Recevoir la newsletter

« Il n'y aura pas d'augmentation mais une amélioration des prises en charge »

Article réservé aux abonnés

Si le volet législatif représente une « impulsion politique », la réforme du dispositif de protection de l'enfance va se mettre en place par un travail concerté entre l'Etat, les départements, les caisses d'allocations familiales et les professionnels, assure Philippe Bas, ministre délégué à la famille.

Actualités sociales hebdomadaires : Ce projet de loi, très attendu et dont les orientations font consensus, consacre le rôle du département comme chef de file de la protection de l'enfance. Mais sans obligation de moyens pour les collectivités, comment l'Etat va-t-il être le garant de l'application des textes et de l'égalité sur le territoire ? Philippe Bas : C'est une réforme ambitieuse, pragmatique et consensuelle. Il est vrai qu'elle va consacrer le rôle de pilote du département, à qui il incombe d'organiser le signalement, la prévention et l'action en faveur des enfants en difficulté en adaptant les différents modes d'intervention à leurs besoins. Pour autant, l'Etat continue de jouer un rôle très important, en tant que législateur et à travers ses services : l'Education nationale, les hôpitaux publics, la protection judiciaire de la jeunesse... Et, bien sûr, le juge des enfants, qui tient aujourd'hui, et gardera demain, une place essentielle dans le dispositif. Il y a aura naturellement une évaluation de l'application des textes, grâce aux observatoires départementaux, dont les constats pourront être exploités pour analyser les résultats de cette politique de protection de l'enfance et la faire évoluer à l'échelle nationale. Les départements veulent conserver leur liberté d'organisation. Y aura-t-il un seul schéma dans la mise en place des cellules de signalement (1)  ?

- Elles seront toutes construites à partir d'un même modèle, qui constituera le tronc commun. Elles auront pour objet d'être à l'écoute des professionnels qui sont au contact de l'enfant : les médecins, les travailleurs sociaux, les enseignants par exemple, qui n'ont pas reçu dans leur formation les outils pour interpréter les signes complexes de souffrance de l'enfant, qu'elle soit causée par les maltraitances psychiques, physiques ou sexuelles. Les professionnels qui ont constaté des signes préoccupants doivent pouvoir, en toute confiance, exposer leurs interrogations à des spécialistes tenus, comme eux, au secret professionnel. La cellule départementale, formée d'une équipe pluridisciplinaire, évaluera la situation pour décider de la conduite à tenir, soit en mobilisant l'aide sociale à l'enfance, soit en saisissant directement le parquet.

La subsidiarité de l'autorité judiciaire inquiète justement les professionnels, en premier lieu les magistrats. Comment affirmer que leurs prérogatives restent inchangées alors que les conditions de saisine du juge sont restreintes ?

- Les juges des enfants verront leur rôle renforcé, car les professionnels les saisiront de manière plus informée. Nous évitons ainsi deux risques. Celui que l'enfant continue à souffrir en silence pendant des années sans que personne n'intervienne, parce que le professionnel n'a pas voulu saisir la justice sur le fondement d'un simple doute. Et le risque que la justice soit avisée sans raison suffisante, par pure précaution. Saisi à bon escient, le juge des enfants aura plus de temps à consacrer à l'examen de la situation pour apporter de meilleures solutions. J'ajoute que la cellule départementale de signalement ne fait pas obstacle à ce que la justice soit saisie directement, à l'initiative d'un professionnel, d'un parent, voire d'un voisin qui aurait connaissance d'une situation de danger grave et immédiat pour l'enfant. La subsidiarité veut simplement dire que des règles sont posées pour que, à chaque fois qu'une solution peut être apportée en collaboration avec les parents, dans le cas où il n'existe pas de danger grave et immédiat pour l'enfant, ce soit l'aide sociale à l'enfance qui intervienne. En revanche, s'il y a danger grave et immédiat pour l'enfant, ou bien quand les parents refusent de collaborer avec l'aide sociale à l'enfance, c'est le juge des enfants qui doit être saisi. Cela ne veut d'ailleurs pas dire que, dans ce cas, l'aide sociale à l'enfance n'a plus à intervenir : très souvent, l'intervention du juge des enfants va pouvoir déclencher la coopération des parents qui était jusqu'alors impossible.

Les départements auront aussi la possibilité d'organiser un accueil d'urgence...

- Cela fait partie d'un autre volet de la réforme, celui de l'adaptation des modes d'action aux besoins de l'enfant. L'aide sociale d'urgence se justifie dans deux types de situation :une crise familiale aiguë mais passagère, qui justifie de protéger l'enfant en attendant que la situation se normalise. Et, par ailleurs, une situation de fugue d'un adolescent, qui appelle un traitement de la crise en urgence. Je ne veux plus que l'on se trouve dans la situation où l'on n'a que des choix extrêmes : soit laisser l'enfant dans sa famille alors qu'il y court un risque, soit le placer alors que cette solution peut être traumatisante pour lui. C'est la raison pour laquelle je veux développer toutes les formules intermédiaires.

Ces nouvelles formules - accueil de jour, accueil séquentiel... - ont déjà été expérimentées dans certains départements qui se sont heurtés à un manque de cadre juridique et de financement adapté. Que prévoit précisément la réforme ?

- Le projet de loi crée toutes les ouvertures nécessaires sur le plan légal pour permettre la diversification des prises en charge. Par conséquent, les blocages qui pouvaient exister vont être levés. Quant au financement, la réforme n'est pas une loi de moyens, c'est une loi d'organisation. Il n'y aura pas plus d'enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance après la loi qu'avant, mais ils seront pris en charge différemment !Néanmoins il est vrai que les départements consacrent 5 milliards d'euros chaque année à la protection de l'enfance, qui mobilise l'action de 150 000 professionnels, et que, parmi ces moyens déjà très importants -globalement suffisants -, il y a 200 millions d'euros dévolus à la prévention, c'est-à- dire seulement 4 % ! Pour la première fois, la prévention est inscrite, dans le projet de loi, parmi les missions de la protection de l'enfance, ce qui implique effectivement un minimum de redéploiements et sans doute une légère augmentation des moyens. La prévention consistera à détecter les situations à risque, dès le quatrième mois de grossesse, mais aussi à la maternité et par la généralisation de l'examen de santé à la maternelle et à l'école primaire. Au-delà, il faudra pouvoir mobiliser des actions de soutien à travers les missions de la protection maternelle et infantile [PMI], des travailleuses familiales et les réseaux d'aide à la parentalité. Toutes ces actions vont devoir être développées, sans augmenter les charges des départements. Je vais engager une discussion entre l'Etat, l'Assemblée des départements de France et les caisses d'allocations familiales pour définir conjointement les modalités de financement de cet effort, avant les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2007.

Les médecins de PMI, ainsi que la défenseure des enfants, se sont alarmés de l'hétérogénéité des moyens consacrés à la PMI. Comment, dans ce contexte, s'assurer que ses missions pourront être renforcées ?

- Après avoir discuté de ces problèmes avec les représentants de la protection maternelle et infantile, j'ai demandé à l'inspection générale des affaires sociales d'engager une étude sur la manière dont les services de PMI fonctionnent sur l'ensemble du territoire national. J'en attends les conclusions pour le mois de juin. Je souhaite que ce travail nous permette d'y voir plus clair sur d'éventuelles inégalités territoriales et d'en tirer toutes les conséquences. La réforme, en précisant de manière plus claire les missions de la PMI, permettra de renforcer ses moyens dans de nombreux départements.

Que répondez-vous aux inquiétudes des travail-leurs sociaux qui redoutent que la prévention précoce ne dérive vers un contrôle social des familles ?

- J'ai travaillé pendant près d'un an avec les travailleurs sociaux, les représentants de la protection maternelle et infantile et avec les départements et leurs services sociaux. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de pouvoir intervenir très tôt pour aider les enfants, en consolidant le cadre familial lorsqu'il est trop fragile pour permettre leur développement harmonieux. Il s'agit de l'intérêt de l'enfant, et exclusivement de l'intérêt de l'enfant. C'est le seul objectif, je crois consensuel, de ce type d'actions.

Comment le référentiel d'évaluation des situations va-t-il être construit ?

- Selon la même méthode que celle que j'ai appliquée pour l'élaboration de la réforme et qui sera également utilisée pour sa mise en œuvre : la concertation, le travail avec les professionnels dans un cadre pluridisciplinaire. Des groupes de travail seront chargés de partager les meilleures expériences et de les inscrire dans des guides de bonnes pratiques concrets. Cette méthode sera utilisée pour l'évaluation, pour la diversification des modes de prise en charge, pour les modules de formation à intégrer aux formations initiale et continue des professionnels qui interviennent aux côtés des enfants... Dans tous les domaines, je veux pouvoir animer un travail qui nous permette de généraliser les bonnes pratiques, à travers l'engagement des professionnels. Le premier groupe de travail sur la prise en charge psychiatrique des enfants suivis par l'aide sociale à l'enfance a ainsi d'ores et déjà commencé à se réunir le 3 mai. Nous allons en constituer un autre dans le courant du mois sur le rôle des maires. Et d'autres encore. L'objectif est d'achever les travaux d'ici à la fin de l'année, en même temps que l'entrée en vigueur de la loi. La loi représente l'impulsion politique, fixe les principes fondamentaux, mais la réforme se mettra en place à travers une animation permanente avec les professionnels.

Le projet de loi sur la prévention de la délinquance comporte des dispositions différentes de celles que vous avez énoncées sur le secret professionnel...

- Sur le fond, l'accord est total sur la nécessité de limiter, dans l'intérêt de l'enfant, le partage de l'information à ce qui est nécessaire et aux professionnels tenus au secret. Il ne s'agit absolument pas de remettre en cause le secret professionnel, mais d'organiser sa mise en œuvre. Il doit pouvoir être partagé entre les professionnels habilités au secret pour que ceux-ci puissent croiser les informations permettant d'apporter une solution aux difficultés de l'enfant.

Vous excluez donc le maire de ce partage d'informations ?

- Si on voulait lui faire partager le secret professionnel, il faudrait d'abord l'y assujettir, sachant que les professionnels qui y sont soumis ont reçu une formation adaptée. Il n'y a donc pas lieu d'intégrer les maires au partage du secret. D'ailleurs je ne crois pas qu'ils le demandent.

Comment la nouvelle prestation d'accompagnement social et budgétaire va-t-elle compléter les missions actuelles des conseillères en économie sociale et familiales[CESF] ?

- Une aide aux familles sera proposée par le service de l'aide sociale à l'enfance. Il s'agira de leur offrir un accompagnement en économie sociale et familiale qui pourra être assuré à domicile. Nous constatons en effet que les difficultés de gestion du budget familial peuvent compromettre les conditions du développement de l'enfant, à cause de carences alimentaires par exemple. Cet accompagnement sera effectué par les CESF ou par d'autres travailleurs sociaux spécifiquement formés à l'économie sociale et familiale. En plus de ce volet social, le juge des enfants disposera d'une nouvelle mesure d'assistance éducative qui sera prononcée lorsque les prestations versées à la famille pour les enfants ne sont pas employées pour les besoins liés à l'entretien, à la santé et à l'éducation de ces derniers. Elle permettra de faire gérer le budget familial, sous l'autorité du juge des enfants, par un délégué aux prestations sociales - un travailleur social désigné par le juge qui aura pour mission d'améliorer les conditions de vie des enfants et d'exercer l'action éducative auprès de la famille.

Comment ces mesures vont-elles s'articuler avec le contrat de responsabilité parentale, institué par la loi sur l'égalité des chances, dont les acteurs déplorent l'effet de sanction ?

- L'objectif du contrat de responsabilité parentale est très différent. Il vise, dans des situations critiques, par exemple d'absentéisme scolaire, à aider les parents souvent désemparés à restaurer leur autorité parentale. On leur offre la possibilité d'un accompagnement adapté avec des objectifs définis ensemble, semaine après semaine. Ce contrat pourra, si les parents ne s'engagent pas dans cette démarche, être le préalable à des mesures d'autorité prises à leur encontre, qui peuvent être soit la suspension temporaire des allocations familiales dans des cas tout à fait exceptionnels, soit la saisine du juge des enfants, soit une mesure d'aide sociale à l'enfance. Ce contrat intervient donc en amont de la saisine du juge et est même destiné à l'éviter. Les différents types d'action se complètent.

Au-delà des 4 000 personnels supplémentaires promis, les nouveaux dispositifs auront un prix pour les départements. A combien le coût total de la réforme est-il estimé et à quelle hauteur sera-t-il compensé ?

- C'est une évaluation que nous sommes en train d'effectuer avec l'Assemblée des départements de France. Nous situons ensemble, après une montée en régime de trois ans, le coût annuel de la réforme à une fourchette comprise entre 130 et 150 millions d'euros. Comme je vous l'ai indiqué, ce coût ne sera pas laissé à la charge des départements et les modalités de sa prise en charge seront définies en concertation avec l'Etat, les conseils généraux et les caisses d'allocations familiales.

L'Etat a aussi un rôle primordial à jouer pour combler les retards en pédopsychiatrie, renforcer les services sociaux scolaires, participer aux dépenses de la prévention sanitaire...

- C'est un volet très important de la réforme, qui s'intègre à l'exigence d'une meilleure prévention. Oui, il faut renforcer la protection maternelle et infantile pour lui permettre de jouer tout son rôle. Oui, il faut renforcer la médecine scolaire et le service social à l'école primaire, comme dans les lycées et collèges. Cela fait partie du programme d'accompagnement de la réforme. Concernant la pédopsychiatrie, le projet de loi prévoit de développer les unités d'accueil familial et thérapeutique, qui permettent à un enfant ayant des difficultés psychologiques importantes d'être dans une famille d'accueil, tout en bénéficiant de l'accompagnement d'un pédopsychiatre et de soignants d'un établissement hospitalier. La réforme prévoit également l'expérimentation d'unités thérapeutiques et éducatives qui s'inspireront du modèle des établissements médico-sociaux et doivent permettre de recevoir pour des durées temporaires des enfants et des adolescents pour lesquels une prise en charge soutenue est justifiée sans pour autant nécessiter une hospitalisation. Une troisième réponse aux besoins en psychiatrie consistera à permettre un meilleur suivi des enfants et des adolescents en difficulté par les psychologues libéraux. Il revient au groupe de travail sur la prise en charge pédopsychiatrique qui vient de démarrer de travailler sur ces orientations.

Les associations déplorent la diminution des moyens consacrés à la protection judiciaire des jeunes...

- La réforme a été préparée en étroite liaison avec la chancellerie. On a donc pu aborder avec elle le partage des rôles entre ce qui relève de la PJJ et ce qui relève de l'aide sociale à l'enfance. La PJJ s'adresse avant tout aux enfants en situation de délinquance ou de pré-délinquance, avec une mission essentiellement centrée sur le pénal mais comprenant une dimension éducative, et l'aide sociale à l'enfance aux enfants victimes, en danger ou en risque de l'être.

Le rapport de la commission « familles, vulnérabilité, pauvreté », pilotée par Martin Hirsch, le président d'Emmaüs-France, avait évoqué l'objectif prioritaire de réduire la pauvreté des enfants. Au-delà de la réforme, une politique familiale ambitieuse n'est-elle pas un autre moyen de concourir à la protection de l'enfance ?

- C'est un point essentiel. Aujourd'hui, nous avons, d'après le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, un million d'enfants qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Parmi eux, beaucoup rencontrent des problèmes de logement. Il y a eu au cours de l'année 2005 de 8 000 à 10 000 enfants hébergés dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, sans compter les familles accueillies de manière précaire dans les hôtels meublés. Le problème de la pauvreté des enfants est avant tout celui de la pauvreté de leurs parents. C'est la raison pour laquelle, dans la loi qui vient d'être promulguée au mois de mars sur le retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux (2), des mesures énergiques ont été prises pour favoriser le cumul de la rémunération du travail et du minimum social pendant une durée suffisante. Ce système va être aussi appliqué à l'allocation pour parent isolé, pour laquelle j'ai prévu, d'une part, la mobilisation des caisses d'allocations familiales pour définir un parcours de formation et de réinsertion pour les bénéficiaires et d'autre part la possibilité pour les mères concernées d'avoir un accès prioritaire aux modes de garde pour leur enfant, de sorte qu'elles puissent s'engager dans une formation. Il faut savoir par ailleurs que notre système de prestations familiales sous conditions de ressources a des effets positifs pour les familles monoparentales. J'ajoute que la question de la pauvreté des enfants sera traitée dans le cadre du comité interministériel de lutte contre l'exclusion du 12 mai.

Le projet de loi n'aurait-il pas dû être l'occasion de clarifier la prise en charge des mineurs étrangers isolés ?

- Je souhaite que les conclusions du rapport du préfet Landrieu (3), qui préconise une prise en charge des mineurs étrangers en situation irrégulière au titre de la politique de l'immigration et une prise en charge des mineurs étrangers en situation régulière au titre de l'aide sociale à l'enfance, soient suivies. Dans l'immédiat, il faut prolonger la mission des centres d'accueil et d'orientation, comme celui de Taverny (Val-d'Oise), pour assurer une prise en charge humaine de ces jeunes. Un travail gouvernemental est en cours avec Catherine Vautrin et Nicolas Sarkozy, qui devrait pouvoir rendre ses conclusions dans les prochains mois.

Propos recueillis par Maryannick Le Bris

Notes

(1)  Sur l'exemple de la cellule mise en place dans la Seine-et-Marne, voir ASH n° 2448 du 24-03-06.

(2)  Voir ASH n° 2449 du 31-03-06.

(3)  Voir ASH n° 2317 du 27-06-03.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur