Recevoir la newsletter

LES RÉGIONS S'EMPARENT DU DOSSIER

Article réservé aux abonnés

Affirmer le rôle des régions face à l'Etat, rassurer les acteurs de la formation sur la politique concertée qui sera menée localement, tel a été l'enjeu des premières assises organisées à Toulouse par l'Association des régions de France.

Conflits persistants entourant le transfert aux régions des formations sanitaires et sociales, crise d'adaptation de l'appareil de formation professionnelle, sévères critiques de la Cour des comptes adressées à l'Etat en matière de formation des travailleurs sociaux (1)  : c'est au cœur d'une actualité très tendue que l'Association des régions de France (ARF) a organisé le 10 mars, à Toulouse, en partenariat avec l'Associa-tion française des organismes de formation et de recherche en travail social (Aforts) et le Groupement national des instituts de travail social (GNI), les premières assises de la décentralisation des formations sanitaires et sociales. L'occasion de sortir de la réserve qu'elle avait gardée jusqu'à présent sur le dossier.

Souvent accusée d'avoir une approche strictement comptable des formations, l'ARF a tenu à éclaircir les choses en assurant que « les régions ne se déroberaient pas à leurs responsabilités ». C'est même un appel au «  dialogue » avec tous les partenaires de la formation pour « relever le défi de la décentralisation » qu'a lancé Martin Malvy, président (PS) de la région Midi-Pyrénées. « Le combat des régions est aussi le vôtre », a-t-il ajouté à leur intention. Fustigeant « le vote à la hussarde » de la loi du 13 août 2004, qui a obligé les régions à « démêler » l'écheveau d'une politique de décentralisation conduite « sans conscience aucune des problèmes posés », les présidents de conseils régionaux ont souligné que de nombreux points étaient encore en attente d'arbitrage : répartition réelle des compétences entre Etat et région, financement de l'accroissement programmé du nombre d'étudiants, modernisation des équipements, définition et orientation des formations, etc. « Ce ne sont pas les compétences transférées qui sont incohérentes, c'est la méthode et ce sont les charges indues », soutient Martin Malvy.

L'ARF estime ainsi à 176 millions d'euros le différentiel entre les montants de compensation alloués par l'Etat et la réalité des dépenses avancées par les régions pour l'ensemble des formations sanitaires et sociales. « Cette décentralisation s'est faite dans la précipitation, jusque dans sa partie d'évaluation des charges », dénonce Francine Bavay (Verts), deuxième vice-présidente de la région Ile-de-France. Région par région, la facture est considérable. Mais les chiffres avancés (34 millions d'euros de différentiel par exemple pour l'Ile-de-France) concernent surtout les formations sanitaires. Reste que les formations sociales pèsent aussi sur le budget des régions, précise Monique Iborra, première vice-présidente (PS) de la région Midi-Pyrénées, ne serait-ce que parce que le financement a été calculé à un instant T alors que les besoins vont aller croissant et qu'il faudra pallier le nécessaire renouvellement des professionnels. Tout en saluant « le progrès » que constitue la récente revalorisation du mode de calcul des fonds de compensation (basés sur l'année 2004 et non sur une moyenne des trois dernières années, comme le prévoyait initialement la loi), il semble désormais évident à l'ARF que « la décentralisation ne se fera pas à l'euro près ». La revalorisation des bourses d'étudiants au niveau de celles de l'enseignement supérieur en est une illustration, explique Monique Iborra : « Leur alignement s'était fait au moment du transfert des charges, donc en changeant les règles du jeu et sans prendre en compte le surcoût que cela allait générer. »

De plus, se pose le problème de l'inégalité des financements accordés aux écoles, avec parfois des différences de l'ordre de 1 à 4 relevées au sein d'une même région. Difficile dans ces conditions de remplir les exigences d'équité du service public. « C'est tout l'exercice de mise à plat de ces conditions que nous avons à faire, avec, qui plus est, des financements sollicités par les écoles de façon complètement différenciée selon leur situation », explique Noël Roger, directeur général adjoint de la région Aquitaine, en charge de la formation professionnelle et de l'apprentissage.

Un agencement complexe

C'est dans ce climat tendu, où la décentralisation est accusée « d'organiser le désengagement de l'Etat », que l'ARF a dénoncé la complexité et les incertitudes du schéma de répartition des compétences. En effet, aux termes de la loi du 13 août 2004, le recensement des besoins relève de la région tandis que le diagnostic - autrement dit les conséquences en termes de création et d'organisation des diplômes -dépend toujours de l'appréciation de l'Etat. La situation est d'autant plus complexe que, toujours selon la loi, la région « agrée les établissements dispensant des formations initiales et assure leur financement », et que la validation du projet pédagogique des établissements « reste clairement de la compétence de l'Etat », analyse Martin Malvy. « A défaut d'une coordination attentive, cet agencement nouveau de compétences qui s'entrecroisent risque d'entraîner une extrême confusion dans l'exercice des missions des régions et de l'Etat. » D'autant que si les régions considèrent qu'il est important que les diplômes restent nationaux, elles estiment avoir leur mot à dire dans la définition de certains contenus pour répondre à des besoins plus locaux. La situation apparaît d'autant plus menaçante que « la loi ne mentionne aucun arbitre en cas de désaccord entre région et Etat ». Pour Jean-Paul Denanot, président (PS) de la région Limousin et de la commission « formation professionnelle et apprentissage » de l'ARF, une « clarification » doit s'opérer au travers des plans régionaux de développement de la formation professionnelle (PRDF). Revenant notamment sur le différend entre l'Etat et les régions provoqué par les consignes adressées le 16 janvier par le ministère de l'Education nationale aux recteurs d'académie (2), il a réaffirmé la volonté des régions d'être des acteurs à part entière de la formation et de ne pas être cantonnées au seul pilotage des formations qu'elles financent : « Le plan régional de développement de la formation professionnelle est l'outil commun de travail pour adapter les formations aux besoins réels. Son autorité sur l'Education nationale est essentielle. Si les régions n'ont pu se faire entendre jusqu'à présent sur ce point, elles n'ont pas l'intention de continuer à jouer les potiches ! »

De fait, clé de voûte de la régulation du dispositif de formation dans la région, le PRDF détermine en particulier les orientations du schéma des formations sociales ou paramédicales, oriente le programme régional de formation professionnelle continue et définit celui de l'apprentissage. Un véritable observatoire des besoins exprimés dont les régions entendent faire un levier de leur action. « Les travaux faits en région sur l'élaboration du PRDF doivent impérativement être repris par l'Etat dans ses orientations nationales. Faute d'une concertation sur ce plan, nous nous exposerions à de graves dérives », prévient Jean-Paul Denanot.

Partir du territoire

Ce renversement de logique qui consiste à partir du local pour décider des orientations nationales, jugées aujourd'hui « trop jacobines », a de quoi effectivement séduire. L'Assemblée des départements de France (ADF) souhaite ainsi faire table rase d'un passé où les commissions préparatoires aux schémas de formation se contentaient d'avaliser les orientations nationales. « Il est nécessaire de mettre en place un nouveau pilotage qui permette de répondre aux enjeux de l'action sociale et à la diversité des publics accompagnés, mais aussi de redonner leur place aux territoires, explique Sophie Lhôte, directrice des affaires sociales du conseil général de la Dordogne et porte-parole de l'ADF. Un des objectifs majeurs des schémas de formation sociale doit être d'identifier la commande publique et les acteurs qui ont en charge sa mise en œuvre. »

Une voie qu'approuve également Didier Tronche, représentant le collège employeur de la commission paritaire nationale de l'emploi (CPNE) de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale. Pour lui, les besoins sociaux et démographiques qui « impacteront les politiques de l'emploi » commandent désormais toute décision. Avec le départ à la retraite de 40 % des cadres d'ici à 2010, une inflation galopante des besoins sociaux, une sous-qualification massive dans de nombreux métiers et des difficultés de recrutement qui vont aller en s'aggravant, « une élaboration partagée, programmée et prospective des emplois à couvrir à terme est devenue urgente. Ceci ne peut se faire que dans une approche à caractère territorial, rendue d'autant plus nécessaire dans notre secteur que les emplois participent de l'aménagement du territoire », explique-t-il. La CPNE, précise encore Didier Tronche, appelle à une réflexion « sans tabou » sur le contenu des formations. « Il faut aboutir à une économie générale des parcours de professionnalisation, avec des processus de formation de plus en plus variés et modulables. »

Du côté des organismes de formation en travail social, la position est plus réservée. La volonté des régions et des départements de rationaliser l'appareil de formation provoque chez ces acteurs autant d'espérances que d'inquiétudes. Voyant dans une offre formative « régulée par le besoin et la demande » une possibilité pour les écoles de s'engager « dans des dynamiques de co-construction », le GNI alerte néanmoins sur les conséquences « d'approches différenciées des problématiques sociales » qui pourraient se manifester entre régions. « La façon dont les régions vont se saisir des problématiques sociales territorialisées aura une grande influence locale sur l'évolution des emplois et des métiers du champ de l'intervention sociale », prévient Pierre Bechler, secrétaire général adjoint du GNI. En effet, au risque d'un déséquilibre entre écoles s'ajouterait celui d'un « isolement » de certaines formations. « Il est indispensable que ce va-et-vient entre les conseils régionaux, les conseils généraux et l'Etat, notamment à travers les grandes orientations en matière de formation qu'il est amené à prendre, soit le plus constructif possible dans l'intérêt des professions sociales et des publics, plaide Christian Chassériaud, président de l'Aforts. Nous devons rester très attentifs à ce qu'il n'y ait pas de tentatives de déqualification des métiers. La question de fond reste pour nous celle de la spécificité de la mission de service public des centres de formation, qui se pose en même temps que celle du devenir du travail social. »

De ce point de vue, la régionalisation des formations sociales ne risque-t-elle pas d'accentuer la concurrence entre les écoles ? Là encore, Alain Rousset, président de l'ARF et président (PS) de la région Aquitaine, a voulu calmer les inquiétudes en insistant sur sa volonté d'installer une logique de concertation avec les écoles. « Nous ne voulons pas que la formation soit déconnectée des besoins de la société, a-t-il expliqué. Notre objectif n'est pas de produire de la formation, mais de produire des personnes formées pour des métiers et des besoins identifiés. Pour cela, nous établirons des organisations régionales de partenariat avec les différents centres de formation afin de travailler sur l'évolution de ces métiers. »

Rassurante à l'égard des acteurs de la formation et volontariste. Telle est aujourd'hui l'attitude affichée par les régions. Mais si ces assises ont été l'occasion pour elles d'affirmer leur volonté de prendre en main le pilotage des formations sociales, elles devront néanmoins compter avec les départements, déjà fortement impliqués dans la formation des travailleurs sociaux. « Nous sommes conscients que les régions doivent reprendre un système de formation difficile, coûteux. Nous savons aussi que les métiers du social ne sont pas naturellement connus du conseil régional, et nous souhaitons leur indiquer que nous prendrons notre place dans l'approfondissement de ces connaissances », explique Sophie Lhôte, offrant ainsi la main tendue de l'ADF.

De même, si les régions entendent réaffirmer leur poids politique face à l'autorité de l'Etat, elles sont condamnées à composer avec lui. Car l'avenir du dispositif de formation se jouera dans la capacité des deux acteurs à agir en synergie, au-delà du strict - et controversé - partage des compétences. Cherchant à apaiser les tensions avec l'ARF, Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale, a assuré que « l'Etat souhaitait un partenariat éclairé avec les régions, les écoles de formation et les partenaires sociaux ». Il a également précisé qu'une circulaire de mise en œuvre de la décentralisation des formations sociales, « soumise actuellement à l'ARF », serait adressée aux préfets afin de « clarifier les imprécisions qui peuvent subsister et préciser les coopérations entre les DRASS et les régions qu'il est possible de mettre en place ». Une façon de mettre de l'huile dans les rouages...

Michel Paquet

Notes

(1)  Voir ASH n° 2444 du 24-02-06.

(2)  Voir ASH n° 2446 du 10-03-06.

L'ÉVÉNEMENT

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur