« Quand je suis arrivé, il y a 11 ans, j'avais un regard neuf. Il m'a vite paru essentiel d'apporter un appui aux aides à domicile, si seules face à des situations complexes », raconte Joël Bogdan, directeur général de l'Association de services pour le maintien à domicile (ASMAD) (1), installée à Châteauroux. Sur le terrain, les aides à domicile sont en effet isolées et démunies parfois face à la maladie d'Alzheimer, de Parkinson, la dépression, la solitude, l'alcoolisme ou l'accompagnement en fin de vie. D'autant plus perceptible dans un département comme l'Indre où les personnes âgées représentent le premier poste de dépenses du conseil général (31,6 millions d'euros en 2005), ce malaise s'accompagne d'une véritable angoisse chez les professionnelles de trouver morte à son domicile une des personnes aidées.
Au milieu des années 1990, Joël Bogdan imagine donc des espaces d'écoute et de parole au sein desquels les aides à domicile peuvent faire part de leurs difficultés et se ressourcer. Il les anime lui-même, puis fait appel à une psychologue vacataire.
Mais l'association veut aller plus loin en développant un service d'écoute psychologique destiné aux personnes âgées et/ou handicapées qu'elle accompagne. Dans le cadre des emplois-jeunes, elle embauche, en février 2004, Mélinda Métivier, une psychologue clinicienne spécialisée dans le vieillissement. Et lui fixe pour missions de reprendre l'animation des espaces d'écoute et de parole - qui deviennent des groupes d'analyse de la pratique professionnelle (GAPP) -, mais aussi de dessiner les contours du nouveau service.
Reste à faire reconnaître l'activité de la psychologue par les financeurs. C'est chose faite en 2004 :son poste est pris en charge par le conseil général dans sa quasi-totalité (pour la partie personnes âgées) et par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (pour la partie personnes handicapées). Le service est alors officiellement lancé sous le nom de « être aidé et écouté à domicile » et il est récompensé en 2005 par le prix Chorum de l'accompagnement à domicile (voir encadré).
Cette écoute est proposée aux usagers par les responsables de secteur, chargés de l'évaluation des besoins et du suivi des interventions. Mais ce sont surtout les aides à domicile qui en assurent la promotion. « Les salariées présentes sur le terrain jouent un rôle de médiateur. Elles me font remonter des informations, signalent des situations délicates et m'avertissent quand les personnes sont prêtes à me recevoir, explique Mélinda Métivier. Elles sont dans une relation de confiance avec les usagers. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'elles soient présentes lors de ma première visite. » La psychologue intervient surtout auprès des personnes dépressives, désinvesties et difficiles à sortir de leur lit. Dans le cas des maladies évolutives comme les démences, son rôle consiste plutôt à donner des outils aux aides à domicile pour qu'elles gèrent plus simplement la situation, notamment dans les moments critiques que sont la toilette, les repas ou l'habillage. Il arrive aussi que Mélinda Métivier rende visite à une personne récemment sortie de hôpital psychiatrique pour vérifier que son retour chez elle se passe bien. Ou, au contraire, qu'elle prépare un usager du service d'aide à domicile à l'entrée en institution : « Il y a tout un processus pour les accompagner et les aider à accepter », explique-t-elle.
Dans l'accompagnement en fin de vie, pour lequel les familles comme les aides à domicile sont souvent demandeuses d'une intervention de sa part, la psychologue travaille sur la séparation et la réconciliation. « Face à la maladie, il y a une usure du conjoint. Le préparer à laisser l'autre partir, c'est aussi l'amener à le retrouver avant le départ. Quant aux familles, il faut les amener à déléguer pour que l'accompagnement soit réellement possible. »
Aide à domicile depuis 11 ans, Josiane Aptel travaille avec Mélinda Métivier chez un couple de retraités. Deux personnes dans une situation difficile : l'épouse, très dépressive, présente également les premiers symptômes de la maladie de Parkinson. Elle explique ainsi sa collaboration avec la psychologue : « Nous n'avons pas le même regard. Alors en croisant nos points de vue, nous avançons plus facilement. Il y a aussi un effet de résonance :je dis quelque chose et la psychologue le dit à son tour. L'idée fait son chemin et souvent, elle finit par aboutir. » Josiane Aptel cite en exemple l'installation d'une douche en remplacement du bain, pour laquelle le couple se montrait réticent : « Fina-lement, ils sont contents. Ils se rendent compte que c'est plus pratique. »
Pour les aides à domicile, l'intervention de la psychologue au domicile des usagers constitue un appui. Mais un appui qui a ses limites. « On ne peut pas imposer la visite de la psychologue. Il faut d'abord connaître le point de vue de la personne, puis obtenir son accord. On ne peut pas passer outre, sauf dans des cas graves où l'on soupçonnerait de la maltraitance, par exemple », explique Josiane Aptel. Mélinda Métivier confirme qu'elle a parfois dû attendre plusieurs mois avant que les personnes soient prêtes à la recevoir. Elle ne s'en formalise pas : « Il est inutile d'intervenir auprès de quelqu'un qui ne serait pas demandeur », explique-t-elle, tandis que Joël Bogdan note qu'il ne faut pas tomber dans une psychologisation de toutes les activités. « Tous les mal-être ne relèvent pas de la psychologie et nous avons aussi dans nos métiers une façon de les aborder. La psychologue n'est pas là pour soigner tout le monde. Sinon, le système devient pervers. Et puis, notre travail, c'est aussi de passer le relais, de réorienter vers des médecins par exemple. »
Comme toutes les activités au sein de l'ASMAD, les missions de Mélinda Métivier ont été clairement définies. A l'intérieur de l'association, elle ne s'adresse qu'aux salariées présentes sur le terrain. « Je les reçois par petites dizaines dans le cadre des groupes d'analyse de la pratique professionnelle ou en entretien individuel quand elles rencontrent un problème particulier, explique-t-elle. Les groupes d'analyse de la pratique professionnelle sont les moments où les aides à domicile sont amenées à échanger sur leurs difficultés et à trouver ensemble des solutions. C'est aussi un déversoir pour les émotions. Et l'occasion de trouver des outils pour des problèmes matériels. » Pas d'ordre du jour pour ces réunions, mais des sujets récurrents : les troubles démentiels, la maltraitance, les limites de l'intervention (faut-il donner son numéro de téléphone personnel ? Que faire quand la famille est absente ?), la gestion des exigences de l'usager ou son agressivité.
Des réunions salutaires estime Josiane Aptel. « C'est très enrichissant. On se dit que ce qu'une collègue a testé, on peut aussi le mettre en pratique. En outre, le fait que certaines se lancent fait rapidement sortir les autres de leur réserve. Elles se disent qu'elles ne sont pas seules à affronter certains problèmes. Alors que dans d'autres contextes, on n'aime pas faire part de nos difficultés, on a le sentiment que ce n'est pas professionnel. Enfin, ces réunions permettent de se rencontrer, alors qu'avant on ne se voyait jamais ». Ces groupes d'analyse sont d'autant plus utiles, souligne Josiane Aptel, que le travail de l'aide à domicile a profondément évolué : « Il y a dix ans, nous avions beaucoup de tâches ménagères et peu d'accompagnement. Aujourd'hui, c'est l'inverse. La détresse, l'isolement sont aussi bien plus perceptibles. Nous passons plus de temps à écouter. »
L'écoute, c'est justement la valeur ajoutée de la psychologue, défend Fabienne Goussard, responsable qualité et formation à l'ASMAD. Parce que c'est une « autre écoute », qui permet aux usagers de « parler plus, plus librement » et de « dire d'autres choses » que ce qu'ils confient habituellement à leur famille ou aux aides à domicile. « Nous n'avons pas encore beaucoup de retour sur le service "être aidé et écouté à domicile ". Cette année, une question va être ajoutée à l'enquête de satisfaction envoyée à tous les usagers. Mais j'ai déjà noté des commentaires sur les précédents formulaires et des remerciements », explique-t-elle. S'il est encore trop tôt pour procéder à une évaluation de la prestation, la psychologue est néanmoins régulièrement sollicitée par les personnes aidées. « Elles doivent donc y trouver un intérêt », souligne Mélinda Métivier, qui précise que la plupart d'entre elles n'apprécient guère en général que des étrangers s'introduissent chez elles.
En 2005, la psychologue de l'ASMAD indique avoir suivi 47 personnes âgées et/ou handicapées, contre 25 l'année précédente, avec une périodicité variable pour les interventions. « Il y a des personnes que je vois depuis un an, d'autres ponctuellement. En période de crise, je peux me rendre une fois par semaine chez quelqu'un. Les visites s'espaceront en phase de stabilisation : une fois tous les deux mois, par exemple. » Au total, la mission d'écoute à domicile occupe 70 à 80 % de son temps, contre 30 à 20 % pour les aides à domicile. Une répartition qui pourra difficilement évoluer, compte-tenu du nombre de salariées sur le terrain : « Cette année, j'ai rencontré 22 aides à domicile en entretien individuel et 320 dans le cadre des GAPP. Elles ont toutes été conviées au moins quatre fois », précise Mélinda Métivier. Que se passera-t-il si la demande des usagers devient plus forte ? « Nous réfléchissons à une autre organisation de mon travail, répond la psychologue. Mais peut-être serons-nous obligés de faire un peu attendre les bénéficiaires. »
La psychologue pourrait également devenir un des éléments pivots de l'accompagnement des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Face à leur augmentation (une centaine sur les 3 000 reçues annuellement), l'association envisage de créer une équipe mobile Alzheimer composée de Mélinda Métivier, Josiane Aptel et Jocelyne Ravidat, deux aides à domicile aguerries. Un trio qui viendrait en appui à l'accompagnement à domicile classique. L'association attend l'avis du conseil général pour ce projet, qui a retenu l'attention de la Fondation Médéric Alzheimer et a reçu, en février dernier, les trophées de l'inovation de la mutuelle AG2R.
Corinne Manoury
Créée à Châteauroux en 1956, sous le nom d'association d' « Aide aux isolés et aux vieillards », l'ASMAD s'étend dans les années 1970 dans d'autres cantons du département de l'Indre. Elle adopte son nom actuel en 1981 et ouvre l'année suivante un service de soins infirmiers à domicile. En 1997, elle s'engage dans une démarche qualité et obtient, en 1999, la certification ISO 9002. Elle salarie aujourd'hui près de 400 aides à domicile dans le cadre de la prestation de service et intervient pour 300 autres en tant que mandataire. Outre l'aide à domicile, l'ASMAD dispense des soins infirmiers, des portages de repas et une garde itinérante de nuit. Elle dispose de huit points d'accueil dans le département et intervient auprès de 3 000 à 3 500 personnes âgées et adultes handicapés.
En 2005, l'ASMAD a remporté le prix Chorum de l'accompagnement à domicile. Un prix destiné à récompenser des « réalisations confirmées et innovantes, menées par des structures pérennes », explique Nicole Leclère, chef de projet ingénierie sociale à la CPM, la caisse de retraite complémentaire de l'économie sociale. « Ce qui a retenu notre attention dans le service d'aide et d'écoute psychologique de l'ASMAD, c'est qu'il s'adresse à toutes les personnes qui interviennent auprès du bénéficiaire, sa famille autant que les professionnels. Il est rare de trouver une aide aux aidants, parce qu'elle est difficile à financer. » Parmi les critères déterminants, Nicole Leclère relève aussi l'évaluation des services et des pratiques, ainsi que le travail en réseau et l'adaptation des services aux besoins locaux.
(1) ASMAD : 63, avenue Marcel-Lemoine - BP 97 - 36002 Châteauroux - Tél. 02 54 34 33 73.