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Un anniversaire sur fond de tensions familiales

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Les partenaires sociaux peinent à s'entendre sur la façon de réactualiser le texte qui a apporté une reconnaissance au secteur des établissements et services associatifs pour personnes inadaptées et handicapées. Ce cadre porteur de garanties est aussi devenu, au fil du temps, source de nombreuses incohérences.

Pique-niques, assemblées générales, débats, soirées festives... Les salariés des établissements et services pour personnes handicapées et inadaptées privés à caractère non lucratif n'ont pas ménagé leurs efforts pour célébrer, le 15 mars, le 40e anniversaire de leur convention collective. De Lille à Nîmes, une dizaine de collectifs de personnels « syndiqués-non syndiqués », fortement soutenus par SUD Santé-sociaux, ont tenu à rappeler leur attachement à ce qui représente les fondements de leur identité professionnelle, la protection de leurs qualifications et de leurs rémunérations. Les conventions collectives, en général mal connues des intéressés, suscitent rarement autant de mobilisation...

Une rénovation devenue pomme de discorde

Il faut dire que celle du 15 mars 1966 passe le cap de la quarantaine dans un contexte lourd d'enjeux pour les plus de 200 000 salariés auxquels elle s'applique : sa rénovation de fond en comble, en gestation depuis trois ans, pomme de discorde entre les partenaires sociaux depuis bientôt un an. Il est pourtant urgent de la dépoussiérer, s'accordent à dire ses signataires, car elle ne correspond plus aux métiers du secteur, à leurs conditions d'exercice et, de surcroît, elle fabrique des disparités en raison de son héritage historique.

Pour comprendre ces évolutions, il faut remonter au 16 mars 1958, date de la signature des accords collectifs de travail entre les associations régionales pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence et l'Association nationale des éducateurs de jeunes inadaptés, dits accords « UNAR- ANEJI ». Il s'agissait alors de donner un statut professionnel aux éducateurs, dont le métier avait surgi de l'après-guerre dans la mouvance des bonnes œuvres caritatives. Les négociateurs ont dû plancher pendant six ans avant d'aboutir ! Dans son numéro d'avril 1958, la revue La sauvegarde de l'enfance évoquait déjà les incidences de ces accords sur « l'évolution de la profession, sur l'harmonisation devenue indispensable des programmes et des fonctionnements des écoles de formation d'éducateurs » ou encore sur « le financement et le fonctionnement des établissements, l'approbation des ministères de tutelle ». Puis, pressés par des revendications visant la reconnaissance d'un statut propre au secteur de l'enfance inadaptée, en pleine expansion, et fortement guidés dans ce sens par les pouvoirs publics, salariés et employeurs ont conclu à la nécessité de construire une convention collective en bonne et due forme.

L'entrée en négociation bouleverse le paysage syndical. D'un côté, les salariés rejoignent les organisations existantes et le tout nouveau Syndicat national autonome interprofessionnel de l'enfance inadaptée (SNIAEI) (1)  ; de l'autre les employeurs de l'Unarsea (prédécesseur de l'Unasea) donnent naissance au Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social (Snasea). Avec le Syndicat général des organismes privés sanitaires et sociaux à but non lucratif (SOP) et le Syndicat national des associations de parents d'enfants inadaptés (Snapei), le Snasea fonde, en 1964, la Fédération des syndicats nationaux d'employeurs des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées. « Les négociations ont été très difficiles car elles étaient guidées par l'idée d'une parité avec le secteur public. Les ministères de tutelle - la Justice, l'Education nationale et les Affaires sociales - freinaient considérablement les discussions », se remémore Jean Barrère, à l'époque membre du bureau du SNIAEI, aujourd'hui vice-président de l'Union départementale de santé mentale dans le Val-de-Marne. Dans un premier temps, seuls le SNIAEI et la CFTC signent. La Fédéra-tion de l'action sociale de la CGT se laisse convaincre par la suite, ainsi que celle de la CFDT, qui aurait préféré une extension de la convention collective de 1951. De fait, en gagnant sa reconnais-sance, le secteur de l'enfance en difficulté se désolidarise du secteur sanitaire. « Un travail de longue haleine a abouti à un statut de fait pour le personnel de l'action sociale du secteur privé à but non lucratif », souligne Jean Barrère. Reste qu'une autre convention existait pour le secteur de l'enfance -celle du 26 août 1965, négociée par la Fédération française des établissements de cure et de prévoyance pour enfants - mais à l'époque à vocation lucrative (2).

Quarante ans plus tard, le socle de la CCN 66 demeure, même si la convention s'est alourdie de dix annexes et de 300 avenants, résultat de l'évolution constante du champ professionnel et de négociations permanentes. Pourtant, chacun en convient, ce texte de référence a vieilli. « Il avait été élaboré surtout pour les internats, alors que le milieu ouvert s'est beaucoup développé, avec une organisation du travail qui n'est plus la même, explique Jean Barrère. Les différences de rythme entre une assistante de service social et un éducateur - anomalies qui ont dominé les premières négociations - se sont atténuées. » Or ce sont ces disparités qui ont motivé des dispositions plus favorables pour certaines catégories de personnel, notamment l'octroi de congés supplémentaires. A contrario, de nouvelles contraintes doivent être prises en compte : « Le handicap mental regroupe aujourd'hui des réalités très différentes, qui entraînent des pratiques et des exigences spécifiques », illustre Philippe Calmette, directeur général de la Fédération nationale des associations de parents et amis employeurs et gestionnaires d'établissements et services pour personnes handicapées mentales (Fegapei). « Est-il normal qu'un responsable d'équipe d'éducateurs soit classé comme simple éducateur ? », s'interroge-t-il par ailleurs. Dans le même temps, certains contours de métiers se brouillent, comme celui des aides médico-psychologiques et celui des éducateurs, souvent indifféremment employés sur les mêmes postes.

Autre caractéristique de la convention : ses grilles salariales. Les augmentations étant calculées en pourcentage selon l'ancienneté, les écarts de départ sont accrus en fin de carrière. Une aide médico-psychologique connaît ainsi au cours de sa carrière une évolution de 30 %, un éducateur de 70 %. Ce poids important de l'ancienneté s'avère, pour les em-ployeurs, menaçant pour différentes raisons. « L'effet GVT [glissement-vieillesse-technicité] (3) plante financièrement les associations », pointe Marie-France Denamiel, secrétaire générale du SOP. Philippe Calmette redoute pour sa part son effet pervers face au défi démographique du secteur : « Aujourd'hui, la convention est avantageuse pour les professionnels en fin de carrière, prêts à partir à la retraite, argumente-t-il. Comment allons-nous réussir à recruter des jeunes avec des salaires peu attractifs ? » Les responsables d'établissement ont aussi à s'inquiéter de l'avenir de leurs financements une fois les baby boomers partis à la retraite, l'Etat tenant compte du fameux GVT dans le calcul de son enveloppe annuelle.

L'ajout successif de nouveaux métiers dans les champs d'application de la convention, sans qu'ils aient été intégrés dans les classifications, constitue une bizarrerie supplémentaire. Outre les professionnels intervenant auprès des adultes handicapés en 1981, sont arrivés les salariés des centres de formation, les techniciens de l'intervention sociale et familiale, les délégués à la tutelle, les auxiliaires de vie sociale, les assistants familiaux. Autant de professionnels intégrés « par assimilation », ce qui n'est pas sans engendrer des conflits sur les droits dont ils peuvent se prévaloir. « Des métiers sont sous-payés, notamment dans les services de tutelle, où des salariés titulaires d'une maîtrise de droit se voient refuser le statut de cadre », s'étonne par exemple Michel Paulini, secrétaire général de la Fédération nationale de l'action sociale-Force ouvrière (FNAS-FO).

L'idée de refondre la convention collective avait déjà été évoquée il y a dix ans, dans un contexte de limitation des ressources et de première phase de décentralisation de l'action sociale. En 2000, la douloureuse et contestée négociation de l'avenant 265, dit « avenant cadres » (4), fut considérée par les syndicats de salariés signataires (la CGT et la CFE-CGC) comme une première étape dans la revalorisation des statuts : « L'idée était de reprendre les carrières de salariés qui n'avaient pas été augmentés depuis longtemps. Nous souhaitions poursuivre les négociations pour les autres catégories socio-professionnelles, explique Jean-Yves Baillon, ancien secrétaire général de l'Union fédérale de l'action sociale (UFAS) -CGT. Seulement les discussions sont devenues de plus en plus difficiles et les élections présidentielles de 2002 ont réglé la suite. »

Les partenaires sociaux entrent dans le vif du sujet de la refonte en 2002, année au cours de laquelle la fédération des employeurs accepte d'ouvrir le dossier, à la demande de la CGT, qui se réfère aux dispositions du code du travail selon lesquelles les partenaires sociaux doivent renégocier les classifications tous les cinq ans. En 2003, les partenaires sociaux valident en commission paritaire le principe de travailler sur des filières et des « fiches métiers ». Rien de très conflictuel alors, et chacun est renvoyé à ses travaux. Mais le torchon commence à brûler en juillet 2005, quand les employeurs présentent le fruit de leurs travaux aux syndicats. Leurs objectifs : définir les métiers et tenir compte de leur évolution, dynamiser les carrières en instaurant des passerelles et, côté rémunérations, réduire le poids de l'ancienneté en revalorisant les débuts de carrière (5).

La fédération des employeurs propose de consacrer une première étape de négociation à la refonte des annexes et des métiers. Trois filières pourraient, selon elle, être définies : le service direct à la personne ; la gestion, l'administration et la maintenance des structures ; la production et la commercialisation des biens et services. « En faisant sauter la logique des annexes pour privilégier les métiers, on tient compte de l'acte professionnel et l'on se rapproche de la logique de l'usager », argumente Philippe Calmette. « Cela permet de définir exactement les métiers, les fonctions qui s'y rattachent, et de favoriser la fluidité des parcours, renchérit Maryvonne Nicolle, secrétaire fédérale de la CFDT Santé-sociaux. En revanche, l'UFAS-CGT, la FNAS-FO, la Fédération CFTC Santé-sociaux et SUD Santé-sociaux (qui ne veut pas se voir exclu du chantier) ne l'entendent pas de cette oreille. Alertés notamment par des propositions de définitions telles qu' « intervenant éducatif » ou « intervenant d'insertion », ces syndicats redoutent que les fiches métiers élaborées par les employeurs ne privilégient les fonctions au détriment des qualifications et, au final, n'aboutissent au délitement des métiers du travail social.

L'individualisation contestée des salaires

Les propositions sur les rémunérations, censées n'intervenir qu'en seconde phase de discussion, déclenchent encore plus l'ire syndicale. Le système devrait, selon les employeurs, reposer sur trois composantes :une partie principale rémunérant le métier, une partie indemnitaire liée au poste et une partie « individualisée » calculée en fonction de critères tels que la réalisation d'objectifs ou l'efficacité. Déjà échaudées par la refonte de la convention collective de 1951, qui a débouché il y a quatre ans sur l'instauration d'une part modulable de salaire et la limitation des progressions de carrière, l'UFAS-CGT, la FNAS-FO et la fédération Santé-sociaux de la CFTC dénoncent l'introduction du salaire « au mérite » et une tentative de précarisation des salariés. Elles refusent de négocier sur ces bases. La CFDT Santé-sociaux, favorable à la compensation équitable des contraintes liées au poste sans approuver pour autant toutes les propositions patronales, préfère que le dialogue social soit poursuivi. « Nous avons souhaité une forme d'individualisation dans des limites restreintes et qui doit reposer sur des critères objectifs », affirme Alain Freudberg, délégué auprès du directeur général du Snasea. Marie-France Denamiel regrette le « procès d'intention » fait par les syndicats opposés au projet, car « les employeurs n'ont pas encore élaboré les grilles salariales ». Jean-François Marsac, secrétaire général de l'UFAS-CGT, qualifie quant à lui les orientations patronales de « provocatrices », même si, reconnaît-il, certains constats sont partagés.

Résultat : les négociations achoppent avant même d'avoir démarré. Deux réunions successives de la commission paritaire de négociation, aux mois de novembre et décembre, sont ajournées après avoir été perturbées par l'UFAS-CGT et SUD Santé-sociaux. Les em-ployeurs suspendent finalement le dialogue en annulant la réunion du 18 janvier, souhaitant que les syndicats confirment « leur volonté de poursuivre les discussions sereinement », dans « un climat de liberté d'expression et de négociation ». Le projet peut-il rester au point mort ? Personne ne semble le souhaiter. « A garder de vieilles conventions collectives, on fait le jeu de ceux qui veulent les dénoncer », pointe Marie-France Denamiel. En vue de la prochaine réunion de la commission paritaire, prévue pour le 24 mars, la fédération des employeurs a initié des rencontres bilatérales avec les syndicats, « pour faire le point sur [leurs] propositions et sur les positions prises par chacun », explique Alain Freudberg.

Preuve qu'ils ne souhaitent pas en rester au statu quo, les syndicats continuent de construire leurs propres propositions. Alors que les salariés attendent toujours le rattrapage des salaires gelés pour compenser le coût du passage aux 35 heures et que le premier salaire d'entrée se situe à peine au dessus du SMIC, la revalorisation des rémunérations fait partie, avec la promotion de la formation et la résorption des injustices, de leurs principales revendications. « On part du principe que le SMIC ne peut pas être un salaire de référence pour démarrer », souligne pour la CFDT-Santé sociaux Maryvonne Nicole. A l'occasion de la journée anniversaire du 15 mars 2006, la fédération SUD Santé-sociaux a soumis un projet de « contre-propositions » au débat public, à travers les collectifs « syndiqués, non-syndiqués » créés dans les régions. « Aujourd'hui, la grille des rémunérations est défavorable aux bas salaires, explique Fabienne Binot, sa secrétaire générale . Nous voulons que la progression soit identique pour tout le monde : le salaire de départ serait lié à la qualification et au métier, l'augmentation en pourcentage serait supprimée au profit d'une avancée uniforme pour tous. Ces propositions doivent être discutées et amendées par les salariés pour que nous puissions les faire entendre pendant les commissions paritaires. »

Comme la CGT, SUD Santé-sociaux plaide pour la construction d'une convention collective unique de la branche Unifed. Elle souhaiterait donc que ses propositions puissent être applicables à l'ensemble du champ d'activité de la branche « action sanitaire et sociale ». Mais avant d'en arriver là, il faudra encore que les partenaires sociaux tombent d'accord et que le texte passe sous les fourches caudines de Bercy. Car une telle réforme pourra difficilement se faire à coût constant.

Maryannick Le Bris

À QUI S'APPLIQUE LA CONVENTION COLLECTIVE DE 1966 ?

 La convention a été signée, côté employeurs, par le Snapei (environ 80 000 salariés en équivalent temps plein), le Snasea (près de 55 000) et le SOP (environ 100 000), qui constituent depuis 1964 la Fédération des syndicats nationaux d'employeurs des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées. Le Syndicat national des associations laïques employeurs du secteur sanitaire, social, médico-éducatif et médico-social (Snaless) a adhéré à la convention en août 2000 et les unions départementales d'associations familiales le 1er janvier 2003. Pour les salariés, ont signé la CFDT-Santé sociaux, le Syndicat général de l'enfance inadaptée et handicapée CFTC, la FNAS-FO, la Fédération de la santé et de l'action sociale CGT et la Fédération française de la santé, de la médecine et de l'action sociale CFE-CGC.

 La convention s'applique aux établissements et services privés à caractère non lucratif couverts par la législation sur les institutions sociales et menant des missions de protection sociale et judiciaire de l'enfance et de la jeunesse, des missions auprès des mineurs et adultes handicapés, des missions auprès de la famille, des missions d'aide et d'accompagnement des personnes en difficulté sociale, des missions de soins à caractère médico-social et enfin des missions de formation en travail social.

 Les emplois visés sont répartis dans les différentes annexes qui concernent le personnel non cadre d'administration et de gestion, le personnel éducatif, pédagogique et social, le personnel para-médical, le personnel des services généraux, les cadres, les personnels éducatifs en situation temporaire d'emploi salarié, les personnels spécialisés des établissements de mineurs déficients auditifs et visuels et les personnels des établissements et services pour personnes handicapées adultes.

 La dernière augmentation de la valeur du point dans la convention (3,58 €) date du 1er novembre 2005 (+ 0,8 %). Les partenaires sociaux devraient, selon les informations qu'ils ont obtenues de la direction générale de l'action sociale lors de la conférence salariale du 23 février, obtenir + 0,5 % au 1er juillet 2006.

Notes

(1)  Fondé notamment par des membres de l'ANEJI, il se fondra ultérieurement dans la Fédération nationale de l'action sociale-FO.

(2)  Cette fédération s'est transformée en 2001 en Union intersyndicale des secteurs sanitaires et sociaux. La convention du 26 août 1965, qui recouvre aujourd'hui des champs d'activité de la CCN 51 et de la CCN 66, regroupe un volume moindre de salariés - environ 8 000 -, intervenant dans le secteur lucratif et, majoritairement, non lucratif.

(3)  Ce phénomène mesure l'évolution de la masse des rémunérations liée aux caractéristiques des personnes employées.

(4)  Voir ASH n° 2172 du 23-06-00.

(5)  Adhérent à la convention sans en être signataire, le Syndicat national des associations laïques employeurs du secteur sanitaire, social, médico-éducatif et médico-social (Snaless) a de son côté élaboré son propre projet de refonte, d'ailleurs pas très éloigné de celui de la fédération des employeurs, et attend toujours d'être sollicité par la commission paritaire.

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