Même si le scandale de la réalité carcérale est de notoriété pu-blique, montré du doigt d'année en année et de rapport en rapport (1), « rien n'y fait. La France a résolument tourné le dos à la volonté réformatrice qui avait ponctué la vaste enquête parlementaire de 2000 sur les prisons. » C'est ce constat qui a conduit l'Observatoire international des prisons (OIP) (2), rejoint par la Ligue des droits de l'Homme, des syndicats de magistrats, d'avocats, de travailleurs sociaux de l'administration pénitentiaire (3), ainsi que la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) et Emmaüs, à lancer des « états généraux de la condition pénitentiaire ». Une phase de « consultation » sera organisée du 31 mars jusqu'à la fin juin, par le biais d'un questionnaire distribué aux détenus et à leurs familles, aux surveillants, aux travailleurs sociaux, aux médecins, aux magistrats, aux visiteurs et aux enseignants (4). Les organisateurs comptent ainsi appeler 150 000 personnes à s'exprimer en vue de préparer, pendant l'été, des « cahiers de doléances ».
Un constat de plus et des propositions une nouvelle fois vouées aux oubliettes ? « Ces cahiers s'imposeront comme une injonction à agir », répond au contraire Patrick Marest, délégué national de la section française de l'OIP, précisant qu'après une série de débats thématiques organisés en région, les cahiers de doléances seront rendus publics fin octobre à l'occasion de trois journées de restitution à l'Hôtel de ville de Paris. A ce moment, les candidats à l'élection présidentielle seront interpellés... « Le calendrier est extrêmement bien choisi, souligne l'avocat et ancien garde des Sceaux Robert Badinter, qui a donné le coup d'envoi de cette initiative. Cette fois on peut espérer que la condition pénitentiaire devienne un débat politique... »
Les organisations et les personnalités impliquées misent également sur l'originalité de leur démarche. Une initiative qui « libère la parole » des premiers concernés, dans une approche globale, et qui, pour la première fois, donnera à entendre ce que les détenus eux-mêmes ont à dire. L'administration pénitentiaire sera saisie de cette participation des condamnés, mais les avocats se sont déjà engagés à servir de courroie de transmission. Dominique Barella, président de l'Union syndicale des magistrats, espère quant à lui que les travaux de la commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau contribueront positivement au débat. « Si l'on veut améliorer la condition pénitentiaire, il faut améliorer les conditions d'entrée en prison », clame-t-il, évoquant le « bal des faux culs » qui semblent découvrir aujourd'hui la réalité de la détention provisoire et de la garde à vue.
Avec un certain réalisme, Robert Badinter pointe néanmoins les obstacles à cette opération. « Je suis convaincu que pèse sur la prison une loi d'airain, analyse-t-il. On ne peut pas, aux yeux de l'opinion publique, élever la situation du détenu au-dessus de la condition du travailleur libre le plus précaire. Il y a une relation directe entre le progrès social des plus défavorisés et la condition carcérale. » La précarité et l'incarcération ne sont pas des sujets étrangers, insiste pour sa part Nicole Maestracci, présidente de la FNARS : « Parmi les personnes que nous accueillons, 25 % ont fait l'objet d'une condamnation pénale. Pour un cinquième d'entre eux, c'est la prison qui les a fait basculer dans la précarité. »
L'enjeu des « états généraux de la condition pénitentiaire » est donc de susciter une prise de conscience générale. De les « transformer en campagne d'opinion », comme le souligne Henri Leclerc, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme, ou encore « de replacer la prison au cœur de la cité », comme l'envisage Cédric Fourcade, référent régional Paris pour les travailleurs sociaux de la CGT-pénitentiaire (5). Martin Hirsch, président d'Emmaüs France, se montre optimiste : « Trois conditions sont réunies pour inverser la tendance, estime-t-il : le témoignage des acteurs, l'expertise et le débat contradictoire, qui évitera que les états généraux ne se referment sur des postures ». Il faut « écouter, proposer, convaincre », conclut Robert Badinter, affichant délibérément un « pessimisme actif ».
M. LB.
(1) Le dernier en date étant celui du commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Alvaro Gil-Robles - Voir ASH n° 2444 du 24-02-06.
(2) OIP : 31, rue des Lilas - 75019 Paris - Tél. 01 44 52 87 90.
(3) L'Union syndicale des magistrats, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats, le Conseil national des barreaux, le Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (Snepap) -FSU, la CGT-Pénitentiaire.
(4) Le questionnaire sera disponible dès le 31 mars sur le site
(5) Voir également l'interview de Cédric Fourcade sur le site des ASH,