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Un interlocuteur unique pour plus de cohérence

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Philippe Bas propose, dans le cadre de la future réforme sur la protection de l'enfance (voir ce numéro), de créer dans chaque département une cellule de signalement. Un dispositif qu'a mis en place, depuis près de 20 ans, le conseil général de Seine-et-Marne. Avec succès, puisque que 90 % des signalements passent directement par la cellule.

« Un lieu d'information », « un lieu d'écoute et de soutien », « un lieu de garantie de la qualité de l'évaluation », « un lieu de suivi », « un lieu de formation », « un lieu d'observation »... Ce sont tous ces rôles à la fois que revendique la cellule de signalement du conseil général de Seine-et-Marne (1). Et s'il est une tâche à laquelle ses responsables refusent clairement de la limiter, c'est celle « de comptage des signalements », même si la dimension a son importance. La cellule a en effet bien d'autres ambitions, ce qu'affiche d'ailleurs son titre véritable, puisqu'elle se nomme « mission de prévention ».

Mis en place par le département au lendemain de la loi du 10 juillet 1989 sur la prévention des mauvais traitements à enfants, le dispositif a été rattaché en 2000 à la direction de l'enfance, avec la volonté de lui conférer une tout autre ampleur que ce que proposait la loi - à savoir « recueillir en permanence les informations relatives aux mineurs maltraités ». Aujourd'hui y travaillent huit personnes, parmi lesquelles un responsable et son adjoint ainsi que quatre agents administratifs chargés de gérer quelque 4 300 dossiers par an (2). Il faut dire qu'en Seine-et-Marne, l'un des départements de France les plus étendus, ce sont « au moins 90 % des signalements qui passent directement par cette cellule », assure Chantal Rimbault, directrice de l'enfance à la direction générale adjointe de la solidarité (3). Un chiffre particulièrement élevé qu'autorise un partenariat efficace avec diverses institutions, qui s'est d'ailleurs traduit, en particulier, par la signature de deux protocoles : l'un avec les présidents des tribunaux pour enfants et les parquets du département (Meaux et Melun), l'autre avec l'Education nationale.

Sur les signalements parvenant à la mission de prévention, 30 % sont issus des services du conseil général, 30 % de l'Education nationale et les 40 %restants de professionnels (hôpitaux, médecins, associations, service national d'accueil téléphonique à l'enfance maltraitée...) ou de particuliers. Lorsqu'un document de signalement arrive, l'équipe se veut très réactive. Première intervention :vérifier si la situation est connue, si le parquet a été saisi, si une mesure est en cours... Pour ce faire, l'équipe, qui est sectorisée, vérifie sur ordinateur l'existence d'un dossier et s'informe auprès des relais ou « référents protection de l'enfance » mis en place dans chacune des 14 unités d'action sociale qui maillent le territoire et sont chargés d'effectuer un travail de coordination. Deuxième étape : rédiger une synthèse des éléments trouvés qui servira à améliorer l'appréhension de la situation. « Nous sommes un lieu d'aide à la décision. Nous remettons ces éléments en interne à l'inspecteur de l'aide sociale à l'enfance, qui reste décisionnaire de l'orientation vers les services administratifs ou judiciaires, ou au parquet », remarque Marie-Françoise Vialaton, chef du service. La cellule n'a d'ailleurs pas été conçue pour être « le lieu même de la décision », mais celui de son accompagnement. « Contrairement à d'autres départements, où les inspecteurs de l'aide sociale à l'enfance sont intégrés au pôle, nous avons souhaité rester en décalage, servir d'interface, et être un lieu-ressources pour tous. »

La plus-value apportée est largement appréciée des parquets, avec lesquels l'équipe est en liaison régulière. Ce que confirme d'ailleurs l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans son rapport sur les bonnes pratiques en matière de signalement (voir encadré). Ayant contacté les parquets de Seine-et-Marne, elle relève en effet que leur avis « est positif » et que « ceux-ci confirment en particulier l'amélioration de la qualité des signalements directement transmis et la diminution de leur nombre ». De son côté, Isabelle Verissimo, substitut au parquet des mineurs de Meaux, atteste que « cette cellule fonctionne bien. Elle nous permet d'avoir un interlocuteur unique et de gagner du temps. Elle a l'avantage, en centralisant des informations, de nous fournir rapidement des éléments sur les cas que nous ne connaissons pas. Nous savons ainsi si les familles sont déjà suivies par les services sociaux ou non. Cela autorise une meilleure appréciation des situations. » En outre, la mission de prévention peut apporter des renseignements complémentaires. « Lorsque les parquets estiment qu'il leur manque des informations, nous les recherchons pour eux ou nous les orientons vers le service en capacité de le faire, voire nous demandons aux unités d'action sociale d'effectuer une évaluation plus globale de la situation. Ce qui prime pour nous, c'est d'assurer ce rôle de pivot, d'autant que, sur un même dossier, les intervenants sont souvent nombreux et pas toujours en lien. Cela garantit la qualité de l'évaluation comme du suivi », complète Chantal Rimbault. Mais si cela sécurise les partenaires et conforte le dispositif, l'objectif premier est d'être « un plus pour l'usager. L'important est que la globalité de la problématique familiale soit envisagée et pas seulement le symptôme, isolé, de l'enfant », affirme-t-elle. « C'est la cohérence de son parcours qui se joue là », confirme Marie-Françoise Vialaton. Les dossiers sont ensuite suivis par la mission, qui effectue les relances nécessaires auprès des services et des parquets. « Tous les mois, nous envoyons aux territoires comme aux partenaires un retour sur les suites données aux signalements. C'est essentiel de tenir informées les personnes qui ont pris, à un moment, la responsabilité d'écrire. C'est également le gage d'un bon fonctionnement », assure le chef de service.

La mission souhaite cependant inscrire son action bien en amont du signalement et de l'évaluation. Un choix cohérent avec la volonté politique du conseil général de mieux adapter les mesures de prévention. Pour ce faire, plusieurs outils ont été mis en place. Tout d'abord, au sein de la mission, une personne est spécifiquement chargée de dresser diverses statistiques et de mener un travail d'observation. L'analyse des types de signalements, de leur provenance, de leur parcours, des pics d'activité..., peut en effet donner des éclairages importants sur les améliorations à apporter au système, à l'intervention des services départementaux, à la qualité des partenariats, etc. « Ce service est la clé de voûte du dispositif de protection de l'enfance puisque c'est là que se font les entrées. Il nous permet de mener sur le long terme un travail d'accompagnement des pratiques et de faire bouger les choses afin d'intervenir le plus possible en termes d'enfants en risque et non d'enfants en danger. L'objectif est ainsi de mieux soutenir les familles dans la résolution de leurs difficultés et d'éviter, autant que faire se peut, la dégradation des situations et l'alourdissement des prises en charge », analyse Marie-Françoise Vialaton. « Cette cellule nous amène à nous interroger en permanence sur ce que nous faisons et sur les réponses à apporter », confirme Chantal Rimbault.

Autres outils développés : le Guide pratique du signalement à destination des professionnels ainsi que la formation, en particulier, le programme « Ecoutons ce que nous n'avons pas envie d'entendre », construit avec l'association « Je, tu, il », qui réunit, sur une journée, les divers acteurs intervenant en matière de protection de l'enfance : conseil général, Education nationale, justice, police/gendarmerie, protection judiciaire de la jeunesse et direction départementale des affaires sanitaires et sociales. « Il s'agit d'une action tout à fait innovante, pilotée et financée par le conseil général, qu'autorise la qualité du partenariat existant », souligne Chantal Rimbault. Le programme s'articule autour de trois points : repérer, évaluer, signaler. A partir d'un DVD interactif comportant sept fictions, est présenté ce qui peut se jouer autour d'un signalement dans chaque institution. « Cet outil doit favoriser la réflexion et interroger les savoirs et savoir-faire des acteurs en présence. Face à une situation de danger, le plus compliqué est en effet souvent de parvenir à se mettre d'accord et à avancer ensemble. Le but est aussi d'empêcher la disqualification mutuelle qui fonctionne souvent lorsqu'une situation se révèle délicate », explique Marie-Françoise Vialaton. Le principe consiste à former des animateurs départementaux volontaires issus des diverses institutions afin qu'ils forment ensuite des professionnels de terrain. Aujourd'hui, une centaine de personnes l'ont été et autant devraient l'être chaque année. « Cette formation oblige à forger un message commun et à porter un regard constructif sur les pratiques de chacun », s'enthousiasme le chef de service. « Nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés, aux mêmes peurs. Ensemble, nous avons pu nous dire qu'il n'y a pas de bonne évaluation dans l'absolu ni de critères de repérage infaillibles mais qu'il existe plutôt un certain nombre d'indices à étudier, à partir desquels on peut construire une évaluation », renchérit Chantal Rimbault. Un autre bénéfice de la formation, qui prend appui sur les unités d'action sociale, est la fabrication de réseaux locaux. Cela facilite en effet les échanges, le partage de valeurs, voire rompt l'isolement de certains professionnels, et améliore au final les évaluations et donc la protection des usagers. En résumé, estime Chantal Rimbault, « ce travail d'observation et de pilotage autour du dispositif de prévention, que seule l'existence de la mission rend possible, est tout aussi important que le travail premier d'information et d'aide à la décision ». C'est pourquoi « l'idée d'entrée unique » via une cellule de signalement départementale lui paraît intéressante. D'où sa satisfaction de voir inscrite dans le cadre de la réforme de la protection de l'enfance la généralisation de ce type de dispositif.

Une satisfaction d'autant plus grande que, même en Seine-et-Marne, le système reste fragile. « Demain, les parquets peuvent modifier leur posture ou l'Education nationale décider d'envoyer ses signalements en direct, sans passer par la mission, puisque nous ne sommes que sur des protocoles », analyse Chantal Rimbault. A l'inverse, la directrice de l'enfance n'est pas favorable à ce que la cellule de signalement devienne « une entrée obligatoire et absolue ». « Il faut garder l'idée d'exception : le cas d'un enfant dont on présuppose qu'il a été victime de violences graves doit aller directement au parquet », affirme-t-elle. Ce que ne contredit pas Isabelle Verissimo : « En cas de véritable urgence, il faut que la décision puisse être prise très rapidement. Mieux vaut alors que le signalement nous arrive directement plutôt que d'ajouter un interlocuteur supplémentaire », assure la magistrate. Pour autant, même dans le cas d'enfants en péril, « il reste intéressant qu'une copie de l'écrit nous soit adressée afin que nous puissions donner les éléments que nous détenons, voire préparer l'accueil physique de l'enfant dans les conditions les meilleures, et donc un peu moins dans l'urgence », observe Marie-Françoise Vialaton.

Quoi qu'il en soit, la loi ne fera pas tout. « Une loi est nécessaire pour poser un cadre, mais elle n'aura pas d'effet magique, rappelle Chantal Rimbault. Sans un fort partenariat, ce qui se construit sur de longues années, rien ne peut se faire. La cellule de signalement, c'est un peu la vitrine qui rend apparente la qualité du travail souterrain qui se fait autour. Or, dans certains départements, les autorités judiciaires et administratives ne se parlent pas. Sans le dialogue primordial entre le conseil général, la Justice et l'Education nationale, essentiels à la protection de l'enfance, le dispositif risque de ne rester qu'un simple lieu de comptage. »

Florence Raynal

Des pratiques de signalement très hétérogènes

Un tiers environ des départements disposent d'une cellule de signalement. Mais, derrière ce taux, se cachent des pratiques très variées. « Sous une même appellation, on trouve des dispositifs fort différents. La question est de savoir si ce que l'on nomme "cellule" se résume en fait à une secrétaire effectuant un simple comptage ou si cela correspond à un vrai service technique organisant des évaluations, des suivis », rappelle Marceline Gabel, consultante à l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED). « En général, constate Paul Durning, directeur de l'ONED, les cellules rassemblent les informations préoccupantes, les adressent aux équipes des territoires, qui effectuent les évaluations mais n'avisent pas forcément la cellule du résultat. De même, quand un signalement à la Justice s'impose, il est fait, selon les structures, par la cellule ou le territoire. » D'autres spécificités locales existent. Ainsi, « des cellules régionales ont parfois été montées, souligne-t-il. En outre, si la plupart des dispositifs se centrent sur la protection de l'enfance en danger, certains ciblent plus largement les politiques jeunesse. » Lors d'une mission, à l'origine du rapport Recensement et analyse des bonnes pratiques en matière de signalement, dans le cadre de la politique de protection de l'enfance qui vient d'être mis en ligne (4), l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) s'est rendue dans 14 départements, sélectionnés pour avoir « mis en œuvre des politiques positives de traitement des informations relatives à des enfants en risque ou en danger ». Une fois encore, la « grande hétérogénéité des pratiques » ressort. Complétant ses investigations par des rencontres institutionnelles et un voyage au Canada, l'IGAS émet diverses recommandations, qu'elle complète par 30 fiches de bonnes pratiques. Globalement, selon elle, pour être de valeur, un dispositif de signalement doit assurer un repérage efficace des situations, une évaluation pertinente ainsi qu'une « transmission rapide et sécurisée des informations à l'institution » la plus appropriée. Quant aux « bonnes pratique », elles se caractérisent par trois critères :efficacité, transposabilité, formalisation. Dans certains départements visités, l'IGAS a constaté l'existence d'un circuit de transmission indifférencié entre le conseil général et le parquet. Une organisation qui conduit à des retards et à des confusions et, déplore-t-elle, « ignore que l'appréciation de la capacité des familles à accepter une aide nécessite une évaluation sociale spécifique ». Elle lui préfère donc les dispositifs où le conseil général reçoit en priorité les informations signalantes, grâce à des protocoles de partenariat. Dans de telles configurations, distinction est généralement faite entre « signalement » direct au parquet en cas de danger et « information signalante » adressée au département en cas de risque. Certains protocoles prévoient néanmoins que seuls les cas d' « enfants en péril » sont directement signalés au parquet. Pour étendre le modèle qu'elle défend, l'inspection préconise qu'une loi « pose le principe d'une transmission de toutes les "informations signalantes" au conseil général » et des signalements « directement à l'institution judiciaire ». Une orientation retenue par Philippe Bas dans le cadre de la réforme de la protection de l'enfance (voir ce numéro). L'IGAS a analysé deux types d'organisation : la centralisation des informations dans le cadre d'un circuit unique aboutissant à une cellule de signalement (Val-de-Marne, Calvados, Meurthe-et-Moselle...)  ; leur entrée multiple par les unités territoriales, avec une éventuelle centralisation à des fins ... statistiques (Gard, Nord, Isère...). Quel que soit le mode retenu, des règles sont à respecter. Ainsi, l'IGAS juge nécessaires la détermination de « procédures de collaboration étroite entre professionnels partenaires de la politique de protection de l'enfance », l'implication de tous les « services sociaux du département dans les phases de repérage et d'évaluation des situations », l'offre d'un point d'information unique pour répondre aux urgences, et la définition du rôle des cellules, en « excluant toujours l'évaluation directe des situations ». Constatant ensuite qu'en matière de signalement, « les conceptions et les pratiques des partenaires des conseils généraux étaient aussi hétérogènes que celles des conseils généraux », la mission souhaite qu'ils « harmonisent en interne leurs politiques et leurs pratiques », ce en les gardant compatibles avec les choix d'organisation des départements. L'IGAS demande par ailleurs que soient développées la sensibilisation de la population et l'information des professionnels. Elle recommande aussi, pour « répondre à certains dysfonctionnements », l'élaboration de « référentiels de repérage » au niveau national, sous l'égide de l'ONED et via une conférence de consensus. Le principe d'un référentiel national est également retenu pour l'évaluation. Quant à l'orientation, l'inspection préconise de la confier aux responsables de l'aide sociale à l'enfance. Pour faciliter la prise de décision, la mission souligne enfin l'importance de la qualité du rapport d'évaluation et suggère la création d'un document-type et la formation régulière des intervenants à l'écrit. Elle relève en outre l'intérêt de mettre en place des formations pluri-institutionnelles, comme c'est le cas en Seine-et-Marne ou dans le Rhône. Enfin, pour optimiser les pratiques, il faut les observer. Cela passe autant par l'analyse des dysfonctionnements à chaud que par la mise en place, hors crise, d'une démarche de réexamen, avec les partenaires, des situations passées et des réponses données, ou encore, comme au Canada, par la contribution de chercheurs. La mission préconise de plus de pérenniser le recensement et l'analyse des bonnes pratiques, qui « entrent naturellement dans le cadre des compétences de l'ONED », et la création d'une « instance de concertation pour les conseils généraux ». Enfin, elle déplore deux manques : la non-prise en compte de la problématique des sectes et souvent des maltraitances institutionnelles, ainsi que l'absence de pratique spécifique d'information de l'enfant sur les décisions le concernant.

Notes

(1)  Conseil général de Seine-et-Marne - Direction générale adjointe de la solidarité : 19, rue Saint-Louis - 77012 Melun cedex - Tél. : 01 64 14 77 19.

(2)  En 2005, 4 324 dossiers ont été traités, dont 2 912 signalements nécessitant des recherches simples et 1 412 des évaluations complémentaires.

(3)  Voir l'interview de Chantal Rimbault sur www.ash.tm.fr, rubrique « interviews ».

(4)  Téléchargeable sur le site www.ladocumentationfrancaise.fr.

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