Désormais en ligne (1), le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l' « évaluation du dispositif de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des personnes handicapées mis en œuvre par les services de l'Etat dans les établissements sociaux et médico-sociaux » est particulièrement sévère. Fondé sur des entretiens nationaux et des investigations menées dans trois régions et cinq de leurs départements (2), il montre qu'en dépit de la « forte impulsion nationale » qui a accompagné, en 2001 et 2002, la mise en place de la politique de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables en établissement, sa mise en œuvre reste confrontée à plusieurs difficultés.
En premier lieu, l'IGAS estime que si la définition de la maltraitance retenue par la direction générale de l'action sociale (DGAS) a le mérite d'être large, elle est difficilement opérationnelle. Visant à la fois les actes individuels et les dysfonctionnements institutionnels, elle est issue d'un ensemble de textes européens « repris sans adaptation, ni articulation avec le droit français » et mêle les problématiques des personnes âgées ou handicapées à celle de l'enfance. Les « incertitudes liées à une définition qui regroupe sous le même terme des actes dont la gravité est différente conduisent les agents des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) à s'interroger sur ce qui leur est précisément demandé », observent les rapporteurs. Cette situation entraîne une articulation insuffisante de cette politique avec celle menée parallèlement par la DGAS en faveur de la bientraitance, son complément pourtant inséparable. En effet, « la distinction n'est pas suffisante entre le noyau dur de la maltraitance, susceptible de faire l'objet d'un signalement, et la maltraitance qui s'installe au quotidien dans une institution et qui doit être combattue par le développement des bonnes pratiques ».
Résultat : le phénomène de maltraitance reste mal connu, tant sur les plans quantitatif que qualitatif. Ce qui rend « centrale la question de l'émergence des plaintes, de leur traitement, et des conditions de recueil de la parole des personnes victimes ». Sur ce chapitre, la mission de l'IGAS est particulièrement critique : elle dénonce aussi bien l'enchevêtrement des compétences entre l'Etat et les conseils généraux, qui nuit à une réelle efficacité sur le terrain, que l'absence de coordination entre la justice et les affaires sociales, qui empêche une véritable régulation des plaintes.
Tout aussi grave, dans aucun département étudié n'a été établie la liste des personnes qualifiées chargées d'assister les usagers en cas de conflit avec l'institution, que la DDASS doit arrêter avec le président du conseil général, « liste pourtant attendue par les directeurs d'établissements les plus attentifs ». Quant au développement des services d'accueil téléphonique, qui permettent de signaler des cas de maltraitance hors des contextes institutionnel ou familial, il reste entravé par l' « absence d'évaluation des dispositifs existants », par des plages horaires d'écoute par antenne « réduites à quelques heures par semaine » et par une faiblesse chronique des liens existant entre les plate-formes téléphoniques et les DDASS ou les procureurs de la République, allant jusqu'à la non-communication des plaintes parvenues aux écoutants.
Sur la base de ces constats, la mission de l'IGAS préconise de relancer la politique de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables en établissement. Elle demande que le sens de certains termes, comme « maltraitance », « signalement », « plainte », soit précisé en lien avec le ministère de la Justice et suggère notamment la réalisation d'un guide de l'action publique. Mais surtout, le dispositif doit être « plus lisible » , estime le rapport. En effet, « les présidents de conseils généraux ne sont pas certains de disposer de moyens légaux suffisants pour asseoir des procédures de contrôle dans le cadre de la protection des personnes », souligne l'IGAS. Pour elle, seule la loi (3) leur permettrait d'exercer pleinement ce pouvoir de contrôle, l'Etat restant garant de l'effectivité de la protection des personnes et du contrôle des établissements après réception d'une plainte. En l'absence de loi, le dispositif peut néanmoins être plus efficace, juge, pragmatique, l'IGAS. Laquelle préconise l'installation dans chaque département d'une structure légère de pilotage des pouvoirs publics - composée du préfet, du procureur de la République et du président du conseil général - afin d'exercer un meilleur suivi des établissements à risque et d'étudier conjointement des protocoles d'action. Enfin, elle appelle à une formalisation des rapports avec le ministère de la Justice, « tant au niveau national dans la définition des politiques à mettre en œuvre qu'au niveau local dans l'application », et à une mutualisation des outils existants en créant un réseau public « Lutte contre la maltraitance - promotion de la bientraitance », qui serait un site d'information et d'échanges ouvert à tous les partenaires.
Dans sa réponse, jointe en annexe du rapport, la DGAS déclare partager l'essentiel des constats, analyses et propositions formulés. Face aux insuffisances qui subsistent, elle explique avoir décidé, en accord avec le cabinet du ministre délégué aux personnes âgées et aux personnes handicapées, d'engager une « nouvelle phase » de la politique de prévention de la maltraitance en établissements dont le programme d'action est en cours de finalisation. Par ailleurs, « consciente des difficultés d'interprétation et de mise en œuvre des dispositions relatives aux autorités chargées du contrôle des établissements », elle indique qu'une réflexion sera engagée avec l'Assemblée des départements de France pour « convenir des modalités de coopération ».
M.P.
(1) Sur le site
(2) Aquitaine (Gironde, Pyrénées-Atlantiques), Bretagne (Côtes-d'Armor et Finistère) et Ile-de-France (Val-d'Oise).
(3) Actuellement, les conseils généraux disposent du pouvoir de contrôler l'activité des établissements qu'ils autorisent (loi du 2 janvier 2002) et, depuis la loi « handicap » du 11 février 2005, du pouvoir de fermeture de ces établissements au titre de la protection des personnes.