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« La réforme établit définitivement le métier parmi les professions sociales »

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Originalité française, le métier d'éducateur de jeunes enfants, au carrefour du social et du pédagogique, reste encore mal identifié et souffre d'un déficit de reconnaissance. Mais il a beaucoup évolué ces dernières années, et la récente réforme du diplôme vient parachever sa promotion, explique Daniel Verba, auteur d'un ouvrage de référence sur cette profession (1).

Actualités sociales hebdomadaires : La réédition de votre ouvrage intervient alors que le métier d'éducateur de jeunes enfants (EJE) vient de faire l'objet d'une réforme [voir ce numéro] . Qu'apporte-t-elle ? Daniel Verba : Elle établit définitivement le métier d'éducateur de jeunes enfants parmi les professions sociales en faisant passer la durée des études à trois ans et en le dotant pour la première fois d'un référentiel de formation et de certification et de passerelles avec les autres formations sociales. Les EJE réclamaient depuis longtemps une requalification de leur formation et un rattrapage des autres cursus en travail social - notamment des assistants sociaux et des éducateurs spécialisés - afin de pouvoir prétendre aux mêmes avantages salariaux et statutaires, surtout dans la fonction publique territoriale.

Mais il fallait aussi adapter la formation aux évolutions structurelles des politiques sociales, en intégrant les effets de la décentralisation, les nouveaux dispositifs urbains (2) et surtout la mise en chantier de politiques familiales visant à rattraper le retard de la France en matière de structures d'accueil de la petite enfance.

Indépendamment de cette réforme très importante, il me paraissait intéressant, cinq ans après, d'évaluer les effets sur la profession du décret rénovant les conditions d'accueil collectif des enfants de moins de 6 ans (3), même si le recul est encore trop faible pour en tirer des enseignements définitifs. On aurait pu penser que ce texte ouvrirait de nouvelles opportunités. Or celles-ci restent en deçà des attentes : les EJE n'accèdent qu'exceptionnellement à la direction des structures d'accueil de jeunes enfants. Les employeurs ne sont pas encore sortis des vieux schémas où les puéricultrices avaient le monopole de la direction des crèches. Ils hésitent toujours, probablement sous la pression des médecins et des puéricultrices elles-mêmes.Mais pour confirmer ces premiers constats, il faudra refaire le point dans quelques années.

Quel est le rôle d'un éducateur de jeunes enfants en 2006 ?

- Outre le fait que sa compétence socio-éducative est réaffirmée avec force, il ressort de la réforme que l'EJE est non seulement un travailleur social spécialiste de la petite enfance qui exerce une fonction d'accueil des jeunes enfants et de leur famille, mais aussi un acteur à part entière des politiques sociales territoriales : son expertise peut être mobilisée dans le cadre de diagnostics impliquant d'autres partenaires locaux. Le texte entérine, par ailleurs, la fonction d'accompagnement à la parentalité, qui constitue désormais un registre très important du métier et opère un glissement non négligeable vers le social. Les EJE passent en effet aujourd'hui autant de temps auprès des parents que des jeunes enfants.

C'est dire que l'essentiel du métier a bougé en quelques années. Il faut mettre cette transformation sur le compte des récentes évolutions sociologiques de la famille qui, en se diversifiant, oblige à repenser la fonction parentale. En ce sens, l'arrêté du 16 novembre 2005 relatif au diplôme d'Etat d'éducateur de jeunes enfants entérine bien ces mutations que j'avais déjà relevées dans les deux premières éditions de mon ouvrage en 1993 et en 2001. La réforme du diplôme d'Etat parachève la promotion d'une profession souvent mal identifiée et qui souffre toujours d'un déficit de reconnaissance sociale alors qu'elle constitue une des originalités du système français.

Dans quel sens ?

- Dans notre pays, on a jugé nécessaire de former des spécialistes de la petite enfance, capables d'articuler à la fois la dimension sociale, psychologique et pédagogique du processus éducatif. Partout en Europe, sauf en Suisse où il existe des éducateurs de la petite enfance, les tout-petits sont laissés au soin des mères ou confiés à des employées peu qualifiées, comme s'il suffisait d'être une femme pour assurer cette fonction, pourtant hautement complexe et structurante.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si certains hommes politiques, à l'occasion de la publication de l'enquête de l'Inserm sur les troubles des conduites chez l'enfant et l'adolescent (4), ont pu songer à développer une prévention très - et peut-être trop - précoce de ces comportements, car les faits montrent qu'il est plus facile d'agir sur un jeune enfant et sa famille que sur un adolescent déjà socialisé aux pratiques délinquantes. Pour ma part, je suis convaincu qu'une politique de la petite enfance bien pensée et bien menée pourrait nous faire éviter bien des dégâts ; notamment ceux de l'école maternelle, véritable creuset d'échec scolaire et d'inégalité sociale précoce. Les maternelles ne coûtent peut-être rien aux parents, mais elles ont un coût très élevé pour la collectivité et leur inadaptation structurelle à l'accueil des petits élèves constitue plus une menace pour leur développement qu'une source d'épanouissement. Il faudra bien un jour qu'on s'interroge sur les facteurs qui amènent cette extraordinaire curiosité qui anime un enfant de deux ans à l'abrutissement inculte de certains de nos adolescents, quelques années d'école plus tard. Mais l'école n'est évidemment pas la seule responsable de cette situation.

Comment alors définir ce que peut être l'apport des EJE à l'éducation des jeunes enfants ?

- Il est relativement difficile de répondre à cette question, car elle suppose que tous les EJE aient une même conception de l'éducation. Ce qui est inexact même si l'on peut admettre que, compte tenu de leur formation, ils passent tous par une sorte de sas de conversion où l'on retrouve les même courants de pensée psychologique et pédagogique. Pour les EJE, les enfants ne se développent pas de façon homogène :chacun va à son rythme et choisit d'acquérir telle compétence plutôt que telle autre. Ils sont attachés à la singularité de chaque enfant et à la nécessité de l'encourager dans toutes les étapes de son développement. La qualité relation-nelle que l'EJE instaure par la confiance qu'il témoigne au tout-petit et à ses parents est au cœur du dispositif éducatif qu'il met en place dans les structures où il travaille. Ce qui le distingue significativement d'un professeur des écoles maternelles, qui met plutôt l'accent sur la vie de classe et les apprentissages et malmène trop souvent les parents, eux-mêmes tenus à distance des institutions.

L'école, qui instruit de façon normative et groupée en hiérarchisant l'acquisition de compétences, instaure d'emblée la stigmatisation de ceux qui ne rentrent pas dans l'éventail des acquisitions légitimes et risque de les exclure du processus d'encouragement et de confiance sans lequel aucune éducation n'est possible. L'EJE, en s'appuyant sur les potentialités exceptionnelles du jeune enfant, accompagne ses progrès sans tracer d'avance la feuille de route. Il injecte de l'imaginaire et de l'intelligence ludique dans un système éducatif marqué par la standardisation des comportements et des connaissances. C'est une démarche inductive qui repose sur l'observation et non sur un programme.

Les relations que les EJE entretiennent avec les puéricultrices se sont-elles améliorées ?

- Elles sont traditionnellement conflictuelles dans la mesure où les puéricultrices incarnent la hiérarchie et l'ordre établi. De plus, issues du corps médico-social, celles-ci ne portent pas les mêmes valeurs que les EJE. Plus attachées au registre du soin qu'à la psychopédagogie, elles ont pourtant fait évoluer leur métier : on trouve maintenant de plus en plus souvent des groupes de stagiaires de formation continue composés d'auxiliaires de puériculture, d'EJE et de puéricultrices, où chaque corps de métier dialogue de façon constructive. A mon sens, l'enjeu de la profession n'est plus dans l'opposition aux puéricultrices, qui se sont d'une certaine manière rangées aux arguments des éducateurs, mais dans la lutte qu'il faudra bien mener un jour, au sein des écoles maternelles, pour faire cohabiter professeurs des écoles et éducateurs de jeunes enfants, notamment dans les petites sections.

Le travail social a lui aussi beaucoup évolué.Comment le métier d'EJE trouve-t-il sa place à l'intérieur de cette palette de métiers, dont beaucoup se chevauchent désormais ?

- Malgré leurs origines très sociales, les EJE sont restés très longtemps en marge du travail social. Si les jardinières d'enfants de Fröbel ou Pestalozzi (5) avaient une vocation so-ciale incontestable, elles ont pourtant été pendant longtemps plus proches des instituteurs de maternelle, jusqu'à ce qu'elles deviennent en 1973 des éducateurs de jeunes enfants et prennent résolument pied dans les professions sociales. Cette évolution s'est faite lentement : il faut attendre les années 90 pour que la problématique parentale et l'accompagnement des familles de jeunes enfants précipitent les EJE dans le social.Malgré cela, cette profession reste quelque peu éloignée du noyau dur des professions sociales, d'autant que la plupart de ceux qui l'exercent s'occupent d'enfants normaux dont les parents ne sont pas parmi les plus démunis.D'où une certaine ambiguïté du métier, au carrefour du social et du pédagogique. On observe bien ce décalage dans les instituts régionaux de travail social où les EJE côtoient les futurs assistants sociaux et les éducateurs spécialisés mais où leur place n'a pas toujours été facile à trouver.

Il était aussi nécessaire, compte tenu de l'accès désormais possible des EJE à la direction des crèches, de les préparer au management d'équipe et à la gestion d'établissements sociaux. Enfin, le ministère souhaitait renforcer la dimension professionnalisante de la formation en instituant un stage long de six mois sur le modèle de la formation des éducateurs spécialisés.

Comment voyez-vous le devenir de la profession ?

Pour en avoir une idée fiable, il serait bon d'actualiser l'enquête conduite il y a 15 ans qui accompagnait la première édition en 1993 de mon ouvrage. J'ai l'intention de composer un groupe de recherche qui sera chargé, lors d'une prochaine université de la Fédération nationale des EJE, de lancer une nouvelle enquête comparative. Il existe aujourd'hui, parmi ces professionnels, des chercheurs confirmés qui pourraient s'investir dans une telle démarche. L'objectif sera de tracer les perspectives d'un métier qui bénéficie d'une forte originalité, mais souffre de sa modeste démographie - entre 9 000 et 10 000 pro-fessionnels environ - et d'une faible visibilité sociale.

Propos recueillis par Michel Paquet

Daniel Verba est directeur de l'IUT de Bobigny, maître de conférences en sociologie et membre fondateur du laboratoire de sociologie de l'action locale (CERAL, université de Paris XIII).Il a co-dirigé durant 15 ans l'école d'éducateurs de jeunes enfants du Centre d'études et de recherches pour la petite enfance (CERPE).

Notes

(1)  Le métier d'éducateur de jeunes enfants - Ed. La Découverte - 21,50 €.

(2)  En particulier ceux prévus par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 et les contrats enfance et petite enfance passés entre la CAF et les communes.

(3)  Décret du 1er août 2000 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de 6 ans - Voir ASH n° 2177 du 25-08-00.

(4)  Voir ASH n° 2448 du 24-03-06.

(5)  Friedrich Fröbel (1782-1852), éducateur allemand et père fondateur des jardins d'enfants. Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827), théoricien du social et de l'éducation dont les méthodes visaient principalement à l' « accroissement des forces que l'enfant possède en lui-même ».

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