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Associations : combien de divisions ?

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Pour la première fois, l'INSEE a voulu cerner le poids économique des associations en France. Selon l'étude réalisée par l'un de ses statisticiens, Philippe Kaminski, le secteur totalisait 1 435 000 emplois en 2002, soit plus que la construction, et 2,9 % du PIB. A elle seule, l'action sociale et médico-sociale représente la moitié de l'ensemble.

Actualités sociales hebdomadaires : Le monde des associations reste une nébuleuse mal cernée. Pourquoi ?

Philippe Kaminski : Parce qu'on n'a jamais cherché à le dénombrer en tant que tel. Quand, avec quelques statisticiens, chercheurs et cadres de l'économie sociale, nous avons fondé l'Association pour le développement de la documentation sur l'économie sociale [ADDES] (1) en 1982, c'était précisément pour développer la connaissance scientifique de ce tiers secteur, notamment au plan de la statistique, de l'économie et de l'histoire... Nous disons volontiers que, dans notre société où l'économie prime, « ce qui n'est pas compté ne compte pas ». L'absence de statistiques régulières reflète le statut marginal des associations, voire le dédain où elles sont parfois tenues.

Force est de constater que nous n'avons pas beaucoup progressé depuis 1982, du moins en matière de mobilisation de l'appareil statistique public. Celui-ci a bien esquissé en 1987 une tentative pour construire un compte de l'économie sociale. Un comité de pilotage s'est réuni trois fois puis a été oublié, faute de volonté politique.

L'INSEE vous a cependant confié une étude en décembre 2003...

- Ce vieux projet est revenu par un détour international. L'ONU a publié en 2003 un Manuel pour l'établissement d'un compte satellite des institutions sans but lucratif [ISBL] dans le système de la comptabilité nationale. Comme dans 19 autres pays - la Belgique est très en avance sur nous en la matière -, l'INSEE a décidé de réaliser ce compte et m'a confié cette mission. Il s'agissait à la fois de dénombrer les ISBL et les emplois qu'elles recouvrent, mais aussi de calculer pour la première fois leur valeur ajoutée, c'est-à-dire leur contribution à la création de la richesse du pays, et leur place dans la production nationale (2). Ce sont des données dont il faut disposer pour que ce secteur soit visible et reconnu.

Qu'entend l'ONU par institutions sans but lucratif ?

- Selon le manuel, une ISBL est un organisme privé qui s'interdit de distribuer des bénéfices, qui doit avoir une gestion autonome et auquel l'adhésion ne peut être obligatoire ou automatique. En France, cela recouvre la plus grande partie des associations, les fondations, les syndicats, les partis politiques, les Eglises et les congrégations. Mais les associations représentent 93 % de l'ensemble. Dans l'étude, je n'ai pris en compte, sur le total de plus de 400 000 associations répertoriées, que celles qui ont une activité économique significative, en plaçant le seuil à au moins un salarié équivalent temps plein sur l'année. Le champ exclut les coopératives et les mutuelles, y compris les établissements sanitaires et sociaux à forme mutuelle, bien qu'ils ne soient guère différents de leurs homologues associatifs.

Ce qui représente ?

- A partir des données de l'année 2002, le premier décompte des ISBL englobait près de 259 000 institutions, distribuant 29 milliards d'euros de masse salariale et totalisant 1 620 000 emplois. Pour rester fidèle à l'esprit du manuel, j'ai ensuite éliminé les « fausses associations »  : les syndicats de copropriété, les organismes dépendant à 100 % de la puissance publique, ceux qui gèrent des régimes obligatoires ou à adhésion automatique, ou encore ceux qui sont en fait au service du secteur lucratif comme les organisations patronales, les associations de porteurs en bourse, les cercles de jeu, etc.

Un vrai travail de bénédictin, soulignent les spécialistes...

- Effectivement ! Restent dans le champ final 128 000 ISBL, distribuant 25,8 milliards d'euros de masse salariale, et dégageant 45,5 milliards de valeur ajoutée. Cela représente, selon une estimation prudente mais fiable, 2,9 %du PIB. La « production » (autrement dit le budget total) de ces 128 000 structures est de l'ordre de 60 milliards. Elles emploient 1 435 000 salariés stables, auxquels il faut ajouter 1,2 million d'autres contrats de travail, plus ou moins précaires, des « petits boulots » qui se succèdent dans l'année.

Il s'agit donc d'un secteur économique important ?

- Notamment par le volume d'emplois. Comparez ses effectifs aux 970 000 personnes travaillant dans la banque et l'assurance, au 1,1 million de salariés des transports et au 1,3 million de travailleurs de la construction. Le secteur associatif représente 8,4 % de l'emploi privé, 6,5 % de l'emploi total, et 4,4 % de la masse salariale brute distribuée. Ce dernier taux, plus faible, reflète la présence d'emplois à temps partiel et de contrats aidés.

Quel est, dans cet ensemble, le poids du secteur social ?

- Les grandes missions de service public que sont la santé, l'action sociale, l'éducation et la recherche représentent 73,5 % de l'ensemble de la valeur ajoutée des associations. C'est à la fois beaucoup et peu par rapport à d'autres pays où l'essentiel des hôpitaux et des universités sont à forme non lucrative. En France, les associations sont dominantes dans un seul domaine d'activité : l'action sociale (3). Elle totalise à elle seule 45 % du PIB associatif [voir le tableau ci-dessous], soit 1,3 % du PIB total, ce qui est loin d'être négligeable. Elle représente aussi 747 000 emplois permanents, soit 52 %du total associatif. C'est plus de trois fois le nombre des salariés de l'automobile, par exemple.

Pourquoi ces chiffres sont-ils si difficiles à obtenir ?

- Les associations - et les ISBL en général - sont bien sûr prises en compte dans la comptabilité nationale, mais pas repérées en tant que telles, dans une catégorie isolée. Elles se trouvent réparties dans les comptes des sociétés, des administrations, des ménages... Le plus facile à décompter, ce sont les emplois, qui sont connus par la déclaration annuelle des données sociales faite par les employeurs. Pour le reste, l'information disponible est très lacunaire.

Pratiquement aucune des associations actives dans l'action sociale n'est fiscalisée, ce qui prive les statisticiens de leurs comptes. Et cela, bien qu'elles doivent par ailleurs fournir à l'administration des quantités de données pour alimenter le système d'information très lourd et très complet de leur ministère de tutelle. Comme celui-ci n'est pas organisé sur des bases semblables à celles de Bercy ou de l'INSEE mais sur des unités à définitions médico-sociales, aucun appariement simple n'est possible entre les deux mondes.

Par ailleurs, alors que le secteur social est financé très largement par des fonds publics, il a été plus facile d'y voir clair sur ses dépenses que sur ses recettes. Je n'ai pu établir les comptes complets que pour les maisons de retraite, les structures de la petite enfance et les services à domicile.

Etes-vous néanmoins satisfait des données collectées dans le domaine de l'action sociale ?

- La ventilation entre les différentes rubriques est encore imparfaite. Le poste « action sociale polyvalente » est surestimé de 30 à 40 %. Par exemple, tous les établissements de la Croix-Rouge (dont la gestion est centralisée) s'y retrouvent, quelle que soit leur activité. Le poste « aide par le travail » est très mal renseigné et la distinction est difficile à opérer entre l'encadrement permanent et les personnes handicapées accueillies. En revanche, nous sommes parvenus à bien séparer les activités sociales, financées par la protection sociale, des activités humanitaires et caritatives, qui sont comptabilisées dans un autre chapitre, sauf pour la Croix-Rouge.

Serait-il possible d'améliorer la qualité de ces informations ?

- Cela ne poserait pas de problème méthodologique particulier, mais réclamerait un très gros travail à mener en collaboration avec la DREES et l'Uniopss. Nous pourrions alors intégrer au secteur les établissements mutualistes.

Au total, ce chiffrage est perfectible, mais il a le mérite de reposer sur des bases solides. Je note d'ailleurs qu'il recoupe largement les données produites par la seule enquête fiable et d'envergure sur le secteur associatif, celle que Viviane Tchernonog, du Centre d'économie de la Sorbonne, mène depuis 15 ans (4).

L'INSEE s'est-il donné les moyens d'actualiser régulièrement votre étude ?

- Pas pour l'instant. Il ne s'est rien passé depuis que j'ai remis ce travail en mai 2005. Alors que, dans cet institut ou dans les ministères spécialisés, on doit bien compter 200 statisticiens qui se consacrent à l'agriculture, 60 à la construction, une dizaine à l'artisanat, aucun ne s'occupe des associations...

Cependant, lors du colloque de l'ADDES tenu le 7 mars dernier, le représentant de l'INSEE a indiqué que la préparation de la prochaine base des comptes nationaux, prévue autour de 2010, pourrait être l'occasion de développer un compte satellite pour les ISBL. Il a aussi évoqué d'autres pistes pour améliorer le repérage des associations, après 2008. Si, dans le contexte de restrictions financières et de non-remplacement des départs à la retraite que connaît l'institut, ces promesses se confirment, on peut se montrer raisonnablement satisfaits.

Propos recueillis par Marie-Jo Maerel

Notes

(1)  ADDES : 33, rue des Trois-Fontanot - BP 211 - 92002 Nanterre cedex - Tél. 01 47 24 85 62 - www.addes.asso.fr. L'association se signale notamment par l'organisation d'un colloque scientifique chaque année.

(2)  Les conclusions de l'étude sont éditées dans une plaquette de l'ADDES : Les associations en France et leur contribution au PIB.

(3)  Ce vocable a été défini en référence au périmètre des activités relevant de la direction générale de l'action sociale et inclut donc le secteur médico-social. Il exclut, en revanche, des domaines comme l'insertion par l'activité économique ou la politique de la ville.

(4)  Voir ASH n° 2451 du 14-04-06.

(5)  En millions d'euros.

(6)  Cette rubrique est surévaluée de 30 à 40 %, du fait de la difficulté de ventiler certains établissements dans les autres rubriques. Mais le total «action sociale » est juste.

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