Si le phénomène du non-recours aux prestations sociales par les personnes en situation d'exclusion a fait l'objet de plusieurs études (1) et d'initiatives pour y remédier, « il est parfois difficile de savoir si les instances en charge d'une prestation ou les politiques tiennent réellement à ce que le recours soit favorisé ». Dans un rapport (2) remis en février dernier à la direction générale de l'action sociale (DGAS), dans le cadre de son programme d'étude « Lutte contre les exclusions, qualité de l'accueil et participation des personnes en difficulté », le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) va à l'encontre des discours plus « politiquement corrects » sur le sujet.
Peur de la stigmatisation, difficultés d'ordre culturel, problèmes d'information, dysfonctionnement de l'administration... Les enquêtes ad hoc déjà réalisées évaluent jusqu'à 33 % le taux de non-recours au revenu minimum d'insertion, et jusqu'à 25 % celui à la couverture maladie universelle. Comment y remédier ? Le rapport étudie plusieurs voies inspirées d'expériences européennes, dont la construction d'indicateurs de non-recours. Mais celle-ci aurait l'inconvénient de fournir des données uniquement quantitatives, de surcroît peu fiables en l'absence de bases de données compatibles, et surtout de ne pas déboucher sur l'information des personnes concernées.
Autre solution, comme celle qu'a adoptée la Belgique : mettre en place un seul identifiant pour toutes les données des organismes de sécurité sociale, afin de pouvoir croiser les fichiers et ainsi favoriser un accès plus ou moins automatique aux droits. Sachant que les prestations sous conditions de ressources sont soupçonnées d'être un facteur important de non-recours, une autre option, plus radicale, serait de généraliser les prestations sous forme de crédits d'impôts.
Pragmatique, le rapport donne néanmoins sa préférence à une préconisation moins coûteuse et plus facilement réalisable : la mise en place d'un « réseau d'alerte institutionnalisé sur le non-recours », qui associerait les organismes locaux de sécurité sociale et les associations. La collecte d'informations existantes sur certains cas de non-recours pourrait permettre de lancer des enquêtes qualitatives ponctuelles afin d'identifier et d'informer les personnes concernées. Quel que soit le dispositif retenu, la « prospection » devrait, selon le Cevipof, être développée, à l'instar des actions menées par l'Observatoire des non-recours aux droits et aux services de Grenoble.
Le rapport rappelle par ailleurs un certain nombre de préconisations déjà formulées dans d'autres travaux : mieux informer le public sur ses droits, simplifier les procédures administratives, faciliter l'accès à la domiciliation pour les sans-abri, développer les « pôles d'accueil en réseau pour l'accès aux droits sociaux » (Parads) et valoriser les expériences de participation des usagers à des groupes de discussion avec l'administration sur les faiblesses des dispositifs.
Dans tous les cas, quelle est la volonté réelle de donner au système de protection sociale une vraie capacité à redistribuer les ressources aux plus pauvres ?
(1) Dernier en date, le rapport de mission préparatoire au rapport annuel de l'inspection générale de l'action sociale : Quelle intervention sociale pour ceux qui ne demandent rien ? - Voir ASH n° 2441 du 3-02-06, p. 5.
(2) Le non-recours aux prestations sociales chez les populations vivant en situation de précarité et d'exclusion - Marie-Pierre Hamel, sous la direction de Pierre Muller - Février 2006 - Cevipof : 98, rue de l'Université - 75007 Paris - Tél. 01 45 49 51 05.