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Un dispositif partenarial pour prévenir les maltraitances

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Après 15 mois d'existence, le dispositif de surveillance et de contrôle des établissements pour personnes âgées (Discepa), mis en place dans l'Essonne, montre la pertinence d'une politique menée conjointement par les services de l'Etat, du département et de la justice. De nombreux développements sont déjà envisagés.

Certaines images sont inséparables d'une action. Comme cette publicité choc que se plaît à montrer Jérôme Guedj, vice-président du conseil général de l'Essonne, chargé des solidarités et de la lutte contre les discriminations, qui incarne bien l'esprit du dispositif de surveillance et de contrôle des établissements pour personnes âgées (1) mis en place dans le département en février 2005. Sur un sol de cuisine, deux gamelles sont visibles : l'une est destinée à un chien, l'autre est étiquetée « Mamy ».

L'affiche accompagnait la création, cinq ans plus tôt, d'une première cellule de traitement des signalements d'actes de maltraitance, conduite en partenariat par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et le conseil général de l'Essonne. « Après cette première expérience, il était nécessaire de se doter d'un cadre formalisé pour mutualiser l'information dont nos services étaient destinataires et décider conjointement des réponses à y apporter », explique Jérôme Guedj.

Lancé en présence des 150 directeurs d'établissements pour personnes âgées du département, le Discepa marque l'engagement des pouvoirs publics dans un dispositif commun de détection, de traitement et de suivi des situations à risque. Préfet, président du conseil général et procureur de la République se retrouvent impliqués dans un comité de pilotage, aux côtés d'autres acteurs institutionnels comme la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP). Objectif : pouvoir recouper toutes les sources de signalements ou de suspicions de maltraitance et statuer au cas par cas en croisant les possibilités d'intervention des institutions représentées.

« Il y a eu ces dernières années un changement significatif avec la réforme de la tarification des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes [EHPAD] et les dernières lois de décentralisation qui ont placé le département comme interlocuteur de première intention pour les établissements pour personnes âgées. En se portant garant de la qualité de prise en charge des résidents, la puissance publique réaffirme sa volonté de régulation d'un secteur dans lequel certains avaient parfois trop tendance à se réfugier derrière la liberté d'entreprendre », affirme Jérôme Guedj.

Pour Marie-Solange Dubès, directrice générale adjointe de la solidarité au conseil général de l'Essonne, le dispositif s'ancre dans une logique de prévention. « Les signalements et les plaintes sont analysés par une cellule technique co-animée tous les mois par la DDASS et le conseil général. Des experts, des représentants de la DGCCRF ou de la direction du travail peuvent aussi y siéger en fonction de la nature des dossiers. L'idée est de tendre vers une plus grande réactivité dans les réponses à apporter, de vérifier de réunion en réunion si les recommandations que nous faisons sont bien suivies et de dresser un tableau plus précis de la maltraitance dans le département », explique-t-elle. Effet direct de ce soutien institutionnel présent à toutes les étapes du dispositif, « la maltraitance cesse aux yeux de tous d'être une simple affaire entre professionnels et s'affiche comme une priorité publique ».

De même, l'implication de la justice apporte une dimension inédite dans la gestion des signalements. Jusqu'alors, celle-ci s'effectuait en fonction des attributions de la DDASS dans ses domaines de santé publique et de sécurité, et des prérogatives de gestion budgétaire du conseil général. Mais ce système ignorait le parquet, lui-même très sollicité par les familles. « En travail-lant au sein du Discepa avec l'administration départementale et l'Etat, il devient possible de mieux cerner le phénomène de délinquance et son acception pé-nale », commente Jean-François Pascal, procureur de la République au tribunal de grande instance d'Evry. « Désormais, nous pouvons transférer à la DDASS les plaintes généralement classées sans suite par le parquet et qui viennent de l'émoi des familles par rapport à des coûts de journée trop élevés, des repas arrivant froids ou une architecture mal adaptée. Mais en sens inverse, des éléments d'alerte que le parquet n'aurait pas reçus peuvent conduire à dépasser le simple examen administratif et à diligenter une enquête de police », ajoute-t-il, jugeant cette procédure croisée « symptomatique d'un nouveau fonctionnement des services de l'Etat ».

A la DDASS de l'Essonne, on se félicite de ce fonctionnement, dont le premier des mérites est d'avoir reprécisé la cartographie des établissements posant des problèmes « plus ou moins récurrents » dans la qualité de la prise en charge. Sur les 80 EHPAD et les 70 foyers-logements du département (11 000 lits), une dizaine d'entre eux auraient ainsi été identifiés et feraient l'objet d'un suivi rigoureux. En outre, la DDASS centralisant l'ensemble des indicateurs d'activité du Discepa, leur exploitation permet de rappeler préventivement à certains promoteurs ou gestionnaires le nombre et la nature des signalements concernant leur établissement. Un argument de poids dans un contexte de renouvellement des conventions tripartites. Un grand groupe privé s'est ainsi engagé dans une réorganisation du management des EHPAD qu'il gérait dans le département, en raison de l'accumulation des plaintes concourant toutes à des problèmes de liaison entre les directions et les responsables de soins.

Accusé au lancement du Discepa de favoriser l'installation « d'un dispositif de suspicion », Bernard Leremboure, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de l'Essonne, préfère rappeler que le « message est bien passé » parmi les directeurs d'établissements. « Il s'agit de travailler avec les professionnels pour résoudre les problèmes qu'ils peuvent rencontrer. Il est important aujourd'hui que l'on comprenne que les autorités de tutelle des établissements s'organisent pour aborder les dysfonctionnements graves qui peuvent toucher les usagers et qu'une complémentarité de leurs moyens se met en place sur le terrain », assure le DDASS.

Avec une centaine de dossiers traités depuis la création du Discepa, la perception du phénomène de maltraitance s'est elle aussi affinée. « La moitié des signalements n'a fait l'objet que d'un simple traitement par courrier au niveau de l'établissement, suivi d'une information au plaignant », explique Marie-Noëlle Villedieu, directrice des personnes âgées et handicapées au conseil général de l'Essonne. Le chiffre peut paraître faible par rapport aux moyens déployés, mais il reste que l'essentiel de l'activité du Discepa consiste en un suivi patient des indicateurs qui, en se cumulant, déclencheront une surveillance plus active, voire entraîneront la prise de dispositions d'urgence. Un travail d'autant plus malaisé que le repérage d'éventuels actes de maltraitance active ou passive s'avère parfois délicat. « Un établissement qui dysfonctionne le fait toujours au niveau de sa direction. Or, en cas d'éléments très diffus, comme des chutes à répétition qui posent le problème de la compétence du personnel, il est difficile de mesurer le risque de gravité et d'alerter l'encadrement qui refuse souvent de reconnaître l'évidence. Quand les signaux s'accumulent, nous entrons alors dans un bras de fer qui passe nécessairement par des procédures d'inspection », observe Marie-Noëlle Villedieu. Auquel cas, un agent du conseil général accompagne la mission d'inspection diligentée par la DDASS.

Un bilan provisoire de l'activité du Discepa, effectuée entre février et novembre 2005, montrait ainsi que les trois quarts des 54 signalements émanant de 42 institutions portaient sur l'insuffisance de personnel, en nombre et en qualification, et sur le défaut de prise en charge médicale et paramédicale. Preuve de la difficulté à séparer les actes réels de maltraitance (physique, psychique, financière, médicamenteuse, privation des droits) de cette autre maltraitance que constitue la pénurie endémique de moyens accordés aux établissements pour

personnes âgées. En outre, la loi du silence qui peut parfois s'instaurer dans les institutions maltraitantes interdit toute évaluation précise du phénomène. En effet, après quelques affaires ayant défrayé la chronique en décembre 2005 et au début de 2006, le Discepa, dans un nouveau bilan arrêté en mars 2006, enregistrait 31 signalements supplémentaires touchant 22 institutions, dont cinq faisaient l'objet d'une inspection. Sans l'émoi suscité dans le département par un article du Parisien du 24 février dernier qui révélait les graves dérives d'une maison de retraite de Massy, combien de ces dysfonctionnements seraient restés enfouis dans le non-dit des résidents et du personnel ? « On s'est aperçu à cette occasion que des problèmes pouvaient se développer dans une maison de retraite sans qu'ils soient portés à notre connaissance. En l'occurrence, l'ensemble des plaintes des résidents parvenait à la direction qui, naturellement, ne s'en saisissait pas. Ce qui prouve aussi que les familles ne connaissaient pas le dispositif et ignoraient comment réagir », ajoute Marie-Noëlle Villedieu.

Une leçon pour le conseil général qui s'engage aujourd'hui dans un renforcement du contre-pouvoir associatif que représente le conseil de la vie sociale, installé au sein de chaque établissement par la loi du 2 janvier 2002, en informant les représentants des familles de l'existence du Discepa et de ses modalités de saisine. Mais, plus globalement, c'est à une nouvelle étape qu'invite ce bilan d'activité. A commencer par un renforcement des missions d'inspection. Menées conjointement par les services de la DDASS et du conseil général, celles-ci ne font pourtant l'objet d'aucun rapport cosigné. « Actuellement, c'est le rapport DDASS qui prime, avec son accentuation hygiène et santé publique. La logique voudrait qu'il y ait une parole commune de la puissance publique afin d'aboutir à une réelle procédure contradictoire intégrant aussi les aspects de personnels et de gestion », anticipe l'élu Jérôme Guedj.

Par ailleurs, rien ne s'oppose à une consolidation des passerelles déjà jetées entre les rôles dévolus réglementairement aux deux autorités de contrôle des établissements. La DDASS, par exemple, après avoir été confrontée à des problèmes de maltraitance dans le domaine de l'enfance handicapée, propose « d'étendre l'expérience à une notion plus générale de dépendance et de handicap, débordant le champ des personnes âgées qui ne répondait qu'à une situation d'urgence dans l'Essonne », comme l'explique son directeur. Le dispositif de surveillance et de contrôle des établissements pour personnes âgées de l'Essonne engendrerait alors un système complémentaire de traitement des signalements dans le secteur du handicap, « intégrant la problématique des associations tutélaires, et s'insérant lui-même dans un système plus large de veille, de surveillance et de prévention des risques des populations fragiles », confie Marie-Solange Dubès. Un projet qui permettrait de mener dans le département une politique globale de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables (âgées et handicapées), dont les lacunes ont été soulignées par un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (1).

Pour l'heure, la grande majorité des 150 directeurs d'établissements de retraite se montre favorable à une consolidation du Discepa, ne serait-ce qu'en raison de la formalisation des signalements qu'il induit. « La suraccentuation du phénomène de maltraitance dans l'opinion publique est devenue telle que les situations même les plus bénignes peuvent faire l'objet d'une plainte des familles. En ce sens, le Discepa permet de donner la mesure de chaque situation », reconnaît volontiers ce directeur d'un établissement privé, venant lui-même de recevoir une mission d'inspection. Toutefois, prévient-il, « si la promotion du dispositif le transformait en une voie de recours ordinaire, les directeurs se retrouveraient confrontés à un effet volume très préoccupant ».

En somme, toute la difficulté de répondre à une exigence publique sans se couper des réalités professionnelles.

(1) C/o conseil général - Marie-Solange Dubès, directrice générale adjointe de la solidarité : Hôtel du département - Boulevard de France - 91012 Evry cedex - Tél. 01 60 91 96 04.

(2) L'évaluation du dispositif de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des personnes handicapées mis en oeuvre par les services de l'Etat dans les établissements sociaux et médico-sociaux - L'architecture du Discepa a d'ailleurs été reprise dans les préconisations des inspecteurs - Voir ASH n° 2455 du 12-05-06, p. 7.

L'étape inévitable du domicile

Alors que la politique de développement des services à domicile conduit à autoriser l'intervention d'un nombre grandissant d'acteurs auprès de personnes particulièrement fragiles, l'importance que revêt le contrôle de la qualité amène le conseil général de l'Essonne à envisager un dispositif particulier tiré de l'expérience du Discepa. Depuis le début de 2006, un pôle « aide à domicile » a été créé au sein d'une petite cellule d'attachés territoriaux chargés au départ de vérifier les prestations des établissements. Encore en gestation, le dispositif pressenti différera du Discepa, car il sera conduit sans la DDASS et n'aura aucune compétence légale d'inspection du domicile d'un particulier. En l'état, le noyau dur serait constitué par le conseil général, au titre de l'évaluation des services rendus aux usagers bénéficiaires de l'aide sociale ou de l'allocation personnalisée d'autonomie, et la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, qui délivre, elle, les agréments qualité des intervenants.

Une première phase de mise en oeuvre est d'ores et déjà envisagée pour septembre 2006.

Fiche signalétique d'un service novateur

Lors de son lancement, en février 2005, le Discepa a fait l'objet d'un protocole de coopération signé conjointement par le préfet, le procureur de la République et le président du conseil général de l'Essonne. Une convention rendue nécessaire par les interactions entre les services de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), du conseil général et de la justice, relevant de trois ministères différents.

Outre les missions de gestion et de traitement des plaintes, assurées par l'intermédiaire d'un outil informatique développé en commun par la DDASS et le conseil général, le protocole stipule en effet que le dispositif est en mesure de « définir les interventions respectives de la DDASS et du conseil général en situation de crise et d'urgence », donc de se substituer en partie à leurs prérogatives. D'autre part, les services de l'Etat et du conseil général impliqués dans le fonctionnement du Discepa reçoivent pour mission de corriger « par tous moyens à disposition » les situations « préjudiciables au bien-être moral et physique » des personnes âgées. Une recommandation qui peut conduire à la saisine du parquet si des faits suffisamment graves sont constatés, ou encore à une demande d'intervention de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), lorsque des doutes pèsent sur la nature des montages financiers de certains établissements privés commerciaux, aspect sur lequel ni le conseil général ni la DDASS n'ont d'autorité.

Le fonctionnement du Discepa repose sur deux instances aux missions complémentaires :

A un niveau décisionnaire, un comité de pilotage, qui se réunit deux fois par an, est chargé d'arrêter le plan d'inspection des établissements identifiés comme sensibles, et de décider des mesures correctives éventuellement nécessaires. Composé du préfet, du procureur de la République, du président du conseil général, des directeurs de la DDASS, de la DGCCRF, des services spécialisés du conseil général, il peut se réunir à tout moment « en cas d'alerte grave ou de risque avéré ».

A un niveau d'investigation, une commission restreinte de gestion des plaintes, animée tous les mois par la DDASS et le conseil général, « étudie les nouvelles plaintes réceptionnées, [et] actualise le tableau de bord de veille des établissements sensibles ». Pour cela, ses procédures d'intervention intègrent aussi bien des inspections impromptues sur site - notamment en cas de doute sur le bon fonctionnement d'un établissement ou de non-communication d'informations - que des comptes rendus de visites, recommandations et injonctions.

La commission peut aussi s'adjoindre des experts (gériatre, directeur d'établissement...) ou avoir recours à des représentants d'autres administrations (municipalité, services vétérinaires, direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, etc.). Lorsque le risque de gravité est important, elle peut s'autosaisir et définir les conduites à tenir d'urgence en informant le préfet et le président du conseil général de ses conclusions.

Les premiers enseignements semblent plaider pour un renforcement des missions du comité de pilotage. « Trop limité au seul aspect de suivi des établissements sensibles, son évolution pourrait l'amener à adopter une dimension d'analyse de la qualité des services rendus dans l'ensemble des établissements », précise Marie-Noëlle Villedieu, directrice des personnes âgées et handicapées au conseil général. De quoi en effet replacer les quelques établissements à risque dans le contexte plus large d'un secteur massivement engagé dans la qualité.

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