendance à se faire leur propre jurisprudence.

« Ça travaille la tête »

Si, dans une certaine mesure, chaque caisse et chaque contrôleur ont leur façon de fonctionner, les ACERC partagent cependant plusieurs traits communs : le sens du bien public et une conception exigeante de leur fonction, le goût des autres et une véritable passion pour leur métier. Recrutés pour leurs qualités relationnelles et leur connaissance des prestations, la plupart d'entre eux ont d'abord exercé comme techniciens-conseils ou agents d'accueil des caisses. Le poste est attractif en termes de rémunération et de liberté de mouvement. On y gagne « un pouvoir énorme », s'étonne encore Danièle Duhamel, nommée contrôleur à la CAF de l'Eure en 2005, après y avoir exercé 34 ans au service d'accueil. Revers de la médaille : on ne dort pas bien tous les jours. Pourtant en fonction depuis 1973, sa collègue Nicole Blanc confirme que des problèmes de conscience la taraudent toujours : « Quand on sait que la situation de l'allocataire n'était déjà pas brillante et qu'on va l'aggraver, ça travaille la tête. » Mais la voix de la conscience est aussi professionnelle, et les deux agents de reprendre à l'unisson : « Si on a des éléments évidents avec des preuves, on est obligé d'assumer. Sinon, il faut changer de métier. »

Celui-ci, de fait, est difficile, parfois même dangereux. Sans forcément craindre pour leur sécurité - ou l'intégrité de leur voiture -, des ACERC font observer que leurs conditions de travail ont eu tendance à se détériorer au cours des dernières années. Cela tient, pour une part, au quota de contrôles plus important qu'ils doivent effectuer (80 par mois en moyenne, avec de grandes disparités entre les CAF). Or tous ne disposent pas d'un secrétariat pour préparer les enquêtes et les soulager du travail de bureau. Mais la dégradation constatée dans l'exercice du métier est surtout due à celle de la vie des usagers. « Les familles ont souvent peur quand elles voient arriver un agent de la CAF, car tout leur équilibre financier peut s'effondrer », commente Michel, ACERC à Lyon depuis neuf ans (3). Sur le terrain depuis 30 ans pour une caisse importante de la région parisienne, Nadine Urbe constate aussi la banalisation de certaines situations : des jeunes déscolarisés, une fille qui a un enfant à 14 ans, un grand fils en prison tous les quatre matins, et les parents au RMI depuis la création de l'allocation. « Mais ces gens-là, le législateur ne les connaît pas. C'est pourquoi, il y a un tel décalage entre la réalité et la loi », estime-t-elle. Sans compter que le rapport à la réalité de certains usagers est lui-même très fragile, complète Jacques, en poste depuis 25 ans dans une CAF moyenne de la région Rhône-Alpes : « Autant on se trouve sur un pied d'égalité pour répondre à un allocataire agressif qui veut vider son sac contre l'administration, autant il nous faut faire extrêmement attention avec des personnes psychologiquement très perturbées. »

Pour autant, il n'est pas envisageable de fermer les yeux sur la moindre anomalie. De quel droit ? s'insurgent les ACERC. D'aucuns confient peut-être avoir mal entendu la question, mais ils rejoignent vite le choeur des contrôleurs affirmant qu'il ne leur appartient pas de faire des cadeaux avec l'argent de la collectivité. Il y va bien sûr aussi de leur propre crédibilité. « La fraude, pour nous, c'est toute situation qui n'est pas conforme au dossier », résume Paul, qui sévit depuis 13 ans pour le compte d'une caisse moyenne du sud de la France. Evidem-ment, ajoute-t-il, à l'allure de l'environnement - quartier dégradé ou trou perdu dans la campagne -, et grâce aux recoupements effectués dans les mairies qui les connaissent aussi, « on voit rapidement les gens qui sont dans le 36e dessous - et qui n'ont pas cherché à nous truander ». Il n'empêche : tout fait constaté sera consigné dans le rapport d'enquête à partir duquel la CAF décidera des suites à donner au contrôle. Cependant, entre l'allocataire du RMI qui n'a pas déclaré quelques euros de ménage et celui qui dissimule un salaire, des allocations de chômage et, pourquoi pas, des « IJ » (indemnités journalières), il y a une marge que l'ACERC ne manquera pas de faire ressortir dans son écrit. Dans le deuxième cas, plus question de donner dans la prose. « J'ai coincé un flic qui avait fait sa demande de RMI le mois où il avait eu son concours et qui, depuis, touchait son salaire en plus de l'allocation : inutile de dire que je n'ai pas tourné autour du pot », précise Michel. S'agissant du RMI, il est d'ailleurs heureux que maintenant les départements soient plus regardants que ne l'étaient les préfectures et n'hésitent pas, le cas échéant, à déposer plainte, se réjouissent Michel et plusieurs de ses collègues. Cependant, si l'existence de fraudes est réelle, il s'agit d'un phénomène relativement marginal (voir encadré, page 30).

Un bon compromis...

Evidemment, les contrôles sur place n'ont pas tous d'incidences sur les droits, car la visite des contrôleurs fait très souvent apparaître que la situation de l'usager est conforme aux déclarations contenues dans son dossier. Et, quand elle ne l'est pas, il s'agira dans 47 % des cas de rappeler aux allocataires des prestations qu'ils auraient dû percevoir. Ce qui conduit Jean-Charles Slama à affirmer que les contrôles à domicile ne sont pas des opérations « rentables » (4) : « Ils génèrent quasiment autant de rappels que d'indus, car les contrôleurs font aussi du conseil. » A bon droit, précise le directeur de la CAF des Bouches-du-Rhône - tout en ajoutant qu'il lui faut quand même rappeler régulièrement aux ACERC « le juste niveau du métier ».

Cependant, à Marseille aussi, « l'oubli social » existe : s'il n'y a pas volonté manifeste de piller l'argent public, on pourra se contenter de notifier l'indu à l'intéressé. Quand l'ampleur des dégâts signalés par l'agent de contrôle est vraiment dérisoire, il arrive parfois également que certaines CAF n'exigent pas d'être remboursées. Souvent, leur débiteur aurait d'ailleurs été bien incapable de le faire. Mais dans tous les cas, une chose est sûre : lorsque la réalité de la situation n'est pas conforme aux déclarations qu'avaient effectuées l'usager, il faut arrêter « l'hémorragie ». Et ce, le plus rapidement possible, car le coût d'un contrôle qui s'éternise devient lui-même vite prohibitif. Alors, transiger peut-être sur une date de début de « vie maritale », mais savoir, en refermant la porte, qu'on va repartir du bon pied. Quand elles ne disposent pas d'éléments de preuve suffisamment convaincants, les caisses, en effet, peuvent avoir intérêt à prendre certaines assertions pour argent comptant afin de redresser rapidement la situation et accorder « au plus juste » le droit de l'allocataire pour la période à venir. Aussi demanderont-elles aux contrôleurs de ne pas s'acharner - trop longtemps.

Il n'en reste pas moins, bien sûr, que chacun est dans son rôle : prêchant le faux pour savoir le vrai, il y a des contrôleurs qui n'aimeront pas s'avouer « vaincus » ; il y a aussi des usagers qui sont de fieffés menteurs. Ou, du moins, qui mettent les nerfs des ACERC sérieusement à l'épreuve. A cet égard, la production des pièces justificatives que les agents sont précisément venus contrôler nécessite, souvent, qu'ils sachent faire preuve d'une grande patience. « Des papiers, on vous en sort de partout », explique Jacques : « Il y en a sous le lit, derrière l'armoire, sur le frigo, une fiche de paie par-ci, un vieil avis d'imposition par-là, et les dernières publicités de Wanadoo qui couronnent le tout. » Pour que l'usager puisse préparer ses documents, Jacques, ACERC depuis 25 ans en Rhône-Alpes, fait beaucoup moins de contrôles inopinés que par le passé.

« En principe », la charte institutionnelle du contrôle censée réguler (souplement) les pratiques des agents préconise d'ailleurs qu'ils évitent de se présenter chez les usagers sans prendre rendez-vous. Dans les départements très étendus où les ACERC ont de longs déplacements à faire, cette élémentaire courtoisie peut aussi éviter au contrôleur de se casser le nez. Cepen-dant, l'allocataire serait-il présent qu'il n'aura pas nécessairement préparé les documents dont l'agent avait joint la liste à son avis de passage. Bref, Pierre, Paul, Jacques et leurs collègues sont agréablement surpris quand ils trouvent sortie la boîte à chaussures contenant les fameux écrits. « Ce qui est très rare. Aussi, faut-il savoir prendre le temps... » C'est également nécessaire pour répondre aux allocataires qui profitent souvent de la visite du contrôleur pour poser quantité de questions qui n'ont pas toutes de liens avec les prestations. S'agissant de ces dernières, les ACERC ne sont pas non plus avares d'explications. Il faut que leur interlocuteur comprenne bien ce qu'il en est de sa situation. Le cas échéant, les agents de contrôle détaillent aussi les voies de recours qui sont ouvertes aux allocataires, voire rédigent un brouillon de demande de remise de dettes que ces derniers n'auront qu'à recopier. Déclarant souvent être les derniers représentants d'un service public à se rendre au domicile des usagers, les contrôleurs n'hésitent pas non plus à signaler aux services sociaux de la CAF ou du secteur le sort de ceux qui sont en très mauvaise posture.

L'essentiel est de faire un travail positif auprès des familles, et qu'elles le ressentent, souligne Marie-Claude Langlais, directrice des prestations de la caisse de l'Eure. « Ça ne se passe pas toujours bien, il ne faut pas idéaliser, mais on a une certaine image du contrôle : on veut le réussir dans tous les sens, y compris dans celui d'un meilleur accès aux droits des allocataires. » Les ACERC en conviennent : il ne s'agit plus, maintenant, de faire du contrôle « pur et dur » comme cela pouvait être le cas il y a 30 ans. Pour autant, les contrôleurs des prestations n'émargent pas au service médiation. C'est là toute l'ambiguïté de la fonction, souligne Nadine Urbe : « Le contrôle à domicile est un contrôle des pauvres. Il ne faudrait pas que ce soit un toboggan qui les fasse descendre encore plus bas dans la précarité. » Récusant la première assertion « à connotation péjorative et discriminatoire » formulée par l'ACERC, Daniel Buchet partage la seconde partie de son diagnostic. C'est pourquoi, explique-t-il, la politique de contrôle de la CNAF est fondée sur une vision mesurée de la « maîtrise des risques ». Mais l'institution, bien sûr, ne peut ignorer les crispations dont fait montre le personnel politique sur la question du contrôle des aides sociales. Plus curieusement, celles des usagers ne semblent pas moindres. Une enquête du Credoc, réalisée en 2001 (5), fait ainsi apparaître que 74 % des Français - et 72 % des allocataires... - estiment que les CAF ne contrôlent pas assez les bénéficiaires de prestations.

Indus et rappels, la rançon du système

Oubli, erreur et/ou retard dans le signalement d'un changement de sa situation : quand les informations nécessaires à l'établissement de leurs droits ne figurent pas sur les déclarations des allocataires, les CAF sont conduites soit à leur réclamer le remboursement de sommes trop perçues - les « indus » -, soit à leur verser les prestations qu'ils auraient dû se voir accorder - les « rappels ». En nombre, on compte chaque année entre 3 et 4 millions d'indus et environ 12 à 13 millions de rappels. Leur importance est directement liée à la réactivité du système aux transformations affectant la vie des usagers : même déclarées rapidement, celles-ci sont souvent connues trop tard pour éviter un redressement. La plupart du temps, ces irrégularités ne sont pas détectées par des opérations de contrôle. Dans trois quarts des cas en ce qui concerne les indus et quatre fois sur cinq s'agissant des rappels, leur découverte, par la CAF, fait suite à l'envoi d'une pièce par l'allocataire ou un tiers (la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, par exemple, pour l'allocation aux adultes handicapés).

Environ quatre allocataires sur dix connaissent une situation d'indu chaque année (6). Les allocataires en situation précaire, principalement les bénéficiaires de minima sociaux, sont à la fois les personnes les plus concernées par le risque d'indu et celles qui se voient notifier les montants d'indus les plus élevés. Ces indus sont parfois abusivement assimilés à des abus, voire à des fraudes. Or une analyse réalisée en 2000 et 2001 sur plus de 10 000 indus montre qu'environ les trois quarts d'entre eux n'ont aucune connotation frauduleuse (7).

Le public qui ne perçoit pas en temps voulu les prestations qui lui sont dues est également constitué de personnes dont la situation et donc les droits changent souvent (8). Plus fréquemment au chômage que la population générale des allocataires (20 % contre 11 %), ces usagers sont aussi plus pauvres : près d'un sur quatre (contre 20 % de l'ensemble des allocataires) se situe dans une tranche de revenus annuels inférieure ou égale à 2 500 € , et ils sont moitié moins nombreux (12 % contre 23 %) à disposer de ressources égales ou supérieures à 25 000 € par an.

L'informatisation du contrôle

Le recoupement des données contenues dans les fichiers des caisses d'allocations familiales (CAF) avec celles d'autres services publics se fait, depuis 2001, à partir du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques ou numéro de sécurité sociale (NIR) (9). Aujourd'hui, toute personne qui perçoit le revenu minimum d'insertion, l'allocation de parent isolé et/ou des prestations attribuées sous conditions de ressources (comme les aides au logement) voit ses déclarations confrontées à celles qu'enregistre le fisc. Sept millions et demi de contrôles de ressources - sur un total de dix millions et demi d'allocataires - ont ainsi été effectués en 2005. Par ailleurs, les dires de tous les usagers faisant savoir aux CAF qu'ils sont au chômage sont recoupés, mensuellement, avec les informations détenues par les Assedic - ce qui a représenté, la même année, environ 13 millions d'échanges automatisés. Pour faire bonne mesure, il convient encore d'ajouter les liaisons, elles aussi mensuelles, avec le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles et avec l'Agence nationale pour l'emploi, gestionnaires de divers stages et contrats aidés.

En permettant de connaître rapidement des changements de situation des allocataires - le cas échéant, avant même que les intéressés aient eu le temps de les déclarer -, ces contrôles informatiques contribuent à réduire les risques d'indus et de rappels. Il n'empêche : les échanges, quels qu'ils soient, ne sont efficaces que dans la mesure où la situation de l'usager est communiquée aux divers partenaires. Naturellement, par exemple, le travail dissimulé ne pourra pas être découvert par recoupements avec les Assedic puisqu'il n'y est pas déclaré. En dehors de toute intention frauduleuse des usagers, des incohérences peuvent ressortir de la confrontation des informations les concernant : pour en trouver la cause, il faut donc, aussi, interroger les intéressés. C'est également nécessaire pour obtenir certaines précisions relatives à leur vie familiale et à leurs conditions de logement, difficilement vérifiables autrement. Activité, ressources, résidence, isolement, charge d'enfants : quelle que soit la question en ligne de mire, c'est toute la situation de l'allocataire qui est passée au crible lors d'un contrôle à domicile. 359 444 ont été réalisés en 2005 (soit 4,5 % de plus que l'année précédente). Ils ont permis de détecter 81,6 millions d'euros payés indûment aux allocataires et 61,7 millions d'euros qui auraient dû leur être versés - sur un montant total de 389 millions d'euros d'indus et de 153,7 millions d'euros de rappels mis à jour par la totalité des opérations de contrôle effectuées en 2005, tous moyens confondus.

Fraudes : un phénomène à relativiser

Indus et faits délictueux sont deux choses différentes. Même si la fraude n'est pas pénalement établie, cela ne signifie pas que l'indu n'est pas justifié. Mais, aucun fait ne peut être pénalement qualifié de fraude si l'intention délictueuse du bénéficiaire de la prestation indûment perçue n'est pas prouvée. Les procureurs de la République rappellent souvent cette règle aux caisses d'allocations familiales : en 2005, seules 416 des 1 302 plaintes qu'elles avaient déposées ont abouti à une condamnation pénale. Et encore, les directeurs de caisse n'avaient pas toujours engagé d'action devant la juridiction répressive, puisque la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), cette année-là, estime avoir été victime de 2 295 cas de fraudes (10). Environ 50 % d'entre eux porteraient sur des minima sociaux (perçus par environ deux millions de personnes), parmi lesquels le revenu minimum d'insertion est particulièrement concerné.

Les fraudes recensées par la CNAF vont de « simples » fausses déclarations répétées jusqu'à des entreprises organisées de grande ampleur avec fabrication et usage de faux documents et/ou multiples faux dossiers constitués auprès de divers organismes. Pris dans son ensemble, le phénomène s'avère relativement limité. En nombre de cas comme en masse financière. En 2005, toutes prestations confondues, si on rapporte le nombre total de dossiers frauduleux dont les caisses estiment avoir fait les frais (soit 2 295) à celui des allocataires de l'institution (près de 10,8 millions), le taux de fraude s'élève à 0,02 %. Financièrement parlant, il est de 0,04 %, soit 21,4 millions d'euros pour plus de 50 milliards de prestations servies. La même année, en ne comptant que les rappels de prestations consécutifs à des opérations de contrôle, 153,7 millions d'euros ont dû être reversés aux usagers qui n'avaient pas perçu à temps l'intégralité de leurs droits. A titre de comparaison, le Syndicat national unifié des impôts évalue la fraude fiscale à plus de 50 milliards d'euros par an.

Notes

(1) Un million d'appels de pièces justificatives ont été faits en 2005.

(2) Sans avoir le statut de contrôleurs, une centaine d'enquêteurs peuvent également aller au domicile des allocataires effectuer des contrôles « légers ».

(3) Certains des ACERC rencontrés ont souhaité conserver l'anonymat. Ils sont donc uniquement cités sous un prénom d'emprunt.

(4) Cependant rappelons qu'en 2005, au plan national, l'excédent des indus sur les rappels, imputable au contrôle sur place, était de 20 millions d'euros.

(5) Voir « Les dirigeants de la branche Famille de la Sécurité sociale » - Recherches et Prévisions n° 74, décembre 2003 - CNAF.

(6) Voir L'e-ssentiel n°7, décembre 2002 - Publication électronique de la CNAF.

(7) Voir Informations sociales n° 126, août 2005 - CNAF..

(8) Données issues d'une enquête réalisée en 2003 - Voir L'e-ssentiel n° 37, mai 2005.

(9) L'utilisation du NIR a été rendue possible grâce à un amendement au projet de loi de finance 1999 déposé par Jean-Pierre Brard, député communiste de Seine-Saint-Denis, pour mieux lutter contre la fraude fiscale. Avant cela, des échanges informatisés avaient déjà été mis en place avec les Assedic à partir de 1992, avec le fisc depuis 1995.

(10) Sachant qu'un même cas de fraude comporte en moyenne deux actes frauduleux, par exemple une fausse déclaration de ressources et une fausse quittance de loyer.

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