« L'individualisation des projets de vie des personnes adultes handicapées, l'évolution des modes d'accompagnement, la prise en compte des besoins et des aspirations des usagers, ont, au fil des ans, amené les établissements à recourir à des organismes spécialisés, marchands ou non marchands, pour organiser les séjours de vacances de leurs résidents, ce qui permet, dans la foulée, des périodes de fermeture des institutions. Le coût, la lourdeur des transferts, leur réglementation, l'effet stigmatisant des grands groupes, ajoutés aux contraintes conventionnelles liées aux horaires et aux nuits, sont autant de motifs ayant ouvert la voie au marché des vacances adaptées. Qui plus est, ce type de séjours permet de respirer, de changer d'environnement, de s'ouvrir à d'autres, d'échapper à la contrainte et aux exigences des règles de vie en établissement, ce qui les rend attractifs pour les usagers et les professionnels. Sans compter que, durant trois ou quatre semaines, les équipes peuvent "décrocher" en ayant le sentiment que la charge et la responsabilité sont transférées aux organismes de tourisme adapté.
Or il n'en est rien. Les arrêts de jurisprudence précisent tous que la responsabilité des établissements ne se délègue pas : elle demeure pleine et entière du moment que leurs usagers font l'objet d'un suivi s'inscrivant dans l'organisation permanente de leur vie personnelle et sociale. De ce fait, le choix du prestataire, les précautions prises dans la préparation des séjours, la qualité des informations transmises, le contenu des dossiers et la lecture des conditions de vente des produits touristiques ne doivent souffrir aucune légèreté. Les établissements ne peuvent pas pratiquer la politique de l'autruche au prétexte qu'ils ont confié les usagers à un organisme de vacances adaptées.
Régulièrement, l'actualité est émaillée de drames liés à des insuffisances de ce type d'organismes, des fermetures de sites sont ordonnées, des associations dissoutes. Certes, ces accidents ne sont pas légion et, proportionnellement au nombre de vacanciers, leur fréquence est très faible. Toujours est-il que, d'un point de vue éthique, l'état d'esprit de certains prestataires s'éloigne fortement de celui qui anime tout au long de l'année les professionnels du secteur social et médico-social, et que leurs pratiques peuvent différer grandement. Les principes tels que le respect de la dignité, de l'intimité, de l'intégrité, les préalables tels que le confort, le bien-être, la sécurité, qui prévalent dans les institutions régies par la loi 2002-2 "ne valent pas tripette" dans certains séjours.
Ces observations, qui pourraient paraître hâtives ou péremptoires, s'appuient malheureusement sur des constats réalisés sur des sites. Sur le conseil d'un directeur de foyer qui "inspecte" depuis plusieurs années les lieux de séjour de ses résidents, j'ai fait de même durant le mois d'août 2005. Le résultat de ces visites est édifiant. Certains organismes n'hésitent pas à imposer aux vacanciers jusqu'à 15 heures de bus pour les acheminer de leur établissement jusqu'au lieu de séjour situé à 500 km de distance. Un parcours au départ de Nîmes et à destination de Menton peut passer par Mâcon ! Et jusqu'à 100 personnes handicapées peuvent être concentrées dans la même résidence, dans un petit village de Haute-Savoie : qu'en est-il de l'intégration lorsque cinq ou six organismes concurrents prennent d'assaut les mêmes lieux de séjour situés dans des villages de haute montagne désertés en période estivale ? De surcroît, ce phénomène de surpopulation se double d'une mise en présence de plusieurs niveaux (léger, moyen, lourd) et types (physique, psychique, mental) de handicap. Sans compter que certains établissements ont tendance, dans les dossiers d'inscription, à surévaluer les capacités des vacanciers en regroupant les inscriptions sur certains séjours ou organismes.
Quoi qu'il en soit, si certains produits présentés sur papier glacé dans de beaux catalogues sont alléchants, la réalité l'est moins. Les conditions d'hébergement sont parfois dignes des colonies de vacances des années 60. Lits superposés, sanitaires collectifs, hygiène inexistante, qualité des repas douteuse, sont autant d'éléments relevés lors de nos visites. Le climat du séjour, le programme d'animation et le bien-être des vacanciers compensent-ils des insuffisances matérielles compréhensibles dans un contexte de vacances propice à la décontraction ? Force est de constater que non :hormis le personnel d'encadrement, les équipes rencontrées sont insuffisamment qualifiées (des "faisant fonction ", des personnels en formation en travail social ou titulaires du BAFA), épuisées par des horaires non conventionnels, désabusées par la précarité de leurs conditions de travail. On ne peut s'empêcher de penser que tous ces éléments cumulés influent, malgré le dévouement des responsables de séjours et des animateurs, sur le climat et la qualité des vacances.
Pour finir sur ce chapitre, il est à noter que le ratio d'encadrement et la nature des tâches confiées aux équipes d'animation (transport, économat, linge, soins, loisirs...), qui s'ajoutent à une méconnaissance du handicap et à des attitudes souvent familières (tutoiement a priori, infantilisation), renvoient les beaux principes édictés par la loi 2002-2 à de vaines intentions.
Si on les rapporte au prix du séjour (jusqu'à 850 € la semaine en France), ces conditions démontrent sans mal à qui le rapport qualité/prix est favorable.
Bien entendu, ces constats ne s'appliquent pas à tous les organismes de tourisme adapté, et l'offre est largement suffisante pour trouver des partenaires défenseurs d'une éthique respectueuse de la personne handicapée, proposant des produits de qualité à la portée des moyens des vacanciers. Mais il faut que les établissements s'emparent réellement du sujet. A titre d'exemple, à l'initiative du foyer Le Tavernol, près de Nîmes, et du foyer L'Oustalado, près d'Alès, un groupe de travail rassemble les responsables des foyers du département du Gard autour de la question des vacances adaptées (1). Se réunissant tous les trimestres, il réfléchit à de nouveaux concepts de vacances (séjours courts à effectif réduit, auto-organisés, croisement de publics et de professionnels, mutualisation des moyens...) et s'efforce notamment de moraliser les pratiques des organismes spécialisés. Le recueil des opinions des vacanciers, l'exploitation des rapports de visite, le recoupement des informations données par les équipes et les familles nous permettent de sélectionner les organismes et de séparer le bon grain de l'ivraie. Des rencontres avec les responsables de ce secteur touristique sont également organisées afin de préparer les séjours. De précieuses informations sont échangées et de nécessaires ajustements réalisés.
Au final, si le décret du 29 décembre 2005, relatif aux "vacances adaptées organisées" (2) a le mérite d'apporter un cadre légal nécessaire à la moralisation des pratiques (transparence, agrément, inspections...), celui-ci ne nous exonère pas, en tant que responsables d'établissements, d'un effort de vigilance et d'une exigence accrue dans l'organisation et le suivi des séjours des personnes handicapées dont nous avons la charge. »
Habib Bencheda L'Oustalado : 1377, route de Mazac -30340 Salindres - Tél. 04 66 85 67 28 -E-mail :
(1) Contact : pierre. brousse@ freesbee. fr.
(2) Décret n° 2005-1759, J.O. du 31-12-05 - Voir ASH n° 2437 du 6-01-06.