« Moniteur-éducateur, un métier invisible, insu, impensé... ? »L'interrogation lancée en introduction des premières rencontres des moniteurs-éducateurs organisées par l'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social (Aforts) (1), en dit long sur les débats qui agitent la profession, àl'heure où les travaux sur son référentiel métier sont en voie d'achèvement. Promise pour septembre 2007, la prochaine réforme d'une des fonctions les plus difficiles à percevoir, car tournée vers la vie quotidienne des personnes en difficulté, ravive le problème jamais réellement résolu de sa place dans le travail social. A la fois pédagogues,accompagnateurs et animateurs, les moniteurs-éducateurs voient leur identité menacée par le chevauchement des fonctions avec les aides médico-psychologiques (AMP), les auxiliaires de vie sociale, les techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF) et, désormais, les sortants des nouveaux bacs professionnels.
Pour Yves Depraz, ex-président du comité d'entente des écoles de moniteurs-éducateurs, la crise d'identité remonte en réalité àl'origine du métier. Issue, à la fin du XIXe siècle, de la protection de l'enfance abandonnée et délinquante, puis forgée par le militantisme social ou catholique, la profession ne sera reconnue par un diplôme d'Etat - le certificat d'aptitudes aux fonctions de moniteur-éducateur - que très tardivement, « en 1970, sous l'impulsion de plusieurs personnalités », précise Yves Depraz.Le programme est alors de 300 heures de théorie,complétées par un apprentissage des techniqueséducatives et par des stages pratiques. « Mais chaque école avait sa propre définition du contenu de formation et les profils de poste n'étaient pas réellement précisés par les employeurs. » De fait, chaque remaniement du diplôme, en 1973,1985 et 1990, est venu signer uneévolution de la définition du moniteur-éducateur. Seul point commun :« La profession permettait d'intégrer des gens peu diplômés, souvent en échec scolaire, pourvu que leur engagement fût fort. Le niveau s'est progressivementélevé, mais les écoles ont toujours conservé cette dimension, quitte à déployer une aide spécifique pour certains élèves en complément de leur formation. »
Participant du malaise de la profession, la relation avec leséducateurs spécialisés reste elle aussi peu formalisée. En 1986, un groupe de travail du Conseil supérieur du travail social conclut que la formation des moniteurs-éducateurs devait être considérée comme un« palier » ouvrant l'accèsà celle des éducateurs spécialisés.« Les textes ont alors centré le moniteur-éducateur sur l'action éducative au quotidien et ils ont confié aux éducateurs spécialisés l'élaboration et la conduite des projets éducatifs », raconte Henri Bossu,directeur de l'institut Saint-Laurent.
Vingt ans après, c'est ce positionnement « par défaut » que de nombreuses voix dénoncent en redoutant de le voir figé dans un texte réglementaire. « Si le moniteur-éducateur a survécu, c'est qu'il s'est adapté. Il a occupé des postes de travail que leséducateurs spécialisés avaient désertés ou parce que les décideurs ne voulaient plus des seuls éducateurs spécialisés pour des raisons financières ou idéologiques. » Le métier souffre, de ce fait, d'importantes disparités d'un territoire àl'autre et ses lieux d'exercice sont très divers(éducation surveillée, enfance inadaptée,handicap, etc.). En dépit des différences de formation avec les éducateurs spécialisés (950 heures pour les moniteurs-éducateurs et 1 450 heures pour les éducateurs spécialisés),« de nombreuses structures hésitent àformaliser les pratiques éducatives des uns et des autres au titre de la diversité des compétences acquises lors des formations », constate Jean-Frédéric Baeta, responsable de la formation des moniteurs-éducateurs à l'Institut de travail social de Tours.
Une enquête, réalisée pour le compte du fonds d'assurance formation Unifaf (2), montre pourtant qu'il n'y a aucune ambiguïté. Les moniteurs-éducateurs affichent résolument leur ancrage dans le quotidien et l'animation. Par exemple, très présents pour les repas, le coucher, les activités de loisirs, le transport des personnes, voire les tâches ménagères, ils sont beaucoup moins sollicités que les éducateurs spécialisés pour les démarches administratives, l'orientation ou la construction des parcours individuels. Pourquoi alors cette confusion si répandue des fonctions à l'intérieur desétablissements ? « En premier lieu, parce que la fonction éducative est trop rarement mise en avant dans les projets ou dans les efforts de communication externe des structures, le pédagogique présentant sans doute une offre de résultats plus tangible »,répond Jean-Frédéric Baeta.Résultat : l'accompagnement quotidien des personnes, ce« vivre avec » dont se revendiquent les moniteurs-éducateurs, est souvent reléguéà une reproduction de gestes sans théorisation particulière, donc déléguée à de multiples intervenants. « Mais c'est oublier le travail du moniteur-éducateur. La pédagogie du quotidien, c'est la question du sens accordé àl'accompagnement. Derrière ce "vivre avec", c'est tout le fondement de l'acte éducatif qui se pose »,martèle Sylvie Duvergey, formatrice à l'institut Saint-Laurent et directrice d'une maison d'enfants àcaractère social.
Dans ce contexte, quelle possibilité de se démarquer face aux nouveaux métiers du social, tous dotés de référentiels d'activités très larges ? Du côté de l'Aforts, on observe un recouvrement des fonctions exercées et des demandes institutionnelles. « On pourrait penser que l'on est dans un champ bien identifié avec des frontières solides et des métiers porteurs, mais il n'en est rien. On voit au contraire de grandes tensions s'exercer au niveau des diplômes et de leur articulation », constate Claude Noël, animateur de la commission« moniteurs-éducateurs » de l'Aforts.Et l'apaisement semble illusoire tant les intérêts des instances de certification divergent. Délivré par l'Education nationale, le diplôme de moniteur-éducateur s'ajoute aux diplômes d'auxiliaire de vie sociale, d'AMP, de TISF, qui relèvent, eux, du ministère en charge des affaires sociales. Liste àlaquelle se rajoutent les différents brevets d'études professionnelles agricoles (BEPA) de services à la personne du ministère de l'Agriculture ou les nouveaux bacs professionnels d'animation vie sociale qui dépendent de deux ministères différents en fonction de leur spécialisation.
D'autant, ajoute Philippe Gaberan, docteur en sciences de l'éducation et formateur en travail social à l'ADEA(Asso-ciation pour le développement de la promotion sociale et de l'enseignement professionnel agricole et rural de l'Ain et d'autres départements), que « la grande question est : peut-il y avoir un accord possible sur ce qu'est le moniteur-éducateur ? »Intervenant du quotidien travaillant avec d'autres, il lui faudrait pour cela se différencier « en recourantà des outils élaborés par la profession et repérés comme tel pour leur efficacité ». Or ces derniers sont l'équipe, les projets, les activités de médiation, domaines par essence partagés dans l'enceinte de l'institution. « C'est pourquoi il nous reste encore à travailler sur l'émergence de savoirs rendus lisibles par l'analyse de nos pratiques et leur conceptualisation. Nous manquons d'écrits rédigés dans un vocabulaire qui soit le nôtre et non emprunté artificiellement à des disciplines limitrophes. Quand nous demandons à un moniteur-éducateur ce qu'il fait, il se tait ou finit par dire que c'est tellement banal qu'il ne peut l'écrire dans un mémoire. Et pourtant, l'essentiel de l'acteéducatif réside pour nous dans l'anecdotique. C'est dans les petits actes du quotidien que se reconstruit la personne,et non dans la théorisation. »
Le projet de référentiel d'activités des moniteurs-éducateurs devrait être examiné le 8 juin par la commission professionnelle consultative du travail social et de l'intervention sociale (voir encadréci-dessous). Si, pour la première fois, la valeur« éducative » du travail sur le quotidien est clairement reconnue et que les termes de« socialisation » et d'« intégration » apparaissent en tant qu'objectifs assignés, les attentes sur une véritable identification du métier restent déçues.« Trop de similitudes subsistent avec les référentiels des AMP ou des éducateurs spécialisés », regrette Claude Noël. Même rappel au développement des potentialités des personnes, à la compensation de leurs difficultés, à leur inscription dans la vie quotidienne de l'institution, à la notion d'activitétechnique comme support à une fonction de médiation,etc. « On assiste à l'élaboration de référentiels fourre-tout. La manière dont ontété organisées ces suites de constructions,dans une précipitation liée à l'injonction de rendre les diplômes accessibles à la validation des acquis de l'expérience [VAE] en un temps record, aévité de poser la question du sens de l'intervention sociale, de la définition des travailleurs sociaux de demain et de leur spécialisation, et surtout de la réalité de la fonctionéducative. » Seule véritable avancée, le projet de référentiel rend le moniteur-éducateur partenaire de l'élaboration de l'action éducative, notamment en lui reconnaissant une capacité à produire des écrits professionnels.Il le met aussi en capacité d'assurer un tutorat pour la formation de ses pairs. Un virage historique pour un métier mû, il y a 30 ans encore, par la notion d'engagement personnel.
Mais cela suffira-t-il à imposer l'image des moniteurs-éducateurs dans le paysage du travail social ? Claude Noël, qui a été l'un des deux représentants de l'Aforts dans la commission ayant planché sur le référentiel, reste prudent : « Le référentiel est une chose. Ensuite, c'est uniquement la reconnaissance du champ professionnel qui fondera cette légitimité. » Et de ce côté, toutes les craintes s'expriment déjà, à commencer par celles nées du cadrage de la profession. « Quand je suis rentrée en formation, interpelle cette monitrice-éducatrice d'une quarantaine d'années,ce qu'on pouvait dire de la différence entre moniteur-éducateur et éducateur spécialisé tenait à cette troisième année d'études supplémentaire qui permettait aux éducateurs spécialisés de mieux maîtriser des concepts que le moniteur-éducateur n'avait fait qu'effleurer. Sauf que, sur le terrain, cette différence s'évaporait très vite. Dans l'établissement dans lequel je travaille, il n'y a aucune distinction entre moniteur-éducateur et éducateur spécialisé. J'ai peur que s'instaure une guerre fratricide entre ces deux corps de métier qui travaillent main dans la main aujourd'hui. »
Reste la longue tradition de terrain des moniteurs-éducateurs. Revendiquée par l'ensemble de la profession, elle pourrait prendre toute sa dimension avec la VAE, qui permettrait d'installer des modules pédagogiques directement inspirés de la pratique. Une opportunité,en tout cas, à laquelle se raccrochent déjàles plus militants.
Michel Paquet
Trois grandes fonctions ont étéidentifiées dans l'ébauche du référentiel d'activités, qui va servir de baseà l'élaboration du référentiel de certification et de formation du nouveau diplôme. Lequel se situera toujours au niveau IV avec une durée de formation maintenue à deux ans. A un premier niveau, le moniteur-éducateur « assure une relationéducative au sein d'un espace collectif », ce qui suppose qu'il contribue à la mise en œuvre de projets individuels et qu'il réajuste ses pratiques dans« une dimension éthique et déontologique ». A un second niveau, il« anime et organise la vie quotidienne dans une visée de socialisation et d'intégration ».Son champ d'action est donc bien celui du groupe et de l'apprentissage de la citoyenneté. Enfin, il« participe au dispositif institutionnel »,ce qui implique qu'il se situe dans une équipe pluriprofessionnelle au sein de laquelle son rôle est de soutenir l'intégration de l'individu dans le collectif en même temps qu'il concourt à l'élaboration de l'action éducative à travers ses observations.
(1) Avec l'institut Saint-Laurent, les 30 et 31 mars 2006 à Ecully - « Le moniteur-éducateur, un métier » - Aforts : 1, cité Bergère - 75009 Paris -Tél. 01 53 34 14 74.
(2) Etude portant sur environ 500 emplois de moniteurs-éducateurs et d'éducateurs spécialisés, réalisée dans le cadre du contrat d'études prospectives du social et médico-social de la BASS de 2002 - Voir ASH n° 2358 du 7-05-04.