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Sortir les personnes vieillissantes de la rue

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Face à l'augmentation préoccupante des personnes de plus de 45 ou 50 ans à la rue, le monde associatif tente d'échafauder des réponses ad hoc pour permettre à un public usé par l'errance et sans réelle perspective de réinsertion professionnelle de reprendre pied. Si des solutions commencent à apparaître dans le secteur de l'accueil d'urgence, des structures d'hébergement plus durables font encore défaut.

« Depuis deux ans, on note une augmentation du public vieillissant à la rue », observe Denis Lebaillif, directeur général adjoint de la Fondation Armée du salut (1). L'an dernier, l'organisme a d'ailleurs décidé, pour la première fois, de maintenir la distribution de repas durant tout l'été afin de faire face à l'afflux de ce public. Ce constat est partagé par de nombreuses associations, à commencer par le Secours catholique (2), qui a vu la part des personnes aidées âgées de 50 à 59 ans passer de 12,9 % en 1999 à 15,4 % en 2004. Le phénomène est identique dans les centres d'hébergement d'urgence franciliens de l'association Emmaüs (3), où la proportion des plus de 55 ans a dépassé les 18 % en 2004, contre 11,6 % en 2003.

L'arrivée massive de ces quinquagénaires, peu susceptibles de réintégrer le marché du travail, inquiète les associations. D'autant que ces publics remettent en cause le fonctionnement des structures d'accueil et d'hébergement traditionnelles. « On voit des personnes d'une cinquantaine d'années qui se sont retrouvées du jour au lendemain à la rue, sans autre possibilité que d'y rester parce qu'on n'a pas su s'organiser pour les en faire sortir. C'est un non-sens de demander à des adultes de cet âge, fatigués par des années de rue, de quitter un établissement tous les matins et de partir au bout de sept nuits pour refaire le 115 », s'indigne Luc Monti, président de la commission urgence de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) Ile-de-France (4) et directeur de la Cité André-Jacomet, à Paris. Un centre d'hébergement qui, disposant de 130 places pour hommes seuls, adressés uniquement par le 115, voit arriver une proportion croissante de publics de plus de 55 ans (28 %actuellement), certaines ayant parfois plus de 80 ans. « Il faut inventer de nouvelles formes d'hospitalité pour mettre à l'abri ces personnes, sur lesquelles les pressions de l'emploi ne pèsent plus, défend Xavier Vandromme, responsable des centres d'urgence Emmaüs . Il est nécessaire de créer des formes d'hébergement qui respectent leur rythme de vie et leur permettent d'envisager l'avenir à moyen terme. » Le secteur de l'urgence évolue trop lentement, déplore également Hector Cardoso, responsable du département lutte contre les grandes exclusions au Secours catholique : « Quand le SAMU social a été créé voici une douzaine d'années, la durée maximale d'accueil était de trois nuits et elle est passée à sept nuits. Mais qui peut se remettre de plusieurs années de rue au bout d'une semaine ? Il faut allonger la durée d'hébergement et donner les moyens à l'urgence pour qu'elle puisse faire de l'accompagnement. »

Sur le terrain, des expériences commencent à voir le jour, à l'exemple du centre Emmaüs ouvert en décembre 2004 au sein de l'hôpital Perray-Vaucluse d'Epinay-sur-Orge (Essonne) (5). Prévue pour accueillir une cinquantaine de personnes sans abri de plus de 55 ans, la structure reste ouverte durant la journée et autorise des séjours de 15 jours renouvelables. Si le dispositif s'inscrit dans une logique d'accueil d'urgence, explique Jocelyne Choveau, directrice du centre, il permet néanmoins aux personnes vieillissantes « de poser leur valise pour pouvoir regarder plus loin ». Très éprouvées par les années d'errance, celles qui arrivent au centre en profitent le plus souvent pour faire la sieste dans la journée. Elles peuvent également prendre leurs repas sur place, assister à des animations ou rencontrer un travailleur social. L'angoisse du lendemain ayant disparu, la plupart d'entre elles parviennent même à rompre leur dépendance à l'alcool.

Depuis mars 2005, l'association Le Cœur des haltes (6) a également ouvert un centre d'accueil et d'accompagnement plus adapté aux personnes à la rue. Si elle reçoit aussi des publics plus jeunes, la structure, d'une capacité de 40 places, située dans un des bâtiments de l'hôpital Maison-Blanche de Neuilly-sur-Marne, héberge en majorité des sexagénaires pour une durée qui varie selon chaque situation. Chambres individuelles, repas pris en collectivité, activités organisées plusieurs jours par semaine et en soirée, participation aux tâches ménagères..., le temps est rythmé et structuré, ce qui permet d'oublier l'angoisse du lendemain. « Le quotidien constitue le meilleur outil pour reprendre des repères dans la vie et retrouver l'estime de soi. C'est pourquoi il faut développer une notion de temps différente de celle que l'on peut trouver dans l'urgence sociale », défend la responsable, Béatrice Tessier.

Une première étape

Se réhabituer à prendre une douche, à se raser, à porter des vêtements propres, comme autant de gestes simples qui permettent de restaurer une image très dégradée et de renouer parfois des liens familiaux rompus depuis des années. « Certaines personnes appellent leur fille ou leur frère parce qu'elles redeviennent plus présentables à leurs propres yeux. Pour d'autres, c'est le fait d'avoir un peu d'argent, une fois qu'on a réussi à faire valoir leurs droits à la retraite, qui leur permet de réintégrer autrement leur famille », observe Jocelyne Choveau.

Surtout, ces nouvelles formules d'accueil, à taille humaine et offrant des délais de séjours plus longs, sont une première étape pour accéder à des modes d'hébergement plus pérennes. « On a eu des personnes qui ont pu partir dans des résidences service de la ville de Paris (7) parce que, pendant quatre mois chez nous, elles ont pu se lever après huit heures du matin, prendre de vrais repas assis avec des couverts ou encore dormir dans des draps, note Béatrice Tessier. Sans cette acquisition des repères de base, elles n'auraient jamais réussi leur entretien pour entrer dans ce type de résidence. »

Mais ces expérimentations restent minoritaires et les professionnels regrettent le manque de solu-tions en aval pour loger durablement ces publics. Chacun n'a pas une famille prête à l'accueillir et les rares logements sociaux disponibles se révèlent parfois inadaptés à des personnes sans abri, incapables de vivre de manière autonome. Il y a bien sûr la solution des maisons-relais, mais leur nombre est insuffisant pour faire face à l'arrivée en masse de cette population vieillissante. Quant à ceux qui ont l'âge d'entrer en maison de retraite, ils ont beaucoup de mal à accepter la rigidité des règles de vie de l'établissement et la cohabitation avec des personnes souvent beaucoup plus âgées qu'eux. « On est coincé parce qu'on n'a pas de pistes aujourd'hui pour les orienter comme il faudrait vers des structures plus pérennes », déplore Luc Monti.

Les solutions permettant d'offrir une fin de vie décente aux seniors les plus démunis restent de fait à inventer. « Les dispositifs comme celui d'Emmaüs à Perray-Vaucluse sont une première étape indispensable. Il faudrait maintenant réfléchir à la mise en place de petites unités de vie d'environ 25 personnes, à mi-chemin entre l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes et la maison-relais, avec un projet de vie respectant l'autonomie de ce public », explique Denis Lebaillif. Attention en effet, prévient Xavier Vandromme, à ne pas recréer des « hospices » ni à développer des structures trop contraignantes pour des publics très attachés à une forme de liberté. « Ce ne sont pas des personnes âgées, mais des personnes qui ont pris l'habitude d'aller et venir. Si on les fixe indéfiniment dans un endroit, on ne leur permet pas de rester dans la vie. Il faut imaginer des espaces mixtes, où elles pourront côtoyer des publics plus jeunes, et qu'elles pourront intégrer ou quitter librement. Des lieux où elles pourront renouer des liens sociaux à travers des débats, des conseils de maison ou par le biais de rencontres avec les bénévoles. »

Avant de songer à multiplier les dispositifs, défend pour sa part Bernard Quaretta, membre de la FNARS et directeur de la Société dijonnaise de l'assistance par le travail, il est d'abord préférable de prendre appui sur le cadre juridique en vigueur et d'adapter les structures existantes à cette population. « Pourquoi ne fonctionnerait-on pas tout simplement avec des centres d'hébergement et de réinsertion sociale [CHRS] de longue durée, en renouvelant les demandes de prolongation, et des maisons de retraite qui n'auraient pas une prise en charge médicalisée importante pour les personnes en âge d'y entrer ? », s'interroge-t-il.

Son association a ouvert en 1994 une maison d'accueil pour person- nes âgées marginalisées (MAPAM) (8) dans le même bâtiment qu'un CHRS, qui a été entièrement restructuré. Il n'y a donc qu'une seule structure avec une section « CHRS » financée par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales et une section « maison de retraite » agréée au titre de l'aide sociale et prise en charge par le conseil général de la Côte-d'Or (9), « ce qui permet une mixité des populations et favorise la solidarité intergénérationnelle », souligne Bernard Quaretta. Sur les 83 studios, une trentaine sont réservés aux plus de 60 ans. Quatre travailleurs sociaux (assistants sociaux et éducateurs spécialisés) sont affectés spécifiquement à la section « maison de retraite », qui n'est pas médicalisée et au sein de laquelle les personnes sont libres d'aller et de venir. Lorsque celles-ci deviennent invalides, elles sont dirigées vers d'autres établissements, en particulier la maison de retraite de l'hôpital gériatrique de Champmaillot, à Dijon, avec lequel une convention a été signée. « A l'inverse, la MAPAM peut être sollicitée par les maisons de retraite médicalisées pour accueillir des personnes âgées valides », explique Bernard Quaretta.

Structures formant un sas avant l'entrée en établissement, dispositifs plus souples et plus ouverts sur la vie de la cité, lieux d'hébergement spécialisés pour permettre aux personnes sans abri de finir leur vie de manière décente... Au-delà de la diversité des réponses à imaginer, tous les responsables associatifs s'accordent sur la nécessité d'agir rapidement pour permettre à cette population en difficulté de vieillir dans de bonne conditions. Voire de vieillir, tout simplement : selon les chiffres du collectif Les Morts de la rue, la moyenne d'âge des personnes décédées dans la rue est de 49 ans...

Henri Cormier

LE 115 SOUS-UTILISÉ PAR LES SANS DOMICILE FIXE AGÉS

Contrairement à une idée largement répandue dans l'opinion, rares sont les personnes à la rue qui choisissent d'y rester plutôt que d'intégrer, même pour une courte durée, un centre d'accueil d'urgence. Selon une enquête réalisée à la demande de l'association Emmaüs du 17 novembre au 5 décembre dernier (10) par l'institut BVA auprès de 400 personnes hébergées dans ses centres, 80 % d'entre elles disent préférer être hébergées, ne serait-ce que pour une nuit, dans ces centres plutôt que dormir dehors. En outre, moins de la moitié d'entre elles ont recours au 115 pour trouver un lieu d'accueil. C'est particulièrement vrai pour les personnes vieillissantes et âgées, précise Xavier Vandromme, responsable des centres d'urgence Emmaüs, « parce que c'est un public particulièrement faible et qui a du mal à développer des stratégies de survie comme les plus jeunes ». « Faire le 115, rentrer dans une cabine, retenir l'adresse du lieu d'accueil et éventuellement accepter l'idée d'aller dans un centre que l'on ne connaît pas, tout cela demande une énergie considérable », estime en effet Luc Monti, président de la commission urgence de la FNARS Ile-de-France et directeur de la Cité André-Jacomet.

Notes

(1)  Fondation Armée du salut : 60, rue des Frères-Flavien - 75020 Paris - Tél. 01 43 62 25 00.

(2)  Secours catholique : 106, rue du Bac - 75007 Paris - Tél. 01 45 49 73 00.

(3)  Emmaüs : 32, rue des Bourdonnais - 75001 Paris - Tél. 01 44 82 77 20.

(4)  FNARS Ile-de-France : 10/18, rue des Terres-au-Curé - 75013 Paris - Tél. 01 43 15 80 10.

(5)  Centre Emmaüs : Hôpital Perray-Vaucluse - Bâtiment Baucis - 91360 Epinay-sur-Orge - Tél. 01 69 25 44 73.

(6)  Association Le Cœur des haltes : 22, rue Paul-Belmondo - 75012 Paris - Tél. 01 55 78 84 50.

(7)  Elles sont réservées aux personnes âgées valides avec un système de logements autonomes et des services communs (restaurant, petit service infirmier, etc.). Les personnes démunies peuvent y entrer à condition de faire une demande d'aide sociale.

(8)  MAPAM : 7, rue de la Manutention - 21000 Dijon - Tél. 03 80 43 34 00.

(9)  Pour un prix de journée de 57 €.

(10)  Voir ASH n° 2434 du 16-12-05.

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