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Un rapport juge le nouveau mode de pilotage de l'AAH « peu lisible »

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Dans le cadre de la deuxième vague d'audits de modernisation de l'Etat lancée le 17 janvier dernier par Jean-François Copé, les inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des finances (IGF) se sont vu confiées une mission sur les modalités de gestion et d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), après sa refonte par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (1). Le fruit de leur travail vient d'être mis en ligne (2).Les inspecteurs étaient chargés non seulement de dresser un état des lieux du fonctionnement des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (Cotorep) - dont les attributions ont été confiées, depuis, aux nouvelles commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) - mais aussi d 'identifier les éléments de risque imputables au nouveau mode de pilotage de l'AAH quant à la maîtrise de la procédure d'attribution et au suivi des bénéficiaires.

Les Cotorep clouées au pilori

C'est peu de dire que le regard porté par les inspecteurs sur les Cotorep et les procédures d'attribution de l'AAH est, dans l'ensemble, négatif. Il va dans le sens des critiques émises de longue date par le monde associatif.Dénonçant « un service à l'usager peu performant » , ils estiment notamment que la question de la maîtrise des délais de traitement est « particulièrement critique ». « En 2004, dans plus d'un quart des départements, les décisions concernant l'AAH ont été rendues dans un délai supérieur à quatre mois, soit au-delà du délai au terme duquel la demande est réputée rejetée. »

Pointée du doigt également : la qualité même des décisions prises par les Cotorep, jugée « très faible » . Les inspecteurs s'appuient à cet égard sur les résultats d'une enquête conduite dans huit départements (3). Sur 450 dossiers, « près du tiers des décisions » étaient « non justifiées, qu'il s'agisse d'une erreur de taux du handicap ou d'une appréciation erronée du critère de l'impossibilité de se procurer un emploi(IPE) (4) ou d'une durée d'accord anormalement longue (s'agissant par exemple d'un handicap fortement évolutif). » Pour les inspecteurs, plusieurs facteurs expliquent ces mauvais résultats : le « caractère lacunaire » de la plupart des dossiers médicaux, l'examen sur pièces de la plupart des dossiers et l'absence corrélative de visite médicale récente, mais aussi la connaissance ou l'application parfois approximative du guide-barème par les médecins, près du quart des dossiers analysés faisant apparaître un taux erroné. « Ces erreurs de taux [ont pu] conduire à des attributions d'allocations indues ou inversement à des refus d'allocations à des demandeurs dont la situation le justifiait. » Autres constats « faisant ressortir la médiocre qualité des procédures suivies » : la tenue des dossiers, jugée dans l'ensemble « peu rigoureuse » (caractère peu fiable des informations relatives au parcours de la personne, pièces manuscrites parfois peu lisibles, etc.), mais aussi des divergences entre la partie administrative et la partie médicale ou encore des décisions « pas ou très insuffisamment motivées ».

Au-delà, les inspecteurs estiment que le pilotage du dispositif était insuffisant, tant au plan national qu'au niveau local. Cela s'est traduit par des procédures très hétérogènes et a contribué au maintien dans l'inactivité des bénéficiaires de l'AAH. « Aucune politique de sortie [n'a] été mise en place afin de rendre possible l'insertion sociale et professionnelle de ses bénéficiaires », regrettent les auteurs du rapport.

Des responsabilités insuffisamment clarifiées

Le mode de pilotage de l'AAH mis en place avec la loi du 11 février 2005 n'est pas non plus exempt de critiques aux yeux des inspecteurs. Il leur apparaît en effet « peu lisible » et « ne permet pas d'identifier les responsabilités de chaque acteur ». Au plan national, les rôles respectifs des administrations centrales et de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) « ne sont pas clarifiés ».Rappelons que la CNSA a vu ses missions élargies par la loi du 11 février 2005, qui lui confie notamment un rôle d'animation et de mutualisation des bonnes pratiques auprès des maisons départementales des personnes handicapées(MDPH). Ses objectifs et ses modalités d'intervention ont été précisés dans la convention d'objectifs et de gestion (COG) du 23 janvier 2006 (5). Or, si « la vocation de la CNSA vis-à-vis des MDPH paraît relativement claire », notamment en termes d'appui méthodologique ou de soutien financier, « il en va tout autrement pour l'AAH », expliquent les inspecteurs. En effet, pas plus la loi du 11 février 2005 que la COG n'attribuent de compétence ou de rôle particuliers à la CNSA en la matière. « Il s'ensuit que, si la gestion de l'AAH bénéficiera sans doute indirectement de l'action de la CNSA, par exemple via la production d'indicateurs d'activité des CDAPH, aucun objectif n'a été assigné à cette dernière pour suivre spécifiquement le pilotage de l'allocation, l'évolution du nombre de bénéficiaires, la célérité et la qualité des procédures engagées etc. »

Au plan local, les auteurs du rapport considèrent par ailleurs que les services déconcentrés de l'Etat disposent de peu de leviers d'action vis-à-vis des MDPH. Ils fustigent entre autres l'absence de cadre contractuel entre ces dernières et l'Etat, la jugeant préjudiciable à la définition et au suivi d'objectifs précis, notamment en matière d'insertion professionnelle. « On ne voit pas aujourd'hui sur quelle base, et d'après quelles procédures, les services de l'Etat seront fondés à demander des comptes rendus et à plus forte raison à établir et faire respecter des objectifs », par exemple en ce qui concerne le suivi des publics allocataires.

En outre, expliquent les inspecteurs, même si la gestion de l'AAH devrait indirectement bénéficier de la prise en charge globale des personnes handicapées par les MDPH, de « nouveaux risques » apparaissent, « touchant au creusement des écarts entre départements », à un « découplage aggravé entre l'attribution de l'AAH et les politiques d'aide au retour à l'emploi » , mais aussi à des «  effets de concurrence entre dispositifs d'aide sociale (revenu minimum d'insertion [RMI] notamment) ».

17 pistes d'amélioration

« Les constats sur le fonctionnement des Cotorep font clairement ressortir la nécessité de sortir d'une gestion au fil de l'eau, marquée par l'absence d'objectifs définis et d'outils de suivi des allocataires, et d'exprimer une véritable politique publique de l'AAH », estiment les inspecteurs, qui font en conséquence 17 propositions. Première priorité, à leur yeux : améliorer les procédures. Il conviendrait ainsi de fixer des objectifs de qualité de la procédure (autrement dit, d'améliorer la partie médicale du dossier de demande, systématiser la visite médicale, faire de l'entretien d'évaluation de l'employabilité une formalité substantielle de la décision d'AAH...) mais aussi des objectifs de service rendu aux allocataires (en ramenant par exemple dès 2007 les délais de décisions en dessous de quatre mois ou en encourageant la mise en place de points d'accueil physique délocalisés). Il faudrait également « s'assurer de l'égalité de traitement des demandeurs entre les départements » , en définissant par exemple des objectifs de convergence portant à la fois sur la maîtrise de la procédure (délais, conditions d'examen de la demande, taux de rejet) et sur le suivi des décisions prises.

Le rapport trace par ailleurs quelques pistes afin de « développer une stratégie d'insertion » . En premier lieu, il recommande d'améliorer l'examen de l'employabilité des demandeurs de l'AAH. Les inspecteurs suggèrent en particulier la constitution d'un groupe de travail qui serait chargé de constituer une grille de lecture de l'employabilité. Plusieurs critères pourraient l'alimenter, comme « la régularité du parcours professionnel antérieur, l'impact du handicap sur les possibilités de reconversion, l'aptitude à suivre des formations professionnalisantes », etc. Ils proposent également de substituer à la notion d'IPE celle de « désavantage reconnu dans la recherche d'emploi du fait du handicap » , dénomination à leurs yeux plus conforme au motif qui fonde l'octroi de l'AAH.

D'autres réformes, touchant aux principes mêmes de cette allocation, pourraient être envisagées. Comme accorder l'AAH pour des durées courtes à des personnes moyennement ou fortement employables, dans le cadre d'une démarche contractualisée d'insertion proche de celle du RMI. « Il s'agirait d'un renversement de logique par rapport à l'approche actuelle, qui consiste à n'accorder l'AAH qu'à des personnes dont l'employabilité est considérée comme faible. » Autre thème de réflexion proposé : la modulation des conditions et des durées d'octroi de l'allocation en fonction du degré de stabilité du handicap. « Ainsi, une AAH "pour soins" pourrait être accordée sur une durée courte, le temps nécessaire à la poursuite d'un traitement lourd. »

En tout état de cause, la stratégie définie par l'Etat sur l'AAH « doit s'appuyer sur un pilotage réaffirmé ». A cet égard, les inspecteurs préconisent notamment de préciser le rôle de chaque acteur (administrations centrales, CNSA, etc.). Ou encore de donner voix prépondérante aux représentants de l'Etat au sein des CDAPH pour les décisions relatives à l'AAH.

O.S.

Notes

(1) Voir en particulier ASH n° 2401 du 1-04-05 et n° 2409 du 27-05-05.

(2)  « Rapport sur l'allocation aux adultes handicapés - mission d'audit de modernisation » - IGF n° 2006-M-014-02 et IGAS n° 2006-044 - Gilles Clavreul, Anne-Michelle Bastéri, Sylvain Picard et Gautier Maigne - Avril 2006 - Disponible sur http://www.performance-publique.gouv.fr.

(3) Enquête portant sur les bénéficiaires de l'AAH dont le taux d'incapacité est compris entre 50 et 80 % et qui sont dans l'incapacité reconnue de se procurer un emploi.

(4) Ce critère, qui fonde l'attribution de l'AAH pour une incapacité comprise entre 50 et 80 %, est une notion complexe à appréhender et a fait l'objet en septembre dernier d'une circulaire dans laquelle des précisions sont apportées en vue d'harmoniser les pratiques - Voir ASH n° 2427 du 28-10-05.

(5) Voir ASH n° 2442 du 10-02-06.

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