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Réforme de la protection de l'enfance : satisfaits, les acteurs n'en seront pas moins exigeants

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Satisfaction des acteurs du terrain après la présentation des grandes lignes du projet de réforme du dispositif de protection de l'enfance par le ministre délégué à la famille, Philippe Bas, le 16 mars (voir ce numéro), à l'occasion d'un colloque de conclusion des travaux initiés à l'automne dernier avec les professionnels et les départements. A la fois la méthode, assise sur la concertation, et les lignes directrices, qui depuis longtemps sont l'objet d'un consensus, ont été saluées, d'autant que le souci d'éviter un « télescopage » avec le plan de prévention de la délinquance en préparation a prévalu. Dans l'attente de la présentation du projet de loi sur la protection de l'enfance en conseil des ministres, à la mi-avril, les professionnels émettent néanmoins plusieurs réserves.

Donner des moyens à la prévention

L'accent mis sur la prévention, appelée à être reconnue comme partie intégrante de la protection de l'enfance, ne peut que susciter l'approbation des acteurs de terrain. Encore faut-il qu'il ne s'accom-pagne pas d'un désengagement de l'Etat, particulièrement dénoncé par le Conseil supérieur du travail social (CSTS). Saisie par le cabinet du ministre, l'instance a émis le 10 février un avis dans lequel elle considère comme indispensable « de repenser les politiques publiques et les moyens mis en œuvre dans une logique principalement et prioritairement éducative ». Les champs de l'emploi et du logement, rappelle-t-elle, ont aussi une incidence sur le développement de l'enfant. « La réduction des moyens financiers au niveau de l'ensemble des acteurs chargés de la protection de l'enfance, de l'ensemble des forces vives des quartiers, etc., et les sous-effectifs qu'elle engendre contribuent à appauvrir ce qui est fondamental dans le champ de la protection de l'enfance », regrette le CSTS, qui demande le renforcement des moyens de la protection maternelle et infantile, des maisons des parents, de la médecine scolaire, de la prévention spécialisée...

A cet égard, les moyens annoncés par le ministre -4 000 recrutements d'intervenants sociaux et sanitaires -suffiront-ils ? « Dans la Seine-Saint-Denis, il faudrait une augmentation de 30 % du budget consacré à la santé mentale pour couvrir les besoins, estime Claude Roméo, directeur de l'enfance et de la famille au conseil général. Par ailleurs, l'assurance maladie rembourse de moins en moins les dépenses de protection maternelle et infantile et la caisse nationale des allocations familiales a diminué sa participation financière aux interventions des techniciennes de l'intervention sociale et familiale. » Dans un courrier adressé le 15 mars au Premier ministre, le maire de Paris déplore également les carences de l'Etat : « la protection judiciaire de la jeunesse voit ses moyens, déjà notoirement insuffisants, se réduire encore, et la baisse de 40 % en deux ans des crédits affectés aux prises en charge de jeunes majeurs conduit à les renvoyer insidieusement vers les départements. » En outre, comme le CSTS, Bertrand Delanoë évoque le sort non résolu des mineurs étrangers isolés, dont il n'a pas été question dans le projet de réforme présenté par Philippe Bas.

Le Conseil supérieur du travail social plaide par ailleurs pour une reconnaissance des associations, qui assurent plus de 75 % des missions et actions socio-éducatives et devraient être davantage entendues, par exemple au sein de conférences de consensus ou de protocoles locaux avec les départements. La loi-cadre devrait préciser le rôle de chaque intervenant et conférer « une force juridique aux outils de concertation », ajoute-t-il. Dans la lignée de la Coordination nationale des associations de protection de l'enfance (1), il souhaite que soit donné un « cadre législatif souple d'organisation de mesures de protection de l'enfance pour permettre la mise en œuvre de pratiques innovantes et développer la palette de pratiques intermédiaires ».

Maintenir les deux saisines

La répartition des rôles entre le conseil général et la justice alimente également les débats. « Parler de subsidiarité de la justice, ce qui peut signifier qu'elle intervient trop, a été une erreur politique », souligne Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny et président de Défense des enfants International (DEI) -France. C'est aussi l'analyse du CSTS, selon lequel « le département comme la justice n'ont pas à avoir une primauté l'un sur l'autre mais sont nécessaires et complémentaires ». Pour lui, « le principe de la séparation des pouvoirs entre la justice et l'exécutif doit être maintenu ». Si, comme l'envisage le ministre, l'intervention judiciaire ne doit pas être systématique, « le juge n'a pas seulement un rôle pénal, mais aussi le rôle de la garantie de l'Etat par rapport à la protection de l'enfant ». Pour le CSTS, « les deux possibilités de saisine concernant la protection de l'enfance doivent être maintenues à niveau égal » et les deux champs de responsabilité doivent être respectés. L'instance s'interroge de surcroît sur « le danger de faire jouer au conseil général le rôle de juge et partie, à la fois payeur, décideur et opérateur ».

Les craintes ne sont par ailleurs pas totalement apaisées sur le partage d'informations « entre professionnels du travail social et de la protection de l'enfance habilités au secret professionnel », selon les termes de Philippe Bas. Pierre Suesser, vice-président du Syndicat national des médecins de PMI, estime qu' « inscrire le partage du secret professionnel dans un projet législatif comporte un risque de surenchère et de dynamitage du secret ». Au cœur des interrogations : le maire peut-il bénéficier de ce « partage »  ? Certains des élus locaux le souhaitent, faisant valoir qu'ils participent eux aussi aux missions de protection de l'enfance.

Le CSTS éclaire utilement le débat sur ce point, estimant que « le secret professionnel doit être maintenu dans le cadre défini par l'article 226-13 du code pénal, et qu'en matière de protection de l'enfance, le maire n'a pas à être informé par principe, mais doit rester un recours conservant une certaine distance pour traiter de situations délicates où se mêlent vie privée et ordre public selon ses pouvoirs propres ». Il incite à «  se méfier de la notion de risque qui tend à se substituer à la notion de danger et peut conduire, par crainte de la faute, à l'excès de signalements ». Pour l'instance, « seul paraît acceptable un partage d'informations nominatives organisé dans un cadre institutionnel précis, où l'appartenance et la qualification professionnelles sont des conditions nécessaires, de même qu'il est indispensable d'agir dans un objectif limité à la protection de l'enfance ainsi que dans le respect de la vie privée du citoyen ». Avec, comme principe directeur, le respect du droit des usagers par leur information systématique.

En outre, les professionnels mettent en garde contre le risque que soit institué, avec les référentiels d'évaluation, un « formatage » de l'exercice professionnel. Il faut « des règles du jeu contrôlées, partagées, définies », mais qui respectent les responsabilités des acteurs de terrain, plaide le CSTS. Attention par ailleurs à ce que la prévention précoce des difficultés familiales ne glisse vers la détection des risques. Comme le rappelle Jean-Pierre Rosenczveig, l'enjeu est de revaloriser l'action sociale aux yeux de l'opinion publique pour faire en sorte que les usagers puissent « aller vers » les services sociaux. « La refondation du travail social doit rester un objectif politique et ne pas devenir un outillage au gré des débats parlementaires », renchérit Michel Dinet, vice-président de l'Assemblée des départements de France (ADF) et président de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée.

De son côté, l'ADF a créé au mois de mars un groupe permanent d'experts, composé notamment de magistrats, de parlementaires, de réseaux associatifs et de représentants de la caisse nationale des allocations familiales. Piloté par le président de l'ADF, Claudy Lebreton, et par Bernard Cazeau, président de la commission « politiques sociales et familiales », son objectif est de prolonger les débats et, plus globalement, de dégager des positions sur l'évolution des politiques familiales. « Sur la protection de l'enfance, nous avons par ailleurs démarré des auditions des partenaires sur les formes de coopération et les nouvelles configurations à développer, ajoute Jean-Michel Rapinat, chef du service du développement social de l'ADF. Nous allons également élaborer une synthèse des propositions des départements car, si nous sommes garants d'une harmonie d'ensemble, nous souhaitons laisser place à la singularité territoriale. » Tout cela sous réserve, bien sûr, que le coût de la réforme pour les conseils généraux soit compensé, comme l'a promis le ministre.

M. LB.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2446 du 10-03-06.

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