Suivant la décision de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) du 1erdécembre 2005 (1), le Conseil d'Etat a annulé, le 28 avril, le décret n° 2001-1384 du 31 décembre 2001 instituant une durée d'équivalence de la durée légale du travail dans les établissements sociaux et médico-sociaux gérés par des personnes privées à but non lucratif (2). Motif : ce décret ne fixe pas les limites dans lesquelles doit être mis en œuvre le régime d'équivalence qu'il définit pour garantir le respect des seuils et plafonds communautaires prévus par la directive 93/104/CE du 23 novembre 1993 sur l'aménagement du temps de travail (durée maximale du travail, repos minimum, temps de pause...) (3).
Pour mémoire, le décret du 31 décembre 2001 prévoit que, pour le calcul de la durée légale du travail, chacune des périodes de surveillance nocturne en chambre de veille est décomptée comme trois heures de travail effectif pour les neuf premières heures, et comme une demi-heure de travail effectif pour chaque heure effectuée au-delà. A la suite d'un litige l'opposant à son employeur sur la rémunération des heures de travail effectuées en chambre de veille, un éducateur spécialisé avait demandé en 2002 au Conseil d'Etat d'annuler ce décret. La Haute Juridiction administrative avait, à son tour, saisi la CJCE pour qu'elle dise notamment « dans quelle mesure un régime d'équivalence strictement proportionnel [qui consiste] à prendre en compte la totalité des heures de présence, tout en leur appliquant un mécanisme de pondération tenant à la moindre intensité du travail fourni pendant les périodes d'inaction, pourrait être regardé comme compatible avec les objectifs de la directive ». La CJCE a répondu que le régime d'heures d'équivalence ainsi mis en place par le décret du 31 décembre 2001 n'était pas totalement conforme aux règles édictées par la directive communautaire du 23 novembre 1993 dans la mesure où il conduisait à dépasser les règles de repos minimal (11 heures par jour) ou de temps de travail maximum (48 heures par semaine...).
Pour le Conseil d'Etat, qui s'appuie sur l'argumentation de la Cour européenne, « si la directive du 23 novembre 1993 ne fait pas obstacle à l'application des rapports d'équivalence aux durées maximales de travail fixées par le droit national, il ne saurait en résulter une inobservation des seuils et plafonds communautaires, pour l'appréciation desquels les périodes de travail effectif doivent être comptabilisées dans leur intégralité, sans possibilité de pondération ». Les sages du Palais Royal considèrent que, en autorisant, à l'article L. 212-4 du code du travail, la création de régimes d'équivalence, le législateur français a entendu faire application de mécanismes de pondération pour l'appréciation des règles relatives au temps de pause, à la durée de travail hebdomadaire, à la durée de travail quotidienne maximale des travailleurs de nuit. De ce fait, « faute pour le décret attaqué de comporter des règles prévoyant notamment, sans application du rapport d'équivalence qu'il définit, un temps de pause après six heures de travail effectif, une durée du travail maximale hebdomadaire de 48 heures en moyenne sur toute période de quatre mois consécutifs et, pour les travailleurs de nuit, une durée maximale de travail quotidien de huit heures en moyenne sur une période déterminée, [il] ne permet pas d'assurer le respect des prescriptions de la directive ». Par conséquent, poursuit le Conseil d'Etat, « s'il pouvait légalement définir un rapport d'équivalence pour l'appréciation des règles relatives aux rémunérations et aux heures supplémentaires ainsi que celles concernant les durées maximales de travail fixées par le droit national, le décret attaqué est entaché d'illégalité en tant qu'il ne fixe pas les limites dans lesquelles devait être mis en œuvre le régime d'équivalence ainsi créé pour garantir le respect des seuils et plafonds communautaires ». Pour la Haute Juridiction, tout comme pour la CJCE, ce n'est donc pas le système de rémunération induit par le régimes des heures d'équivalence (neuf heures payées trois) qui est remis en cause, mais l'organisation du temps de travail et le non-respect des durées maximales quotidienne et hebdomadaire prévues par la directive européenne.
En conclusion, le conseil d'Etat annule le décret du 31 décembre 2001. En outre, il précise que, « dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de limiter dans le temps les effets » de cette annulation. Il ne fait donc pas droit à la demande de l'Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, social et médico-social (Unifed) qui réclamait la non-rétroactivité de la décision (4). Enfin, il enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt, un nouveau décret réglementant les heures passées en chambre de veille.
(1) Voir ASH n° 2433 du 9-12-05.
(2) Voir ASH n° 2245 du 11-01-02.
(3) Cette directive européenne est en cours de révision - Voir, en dernier lieu, ASH n° 2411 du 10-06-05.
(4) Voir ASH n° 2442 du 10-02-06.