« Il y a un an, le ministre de l'Intérieur de l'époque adressait une circulaire aux préfets les invitant à accorder, sous certaines conditions, des titres de séjour aux jeunes étrangers accueillis par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE)(2). Il s'agissait de pallier les effets pervers de l'article 67 de la loi du 26 novembre 2003 « relativeà la maîtrise de l'immigration, au séjour desétrangers en France et à la nationalité », qui a profondément modifié l'article 21-12,1°, du code civil(3). Qu'en est-il de la situation juridico-administrative de ces jeunes à leur majoritéun an après, et pour quel avenir ?
Avant la loi "Sarkozy", les mineurs étrangers pouvaient acquérir la nationalité française dès leur accueil à l'ASE. Depuis ce texte, ils doivent justifier au minimum de trois ans effectifs de prise en charge par l'ASE avant 18 ans pour pouvoir prétendre à cette nationalité. Or une grande partie d'entre eux arrive en France après l'âge de 15 ans. Ceux qui ne répondent pas aux critères édictés par cette loi - ils sont nombreux - se retrouvent dans l'irrégularité à leur majorité. C'est ainsi qu'ils sont susceptibles d'être reconduits à la frontière ou de demeurer dans la clandestinité en France. Ce qui conduit non seulement à l'annihilation du travail éducatif effectué précédemment et à la cessation de la prise en charge, mais aussi àl'interruption du processus d'intégration mis en œuvre par ces mineurs étrangers.
La circulaire du 2 mai 2005 constituait un espoir pour de nombreux travailleurs sociaux investis dans l'accueil et l'accompagnement des jeunes étrangers. On a cru que ce texte allait enfin leur permettre de régulariser leur situation administrative à leur majorité, d'autant plus que l'article 28 de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale comporte une disposition permettant aux mineurs étrangers de conclure un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation s'ils ont été pris en charge par l'ASE avant l'âge de 16 ans et s'ils le sont encore lors de la demande d'autorisation de séjour(4). Mais un an après, la réalité est toute autre, malgré les bonnes intentions de la circulaire telles que la délivrance de titres de séjour pour les jeunes en cours de formation -titres pouvant déboucher sur un emploi -, la possibilité, pour les jeunes ne répondant pasà cette condition, d'accéder au séjour lorsque les perspectives de retour dans leur pays sont faibles ou lorsque leur parcours d'insertion en France semble cohérent et en l'absence de toute menace à l'ordre public, ou encore la prise en compte des situations humanitaires, notamment pour les jeunes victimes de réseaux de traite des êtres humains ou d'exploitation sexuelle...
Depuis un an, les jeunes étrangers ont déposé des demandes de titre de séjour conformément aux dispositions de ce texte. Peu d'entre eux,du moins dans la structure où j'exerce en qualitéd'éducateur spécialisé, ont étérégularisés en dépit du fait que certains remplissent les critères prévus. D'autres reçoivent des récépissés de dépôt de demande de titre de séjour portant mention "étudiant" (5) au lieu de "vie privée et familiale", ce qui leur permettrait d'espérer un séjour durable afin de construire leur avenir en France. Notons que, du point de vue juridique, ces récépissés de dépôt sont de simples documents attestant d'une "demande". Le préfet peut,après examen du dossier, refuser la délivrance d'un titre de séjour à un jeune étranger ne répondant pas aux critères posés par la circulaire et ce, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire.
On attendait de la circulaire du 31 octobre 2005 sur la régularisation des étrangers sans papiers(6) une amélioration de la situation de ces jeunes, mais il n'en a pas été ainsi, le nouveau ministre de l'Intérieur se contentant de rappeler celle du 2 mai 2005. C'est le statu quo et cela risque de ne pas s'arranger dans les mois à venir. Rien ne laisse penser, en effet, que l'administration pourrait permettre à la masse des jeunes étrangers accueillis dans le cadre de l'ASE de prétendre à un titre de séjour durable. Seule la voie législative permettrait de clarifier la situation administrative et juridique des mineurs étrangers àleur majorité et par là-même de conforter leur désir d'insertion et d'intégration dans la société française.
Par ailleurs, le nouveau projet de loi sur l'immigration(7) ne conduit pas à l'optimisme pour ces jeunes en particulier. Le durcissement envisagé des conditions de regroupement familial, la généralisation des cartes de séjour temporaire(précarisant davantage le séjour des étrangers en France) et la priorité donnée àl'"immigration choisie" n'auront pour corollaire que de fragiliser davantage leur situation. En réalité, il est légitime de craindre une généralisation des refus de délivrance des titres de séjour pour ces jeunes et des invitations à quitter le territoire dans le mois à venir. Mais une lueur d'espoir demeure, me semble-t-il.
Malgré la cacophonie juridique apparente qui règne sur la situation des mineurs étrangers à leur majorité, certains départements continuent àfinancer et à conclure les "contrats jeune majeur" prévus à l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, là où d'autres estiment que"signer de [tels] contrats reviendrait à se mettre en situation illégale par rapport à la loi, puisque le projet d'insertion devient irréaliste compte tenu de l'irrégularité du jeune" (8).Or la conclusion des contrats jeune majeur est essentielle pour la régularisation administrative de ces jeunes : en ne créant pas de rupture dans la prise en chargeéducative, elle peut, en tant que preuve d'intégration, empêcher l'expulsion des intéressés, dont la plupart sont en réelle souffrance et dont les conditions de retour dans leur pays ne sont pas réunies. Dans un arrêt du 21 avril 2000(9), le Conseil d'Etat a annulé un arrêté de reconduite à la frontière d'un jeune adulte de 20 ans au motif "qu'il était pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, dans le cadre d'un contrat jeune majeur et qu'il mettait tout en œuvre pour s'intégrer dans la société française".De ce fait, en cas de refus - par le préfet - de délivrer des titres de séjour aux jeunesétrangers ayant conclu un contrat jeune majeur et qui disposent d'un projet permettant leur intégration dans la société française, l'arrêt "Oladipupo" peut être invoqué devant le juge administratif. Cet arrêt me laisse penser qu'en cas de contentieux allant en ce sens, la France se verra dans l'obligation de délivrer des titres de séjour (dont le statut restera néanmoinsà définir) à de jeunes étrangers ayantété confiés à l'ASE et ayant des projets d'avenir.
La finalité de démarches tendant àl'obtention d'un titre de séjour demeure à terme l'intégration du jeune étranger dans la société française. En tout état de cause, les réponses aux besoins des mineurs étrangers isolés nécessitent, de la part des intervenants sociaux et éducatifs, des démarches diversifiées et personnalisées. Toutefois, une réponse juridique claire (émanant du pouvoir législatif et non de simples instructions ministérielles) à leur situation administrative demeure le préalable à tout travail socio-éducatif inscrit dans le temps. Autrement dit,l'éclaircissement du statut juridique du jeuneétranger est un élément déterminant dans sa volonté de s'intégrer ou non dans la société française. En un an, la circulaire du 2 mai 2005 ne semble pas avoir apporté les réponses attendues. »
Francisco Mananga Contact :e-mail :
(1) Et chargé d'enseignement à l'IRTS de Loos-lès-Lille.
(2) Voir ASH n° 2408 du 20-05-05.
(3) Voir ASH n° 2338 du 19-12-03.
(4) Voir ASH n° 2395 du 18-02-05.
(5) Le statut « étudiant » est le moins protecteur pour un étranger désireux de vivre durablement en France en ce sens que son titulaire se voit dans l'obligation de réussir les études entamées et qu'à la fin de celles-ci, il est invité à retourner dans son pays. Ce qui, pour la plupart des mineurs étrangers isolés accueillis par l'ASE, est, sinon impossible, du moins difficile.
(6) Voir ASH n° 2428-2429 du 11-11-05.
(7) Voir ASH n° 2449 du 31-03-06.
(8) Voir ASH n° 2341 du 9-01-04.
(9) Arrêt « Oladipupo » du 21 avril 2000, contentieux n° 210291, inédit au Recueil Lebon, consultable sur le site www.legifrance.fr.