« La mise en place du plan de cohésion sociale a eu pour conséquence la création de deux nouvelles formes de contrats aidés accessibles aux ateliers et chantiers d'insertion (ACI) : le contrat d'avenir et le contrat d'accompagnement dans l'emploi. Ils remplacent le contrat emploi-solidarité (CES) et le contrat emploi consolidé (CEC) et sont soumis à l'application des accords collectifs ou conventionnels existants. Ces nouvelles mesures renvoient les acteurs à plusieurs débats. Doivent-ils proposer des avantages sociaux à l'ensemble de leurs salariés ? Doivent-ils distinguer les salariés permanents et les salariés en insertion ? Les ACI constituent-ils un ensemble suffisant pour qu'une convention collective ou un accord collectif spécifique soit mis en place ? Comment pourrait-on aménager les conventions collectives existantes ?
Pour l'heure coexistent trois cas de figure. Une partie des associations n'a pas formalisé d'accord collectif :elle applique le droit du travail. Une partie s'est rattachée à des conventions collectives existantes (1951, 1966, animation socioculturelle, formation, etc.), soit par choix, soit parce que le chantier d'insertion émanait d'une structure ayant une autre activité principale. C'est le cas de nombreuses associations du sanitaire et social, de l'éducation populaire ou encore de la formation, qui font bénéficier l'ensemble de leurs salariés permanents (encadrants, accompagnateurs, directeur, personnel administratif) d'avantages issus des conventions collectives. La dernière partie a créé des accords d'entreprise "maison ".
Lorsque les ACI fonctionnaient en utilisant principalement le contrat emploi-solidarité, ils n'étaient pas dans l'obligation d'appliquer les mesures conventionnelles aux salariés en insertion. Bien souvent, qu'ils dépendent ou non d'accords collectifs, ils se sont contentés de respecter le droit du travail. Ils se sont simplifié la vie et ont privilégié le moindre coût des contrats : ni retraite complémentaire, ni régime de prévoyance, ni rien d'autre. Cette situation ne gênait aucunement les principaux financeurs des chantiers (Etat, collectivités locales), qui se satisfaisaient de ne pas devoir assumer des surcoûts liés à des avantages complémentaires.
Cette situation a pu paraître anormale et des réseaux de l'insertion par l'activité économique ainsi que des organisations syndicales ont milité pour que les contrats aidés bénéficient de régimes sociaux plus avantageux (retraite, prévoyance). Mais ce militantisme, qui n'était pas porté par tous, est resté très discret et peu volontariste. La mise en place des nouveaux contrats aidés pose à nouveau la question des droits conventionnels. Dès lors, un grand nombre de chantiers en France se voient dans l'obligation d'appliquer, entre autres, des régimes de retraite complémentaire, de prévoyance, un salaire minimum conventionnel plus avantageux que le SMIC ou encore des aménagements du temps de travail particuliers : les mêmes que pour leurs salariés permanents. Ces surcoûts mettent certains chantiers en difficulté et l'Etat ne les a pas compensés par le renforcement de sa contribution financière. Certaines associations, couvertes par des conventions collectives inadaptées, risquent à court terme de disparaître.
Des questions pédagogiques sont également soulevées. Est-il pertinent de rémunérer un salarié en insertion sur la base d'une rémunération conventionnelle plus avantageuse que le SMIC ? Cela ne risque-t-il pas de l'inciter à rester dans la structure, sous contrat aidé, au lieu de s'intégrer dans une entreprise qui ne lui proposerait que le minimum obligatoire ? Est-il pertinent qu'un régime de prévoyance favorise une prise en charge du salaire dès le premier jour d'arrêt de travail ? Les besoins de formation des salariés en insertion sont importants et spécifiques. Peuvent-ils relever du seul droit commun de la formation professionnelle ? Doivent-ils faire l'objet d'un financement particulier par les pouvoirs publics ? Ne risquent-ils pas de ne pouvoir être pris en compte qu'au détriment de la nécessaire formation des salariés permanents ?
Ne pouvant supporter les nouveaux coûts induits par l'application des conventions collectives, des associations adoptent des positions radicales. Certaines arrêtent leur atelier ou leur chantier d'insertion ; d'autres, dans l'attente de solutions, prennent le risque de ne pas appliquer la loi. Face à cette situation, il est urgent que les partenaires sociaux s'engagent, convention par convention, dans des négociations pour trouver des aménagements correspondant à cette nouvelle donne.
Au-delà des difficultés financières et pédagogiques que provoquent ces mesures, l'apparition de ces contrats pose la question de la structuration des relations sociales dans les ACI. L'ancienneté des chantiers écoles (plus de vingt ans), le développement de la professionnalisation, la reconnaissance du secteur, ne doivent-ils pas s'accompagner de la mise en place d'un accord collectif spécifique aux chantiers d'insertion ? L'ensemble représente aujourd'hui plusieurs dizaines de milliers d'emplois. Dans un contexte où un nombre important de chantiers n'applique pas de convention collective, n'est-il pas souhaitable d'organiser le dialogue social entre des représentants salariés syndiqués des ACI et une organisation patronale composée d'acteurs de terrain ? Dans des associations et réseaux qui se réclament de l'économie solidaire et qui utilisent le contrat de travail comme un outil pédagogique, peut-on admettre qu'il n'y ait pas de formalisation d'un minimum d'acquis sociaux ?
La mise en place d'une convention collective spécifique aux ateliers et chantiers d'insertion structurerait le dialogue social entre les représentants des employeurs et les organisations syndicales de salariés. La reconnaissance des compétences des encadrants, des accompagnateurs sociaux, des personnels administratifs et des directeurs est essentielle. Elle doit s'accompagner de l'instauration d'un statut adapté et de couvertures spécifiques notamment en termes de prévoyance, de retraite complémentaire et de formation pour les salariés en insertion.
Même si nous, acteurs, mettons tout en place pour éviter cela, le dispositif d'insertion par l'activité économique est parfois vécu comme discriminant par ses bénéficiaires. En effet, l'agrément de l'ANPE, l'estampillage "public en difficulté ", le contrat aidé, la structure d'insertion, véhiculent sans le vouloir une image négative. Malgré tout, elle permet à chacun, selon ses aptitudes, de retrouver le chemin de l'emploi et de l'intégration. L'enjeu d'un accord collectif et des avantages qui y sont liés pour les nouveaux contrats aidés est bien d'apporter un peu plus de normalité dans un dispositif qui se situe à la marge. Il permettrait, au-delà des discours, de poser des actes traduits par des engagements au bénéfice des salariés, qu'ils soient en insertion ou permanents.
Nous sommes sortis du temps des pionniers et les ACI méritent un dispositif conventionnel spécifique. Les acquis sociaux font partie de l'histoire de l'économie sociale et solidaire, et il est temps que certains acteurs de l'IAE y soient particulièrement attentifs. »
Julien Le Sage Contact : Aspire - 270, rue du Clos-Bonnet - 49400 Saumur - Tél.02 41 67 74 00 - E-mail :
(1) « Aspire » à Saumur, constitué d'une association intermédiaire, d'une entreprise d'insertion et de chantiers d'insertion.
(2) Participent à cette commission Chantier Ecole, le Réseau Cocagne, la FNARS, la fédération Coorace et Tissons la solidarité.