Alors que le ministre de l'Intérieur s'apprête à défendre le 2 mai devant les députés le projet de loi sur l'immigration et l'intégration (1), la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine a rendu publiques ses conclusions le 13 avril, au terme de quatre mois et demi de travaux (2). Le volumineux rapport de l'instance présidée par le sénateur radical de Guyane, Georges Othily, tombe à point nommé. Ses 45 recommandations ne manqueront pas, en effet, d'alimenter les débats au cours de l'examen du projet de loi et il n'est d'ailleurs pas impossible que certaines soient reprises sous forme d'amendements.
« Indicateurs peu fiables », « chiffres sujets à caution » :il est urgent, pour les sénateurs, d'améliorer notre connaissance statistique de l'immigration irrégulière. « On ne bâtit rien sur l'ignorance », a souligné le rapporteur (UMP) de la commission, François-Noël Buffet, pour qui « la mesure de l'immigration irrégulière doit être regardée comme un préalable » à toute tentative de solution. Le rapport propose ainsi d'autoriser - sous le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et « à des fins uniquement statistiques » - l'interconnexion des fichiers administratifs comportant des données relatives aux clandestins. Car, si le nombre de clandestins échappe, par nature, à tout recensement, les sans-papiers ne sont pas tous, pour autant, inconnus des administrations. Les attestations définitives de rejet des demandes d'asile, les dossiers de demande de régularisation déposés en préfecture, les mesures d'éloignement non exécutées, les recours à l'aide médicale de l'Etat (AME), la fréquentation d'établissements scolaires par des enfants de nouveaux arrivants ou encore la suroccupation des foyers de travailleurs migrants seraient ainsi autant de sources d'information susceptibles d'être croisées. La commission sénatoriale suggère encore de confier à l'Institut national de la statistique et des études économiques la mission de réaliser une enquête en population générale sur les étrangers en situation irrégulière, en prenant soin d'apporter une protection absolue au secret statistique.
Au-delà de la question de l'évaluation du nombre des sans-papiers, la commission sénatoriale s'est également intéressée à celle du contrôle des flux d'immigration. Sa conviction première, en la matière : le développement des pays sources de l'immigration constitue, à terme, la seule solution de fond au problème, et en particulier le seul moyen de desserrer la pression migratoire qui s'exerce en outre-mer. L'instance préconise notamment de cibler davantage les programmes d'aide au développement économique vers les pays qui fournissent les principaux contingents de clandestins ou encore d'intensifier l'aide publique au développement au profit des Etats voisins des départements et collectivités d'outre-mer.
Les sénateurs se sont interrogés par ailleurs sur le pouvoir d'attraction des droits sociaux reconnus aux clandestins (AME, hébergement d'urgence, scolarisation des enfants...) et sur l'opportunité de les supprimer, pour décourager les candidats à l'immigration régulière (3). Tout en souscrivant aux propos de Nicolas Sarkozy qui, durant son audition, a insisté sur leur caractère provisoire, ils se prononcent ainsi pour le maintien de ces droits sociaux, jugeant que leur remise en cause « présenterait de sérieux inconvénients ». « On comprend aisément que l'exclusion du système de soins d'une population estimée entre 200 000 et 400 000 personnes présente des risques au regard des maladies contagieuses que ces personnes sont susceptibles de véhiculer », explique le rapport, sans ambages. Dans le même esprit, la commission ne voit que des avantages à scolariser les enfants « plutôt qu'à les laisser livrés à eux-mêmes » et estime que l'exclusion des étrangers en situation irrégulière des dispositifs d'urgence « risquerait de conduire à des réactions de violences désespérées, préjudiciables au maintien de la sécurité publique ». En outre, elle doute qu'une éventuelle remise en cause « les dissuade en grand nombre de gagner notre territoire », « les bénéfices retirés du travail illégal [suffisant] à justifier les risques du voyage ». En dernier lieu, les sénateurs notent que, en tout état de cause, une telle décision serait peu conforme aux valeurs de notre République et irait à l'encontre d'engagements internationaux ratifiés par la France.
La commission formule diverses autres recommandations pour renforcer la lutte contre le travail illégal et les marchands de sommeil ou encore pour mieux cibler les reconduites. Elle suggère notamment de veiller à éloigner les clandestins dans de brefs délais après leur entrée sur le territoire. Soufflant le chaud et le froid, le rapport aborde également la question de « la garantie du droit d'asile » . Les sénateurs proposent ainsi d'assurer la gratuité du recours à un interprète pour rédiger la demande d'asile, d'ouvrir le bénéfice de l'aide juridictionnelle devant la commission des recours des réfugiés (CRR) aux étrangers entrés irrégulièrement en France ou encore de maintenir à un mois le délai de recours contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides devant la CRR (4). Autre sujet de préoccupation pour les sénateurs : la situation actuelle des mineurs étrangers isolés en zone d'attente, qui ne leur apparaît pas « satisfaisante ». Le rapport recommande ainsi de les faire bénéficier automatiquement du « jour franc », afin d'offrir à l'administrateur ad hoc le temps suffisant à la prise en charge des mineurs (5). « Certains policiers [...] auraient d'ailleurs pour habitude de faire bénéficier automatiquement les mineurs du jour franc », remarquent les sénateurs. Ces derniers plaident également pour une amélioration de la prise en charge matérielle et juridique de ces jeunes pendant leur maintien en zone d'attente, ainsi que pour un renforcement de la compétence du juge des libertés et de la détention à l'égard de cette population.
Globalement, la commission sénatoriale juge, quoi qu'il en soit, plutôt favorablement la politique gouvernementale de lutte contre l'immigration clandestine, passée et à venir. A tel point que les huit sénateurs socialistes, communistes et verts qui en étaient membres se sont désolidarisés du rapport, auquel ils reprochent notamment de souscrire d'avance aux projets de loi sur l'immigration et sur le contrôle de la validité du mariage.
Seule véritable pierre lancée dans le jardin du gouvernement par la commission d'enquête, au final : la politique d'aide au retour volontaire est jugée inefficace et la décision de généraliser le dispositif (6) « avant même que l'expérimentation soit achevée et évaluée » laisse les sénateurs circonspects.
O.S.
(1) Voir ASH n° 2449 du 31-03-06.
(2) Rapport disponible sur le site
(3) Dans un rapport public particulier sur l'accueil des étrangers, publié en 2004, la Cour des comptes critiquait le « quasi statut » de l'immigrant en situation irrégulière et posait donc, en filigrane, cette question - Voir ASH n° 2383 du 26-11-04.
(4) Rappelons que le comité interministériel de contrôle de l'immigration a pris la décision de principe de ramener ce délai de un mois à 15 jours - Voir ASH n° 2432 du 2-12-05.
(5) La loi du 26 novembre 2003 a supprimé le bénéfice automatique du jour franc - Voir ASH n° 2338 du 19-12-03.
(6) Voir ASH n° 2451 du 14-04-06.