Si l'entreprise crée des richesses, le travail social crée des ressources

« Il est de bon ton dans le discours politique de considérer le social avant tout comme un coût et de ne voir dans l'intervention des travailleurs sociaux auprès des personnes en difficulté qu'une invitation à la paresse. Le discours économique relaie très souvent cette conception. Dans l'état calamiteux où se trouve la France, nombre d'économistes et de chefs d'entreprise se gardent de se focaliser sur la modernisation du modèle social français, l'urgence étant de produire avant de redistribuer. Et de rappeler que le bon emploi ne viendra que de la croissance qui dépend de l'investissement des firmes et de leurs exportations, donc de leur compétitivité.Autrement dit, il faut avant tout s'attacher à régler les problèmes structurels d'un système productif trop compliqué, trop peu attractif, trop peu rentable.

Ce raisonnement n'est pas nouveau, disons qu'il fonde notre modèle de société depuis 1945 en faisant du social un sous-produit de l'économie. Ce social, convoqué pour réparer les ratés du marché, est conçu uniquement comme une dépense puisque ce sont les prélèvements obligatoires, cotisations et impôts, indexés sur les résultats de l'activité économique, qui permettent le financement de cette protection et de cette compensation des inégalités. On ne considère donc que l'efficacité productive en oubliant de considérer l'efficience sociale.

En lutte pour l'allocation des moyens, chaque entreprise et chaque territoire tentent d'attirer, de conserver et de mobiliser des personnes expérimentées et motivées pour ses activités productives. Or la répartition se faisant inégalement, les tensions qui en découlent deviennent un élément de fragilisation pour l'ensemble du système productif et territorial, comme l'ont récemment montré les révoltes urbaines d'octobre et de novembre 2005, qui affectent fortement l'image du pays et de sa région capitale. Ainsi l'ensemble des paramètres sociaux se révèle tout aussi déterminant que les subventions, les infrastructures ou les avantages en matière de coûts de production pour rendre un territoire attractif, sa population motivée et performante.

L'enjeu porte donc, d'une part, sur la capacité à forger des liens dynamiques entre ces deux composantes de l'activité humaine que sont l'économie et le social, chacune constituant la condition du développement de l'autre, et, d'autre part sur la possibilité d'un développement social qui s'attache à mettre en valeur les ressources sociales locales permettant de construire un environnement porteur. Il s'agit d'aider à densifier les liens sociaux et de structurer des réseaux plus ou moins stables de relations à partir de quoi ce capital d'interconnaissances devient un support mobilisable pour mieux s'intégrer en termes d'accès à l'emploi, de citoyenneté, de vie personnelle et sociale. Mais le développement social porte aussi sur l'activation ou la requalification des systèmes de survie qui apportent des compléments de subsistance et une technicité, comme par exemple les jardins familiaux, ou qui permettent à des personnes d'améliorer leurs conditions de logement en ayant recours à l'autoréhabilitation. Ce sont autant de pratiques, qui sont des vecteurs de socialisation et d'apprentissages techniques, qui trouvent à s'employer sur le marché du travail. Le développement social porte aussi sur des activités sportives, culturelles, artistiques permettant le déplacement des énergies et des intelligences tentées par la violence vers des objectifs socialement valorisés qui permettent des changements de trajectoire personnelle et collective en rupture avec un destin social. Enfin, le développement social s'attache à la pacification des relations en utilisant des techniques de médiation afin de rendre un milieu, un voisinage plus favorable aux échanges qui font le "vivre ensemble ".

Considérons à présent les forces vives qui peuvent susciter et accompagner ce développement social.Notre pays a la chance de disposer d'un réseau de travailleurs sociaux, généralistes et spécialisés, œuvrant dans les services publics et les associations qui se consacrent depuis des décennies à assurer différentes formes de solidarité aux personnes rencontrant des difficultés. Leurs prestations relationnelles, administratives et financières se doublent d'une activité encore peu lisible, et mal reconnue, de développement social qui contribue à traiter - et pas seulement à gérer - les questions d'accès à l'emploi, au logement, à la sécurité,d'intégration et d'apprentissages, etc. Ces travailleurs sociaux, placés en position de participer à l'amélioration des conditions sociétales indispensables à l'activité et aux performances économiques, représentent un atout décisif.Encore faut-il que la société et les décideurs accèdent à une autre représentation et donc à une autre conception du rapport entre l'économique et le social, et considèrent ce dernier non plus comme un coût, mais bien comme un investissement créateur de ressources et d'opportunités dont l'économie a besoin pour sa compétitivité. »

Philip MondolfoContact :philip.mondolfo@libertysurf.fr.