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Les groupes d'entraide mutuelle sur la voie de l'autonomie

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Les groupes d'entraide mutuelle viennent combler un manque au carrefour du soin et de l'action sociale. Ces structures du lien et de l'entraide sont désormais dotées d'un cadre et d'un financement. Aux patients de s'en saisir et d'en faire des acteurs incontournables.

L'exclusion de la vie sociale, professionnelle, affective, voire familiale fait partie des conséquences de la maladie psychique, qui entraîne une incapacité de la personne à se situer par rapport à soi et aux autres, ainsi qu'une inadéquation à la réalité. Cet isolement, qui est lui-même un facteur aggravant de la maladie, peut retarder l'accès aux soins. Dans cet entre-deux qui scande les maladies au long cours, entre structure de soins et négation de la vie sociale, il n'y a tout simplement plus d'espace où créer des liens et faire des rencontres.

Afin d'offrir aux usagers un lieu où retrouver une existence reliée aux autres, les associations de familles, de patients et d'ex-patients ont créé, il y a une quarantaine d'années, des clubs d'accueil et d'entraide. Ces derniers ont été reconnus sous le nom de « groupes d'entraide mutuelle » (GEM) par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et sont dotés d'un cadre et d'un financement depuis la circulaire du 29 août 2005 (1). Un aboutissement pour les associations, qui ont vu ainsi consacrer ces espaces de convivialité entre les personnes souffrant de troubles psychiques : « parce qu'il existe un compagnonnage de la souffrance », défend Jean-Claude Montrognon, président de La vie en rose 84 ; « parce qu'avoir vécu une expérience psychique donne une capacité d'expertise supplémentaire », soutient Marc Breton, délégué régional de la Fédération d'aide à la santé mentale (FASM) Croix-Marine ; mais aussi, parce qu' « on n'est pas résilient tout seul, mais dans le lien », précise Jacques Leconte, psychologue (2).

Dans ces clubs, il n'est nullement question de « soin », si ce n'est dans le sens de « prendre soin » de l'autre et, par ricochet, de soi-même. « Ces groupes ne se situent ni dans le champ thérapeutique, ni dans le champ social », insiste Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations de patients et ex-patients de la psychiatrie (FNAP-Psy).

Considérés comme le chaînon manquant au carrefour du soin et de l'action sociale et dotés du statut associatif, ces groupes sont ouverts à tous les patients de la psychiatrie, y compris à ceux qui ne bénéficient pas d'une reconnaissance de leur handicap. L'adhésion volontaire en est le principe ainsi que la liberté d'aller et venir, sans contrainte, ni engagement. Les membres élaborent en commun le règlement intérieur et décident du mode de fonctionnement et des activités de l'association. « Il s'agit de personnes qui se réunissent pour s'entraider et s'organisent pour participer à leur environnement, aidées par des salariés et épaulées par des associations », explique Martine Barres, conseillère technique à la sous-direction des personnes handicapées de la direction générale de l'action sociale (DGAS) et l'une des rédactrices de la circulaire. « Un GEM, c'est pouvoir pousser une porte sans rendre de compte », explique Marie-Christine Dubois, adhérente au groupe d'entraide Amitié et Partage de Mons-en-Barœul. Ce club de 15 personnes, qui s'est formé autour d'un centre d'accueil thérapeutique à temps partiel, fonctionne depuis 2004. Grâce à son conventionnement, il a pu acheter du matériel pour les ateliers et une personne va être recrutée pour la gestion comptable. On y vient pour boire un café, « voir des gens », maintenir des liens et, « si on n'a pas vu un adhérent depuis quelque temps, on prend de ses nouvelles ». Loin du regard des soignants, qui « renvoie inévitablement l'usager à sa qualité de malade », explique Marie-Christine Dubois.

Le patient a un rôle primordial : « Les groupes d'entraide sont des associations autonomes qui ne dépendent que des usagers et n'existent que par leur volonté », insiste Claude Finkelstein. Cependant, si leur création et leur fonctionnement reposent sur la seule volonté des patients, de nombreuses dispositions permettent de les accompagner dans leur démarche : « Si le patient n'est pas le décideur, nous échouerons. Mais lui tout seul ne peut rien », affirme Guy Baillon, psychiatre des hôpitaux de Ville-Evrard/Bondy et membre de la FASM Croix-Marine, résumant ainsi le délicat équilibre à trouver entre autonomie des usagers et exigences d'encadrement.

La circulaire du 29 août recommande d'ailleurs le parrainage des GEM par une autre association (de familles de malades, de patients et d'ex-patients ou œuvrant dans le champ de la santé mentale) ou de tout organisme reconnu (établissement de santé mentale). Cet appui, qui doit être formalisé par convention, vise à aider l'association d'usagers à s'organiser en apportant une aide au montage du projet et à la gestion administrative et financière. Une disposition transitoire permet également à un organisme qui ne rassemble pas majoritairement des patients de mettre en place un groupe d'entraide mutuelle, mais avec l'objectif de devenir à terme une association d'usagers. « Les groupes d'entraide ne prendront tout leur sens que s'ils parviennent à fonctionner tout seuls, explique Martine Barres. Il y a de nombreux établissements de santé mentale, par exemple, qui ont encouragé des créations de clubs d'usagers. Mais dans le cadre qui a été fixé, les équipes de psychiatrie devront se positionner à la bonne distance. » Le comité national de suivi des GEM (qui réunit des représentants ministériels, des trois grands réseaux associatifs, de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et de l'Association des maires de France) devrait d'ailleurs, à la lumière des expériences, apporter des précisions sur le rôle des parrains. « Le dispositif est conçu de façon ouverte afin de pouvoir évoluer et être affiné en fonction des problématiques rencontrées sur le terrain », précise Martine Barres.

Mais l'essor des groupes doit venir aussi du réseau partenarial que les clubs sont fortement invités à tisser au niveau local. Car l'un des enjeux est de parvenir à ce que les usagers s'inscrivent en tant qu'acteurs dans leur environnement. A commencer dans leur commune d'accueil. L'Association des maires de France s'est ainsi engagée à sensibiliser les élus et les centres communaux d'action sociale (CCAS) à la démarche et à les encourager à prêter des locaux. Les adhérents des groupes sont également vivement incités à développer les liens avec les institutions sociales et sanitaires afin que les réponses puissent être adaptées à leurs besoins ; ce qui peut passer par la signature d'une convention avec l'hôpital dont relèvent les secteurs concernés. « On ne peut concevoir les GEM sans envisager une collaboration en bonne intelligence avec la psychiatrie, précise Martine Barres. Mais là encore, le travail de suivi nous donnera des éléments pour mieux appréhender les articulations avec le secteur. »

Mais le partenariat ne saurait s'arrêter là. Une véritable insertion suppose de développer les relations avec les sociétés d'HLM, les associations d'aide au logement, l'Agence nationale pour l'emploi, les organismes de formation, etc. C'est par ce biais qu'on pourra tenter de de répondre aux multiples difficultés rencontrées par les malades psychiques, qui vivent à 70 % dans les villes et dont une partie connaît une extrême précarité. « Il faudrait que l'on puisse proposer des emplois à ces malades au long cours. Il est inconcevable que des personnes atteintes de troubles psychiques soient exclues de la société de façon définitive dès l'âge de 25 ans », s'emporte Jean-Luc Roelandt, chef de service de l'établissement public de santé mentale (EPSM) Lille-Métropole.

Nul doute, comme l'exprime Claude Finkelstein, que « les GEM sont un vecteur de déstigmatisation en profondeur des malades psychiques ». Et que « le club représente l'outil central dans le maillage relationnel de l'usager », comme le défend Marie-Yaelle Cousin, animatrice culturelle à l'EPSM de Lille-Métropole. Reste néanmoins qu'au-delà des partenariats, les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités. Ce qui passe, de l'avis des fédérations, par la mise en place d'une vraie politique d'information sur la question du handicap psychique afin de faire tomber les préjugés. Et par la formation des professionnels qui les accompagnent, comme le prévoit le plan pour la santé mentale (3). Pour le président de l'Unccas, Patrick Kanner, « des formations spécifiques, comme celle dispensée aux travailleurs sociaux du CCAS de Tourcoing, contribueraient à améliorer l'accueil des usagers ».

« Se détacher des lieux de soins »

En attendant, les GEM prennent leurs marques. Bon nombre d'usagers de groupes implantés dans des structures de soins, qui ont souvent contribué à les mettre en place, sont ainsi demandeurs de permanences en soirée et le week-end, moments éprouvants pour les malades isolés. Une façon aussi de revendiquer leur indépendance par rapport à l'institution. « Il faut que les groupes d'entraide se situent le plus possible à l'extérieur afin que les patients puissent vraiment s'insérer dans la cité. Ils doivent se détacher des lieux de soins certes rassurants, mais qui peuvent être un frein à leur autonomie », estime Martine Barres .

Cette autonomie, l'association Desti-nation avenir l'a en tout cas acquise. Son tout nouveau local, loué dans le centre de Perpignan grâce aux 80 000 € obtenus dans le cadre de la procédure de conventionnement, aura ses propres horaires. Contrairement aux autres antennes de l'association, qui, situées dans un centre thérapeutique à temps partiel et un centre médico-psychologique à Argelès-sur-Mer et à Serré, dépendent, elles, des heures d'ouverture de ces structures. L'association compte en tout 80 membres. Depuis sa transformation en GEM, elle a pu doubler le nombre des ateliers proposés (théâtre, cuisine, écriture, arts plastiques) et recruter un coordinateur. Un secrétaire comptable à mi-temps doit venir encore renforcer le groupe. « Destination avenir est devenue une association exclusivement d'usagers, se félicite Nadia Schaub. Il n'y a plus de représentant de l'hôpital au sein du bureau et du conseil d'administration. »

« Les usagers sont les seuls garants du respect de l'éthique du GEM », insiste Claude Finkelstein. Pour éviter des dérives comptables ou un dévoiement des objectifs par l'un des partenaires, la FNAP-Psy a d'ailleurs créé l'Association nationale pour l'expertise des GEM (Anegem) (4). Outre une aide au montage des conventions et à la gestion, cette dernière s'est dotée d'un comité d'éthique chargé de contrôler les principes qui fondent les groupes d'entraide mutuelle. Anne-Corinne Zimmer

PARVENIR À 300 GROUPES D'ICI À DEUX ANS

Les groupes d'entraide mutuelle (GEM) se sont vu allouer, dans le cadre du plan pour la santé mentale, une enveloppe de 20 millions d'euros par la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. L'aide apportée par l'Etat peut atteindre en moyenne 75 000 € en année pleine par groupe d'entraide. Modulée en fonction de l'importance du groupe (nombre d'adhérents et projets d'activité), elle permet de recruter au moins un animateur ayant une formation dans l'accompagnement des personnes en souffrance psychique et/ou un gestionnaire et de couvrir les frais de fonctionnement. Cette somme s'ajoute aux diverses subventions dont les structures peuvent bénéficier par ailleurs. On estime actuellement à 150 le nombre de groupes d'entraide mutuelle (source DGAS). L'objectif est de parvenir en deux ans à un total de 300 GEM conventionnés. Une centaine de clubs affiliés à l'Union nationale des amis et familles des malades psychiques (Unafam) s'apprêtent à déposer un dossier auprès des directions départementales des affaires sanitaires et sociales.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2419 du 2-09-05 et n° 2397 du 4-03-05.

(2)  Lors des journées d'étude organisées les 1er et 2 février 2006 sur les clubs à Mons-en-Barœul (Nord) - FNAP-Psy : 3, rue Evariste-Galois - 75020 Paris - Tél. 01 43 64 85 42.

(3)  Voir ASH n° 2394 du 11-02-05.

(4)  Anegem : contact@anegem.org.

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