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Educateurs techniques spécialisés : contraintes et opportunités de la réforme du diplôme

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Jusque-là uniquement accessible en cours d'emploi, la formation d'éducateur technique spécialisé, avec la création en novembre du diplôme d'Etat, l'est désormais en voie directe. Une réforme qui a des conséquences sur les choix pédagogiques, mais aussi sur les modalités de construction d'une identité professionnelle, explique Lionel Bach, formateur à l'IRTS de Poitou-Charentes.

« La formation des éducateurs techniques spécialisés telle qu'arrêtée lors de la création du certificat d'aptitude aux fonctions d'éducateur technique spécialisé (Cafets) en 1976 se déroulait selon la seule voie de la formation en cours d'emploi. De niveau III comme le Cafets, le diplôme d'Etat d'éducateur technique spécialisé (DEETS) créé en novembre dernier par un décret, complété en janvier par un arrêté (1), prend en compte la validation des acquis de l'expérience (VAE) et est accessible par la voie directe. Dans une logique de transversalité, un éducateur technique spécialisé pourra bénéficier de la validation d'une partie de la formation d'assistant de service social ou d'éducateur spécialisé par exemple, et inversement. Cette nouvelle donne oblige à repenser l'organisation de cette formation sur des bases rénovées.

Cela ne va pas de soi. En effet, les contenus du diplôme réformé sont organisés en unités de formation (annexe nordm 1 de l'arrêté), mais présentés selon un découpage en trois fonctions (annexe nordm 2). Il faut donc articuler la formation sur la base des unités de formation, mais se reporter aux fonctions en vue de repérer les blocs de compétences communs aux autres formations de niveau III. Complexité supplémentaire, l'annexe nordm 1 détermine trois grandes fonctions alors que pour les autres diplômes, les référentiels s'organisent autour de quatre domaines de compétences. Cette situation de grand écart peut s'expliquer en partie par le fait que le projet de réforme avait été élaboré en 1995 sur les anciens modèles et que les textes récemment publiés tiennent compte du nouveau cadre. Il faut donc en même temps travailler avec une "réforme de retard" et tenter de parvenir à un découpage de la formation conforme à la structure des domaines de compétences des nouveaux référentiels. Mais cela va entraîner une organisation pédagogique particulièrement complexe.

Heurt entre deux logiques

Plus encore, se pose le problème du heurt entre la logique historique de la formation continue et la logique de formation en voie directe. Certes, il ne s'agit pas de former des "éducateurs spécialisés techniques ". La spécificité du métier repose toujours sur le support d'une activité, soit de première formation professionnelle, soit de production, soit d'adaptation à une situation de travail, soit d'insertion, l'accompagnement éducatif étant transversal aux différents types d'interventions. Mais pour quelles stratégies de recrutement les employeurs opteront-ils ? Et quels choix les conseils régionaux feront-ils notamment en matière de financement des places en voie directe ? Autant de questions chargées d'incertitudes.

Concrètement, sur le terrain, la question du temps disponible pour s'adapter aux nouvelles dispositions et celle des choix pédagogiques représentent deux enjeux majeurs. Parmi les formateurs impliqués dans l'élaboration du projet de formation, certains estiment qu'il faut une adaptation progressive et proposent, par exemple, en l'absence de réponse concernant le financement, un report de l'ouverture de la voie directe, ce qui donnerait du temps pour une réflexion plus sereine. D'autres considèrent qu'il faut à toute force être opérationnel dès septembre 2006, comme l'impose le décret. Précipitation qui peut faire sourire au regard des dix années que la réforme a mis à éclore.

Côté pédagogie, plusieurs options sont évoquées : l'adaptation de la nouveauté à l'existant, qui risque d'aboutir à un simple ajustement étriqué compte tenu des nombreux compromis inévitables dans une telle logique ; une remise à plat complète du dispositif ; enfin, une évolution progressive et une montée en charge selon un échéancier de une à trois années.

La nouvelle réglementation du DEETS offre cependant, me semble-t-il, l'occasion de dépasser la simple interrogation sur le programme et les contenus de formation pour développer une réflexion sur la philosophie même qui pourrait présider à l'élaboration du projet de formation et sur les finalités stratégiques d'une politique de formation professionnelle. Le nouveau diplôme va mettre en présence des personnes aux itinéraires scolaires et professionnels plus diversifiés qu'auparavant. Cela ne peut qu'être bénéfique à l'enrichissement mutuel des personnes en formation mais conduit à réfléchir à la question de l'identité professionnelle.

Déficit de reconnaissance

Si la socialisation professionnelle se construit en partie dans un parcours de formation, elle contribue à l'élaboration d'une identité de métier dans laquelle les professionnels se reconnaissent et se font reconnaître. Dans le cadre de la formation en cours d'emploi, l'expérience de terrain en représente une base importante. Or les éducateurs techniques en formation par la voie directe n'auront pas eu accès à ce mode de socialisation qui consiste à découvrir le métier en le pratiquant. Il me paraît donc fondamental que le projet de formation intègre cette nouvelle donne.

Par ailleurs, la première phrase des annexes pédagogiques, qui indique que "l'éducateur technique spécialisé est un travailleur social ", est une indication forte pour l'action, qui interroge plus qu'elle n'affirme la place des éducateurs techniques dans le champ des professions du travail social. Quelle que soit l'évolution du profil socioprofessionnel des futurs éducateurs techniques spécialisés, la logique de conversion professionnelle perdure et le besoin de l'acquisition d'un capital culturel demeure. Il est patent qu'ils souffrent d'un déficit de reconnaissance dans le champ des professions sociales, ce qui les confine souvent à une "identité bloquée " (2). Le parcours de formation, quelles que soient sa forme et sa durée, représente un espace-temps où peut se jouer ce processus de déconstruction-reconstruction. Cela étant, le projet de formation peut avoir pour objectif de se situer sur une ligne de crête et de rechercher un équilibre entre un versant tourné vers une identité corporatiste et un autre qui ferait perdre de vue la spécificité d'un groupe professionnel.

Cette réforme est l'occasion d'offrir aux futurs éducateurs techniques spécialisés des possibilités d'ouverture vers d'autres champs d'intervention, d'autres formes d'insertion, d'autres itinéraires professionnels. Il faut pour cela prendre en compte les nouveaux besoins sociaux et la nécessité de décloisonner pour renforcer les transversalités avec les formations de niveau III. Ainsi, permettre aux éducateurs techniques spécialisés d'acquérir un positionnement à parité dans une équipe pluri-professionnelle me paraît être un axe structurant de l'architecture pédagogique de la formation. Mais si les choix pédagogiques conditionneront en partie le devenir et la place de ces professionnels dans la famille recomposée des métiers du social, il appartiendra aussi à la nouvelle génération de se battre pour cette parité, en se souvenant de "la complicité objective qui est sous-jacente à tous les antagonismes " (3). »

Lionel Bach Contact : IRTS Poitou-Charentes : 1, rue Georges-Guynemer - 86000 Poitiers -Tél. 05 49 37 60 00 - E-mail :lionel.bach@irts-poitiers.asso.fr.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2428-2429 du 11-11-05 et n° 2442 du 10-02-06.

(2)  Voir l'ouvrage intitulé Educateur technique spécialisé - Thierry Braganti et Alexandre Mathieu-Fritz - Editions ASH, 2004.

(3)  Questions de sociologie - Pierre Bourdieu - Editions de Minuit, 1984.

TRIBUNE LIBRE

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