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Divergences d'interprétation sur les contours de la décentralisation

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Il a suffi d'une simple lettre émanant de l'Education nationale pour mettre au jour toutes les incertitudes entraînées par une décentralisation des formations sociales mal maîtrisée et dont personne n'a sans doute encore mesuré toutes les conséquences. Une simple lettre pour révéler les divergences d'interprétation entre l'Etat et les régions sur les contours exacts des compétences transférées et alimenter toutes les peurs, réelles ou fantasmées, de voir le secteur livré à une véritable dérégulation.

C'est le 16 janvier que la direction de l'enseignement scolaire du ministère de l'Education nationale a adressé un courrier aux recteurs d'académie. Elle les invite à examiner les possibilités pour les lycées professionnels de mettre en place des formations sociales de niveau IV et V. Plus spécifiquement visés : les diplômes d'aide médico-psychologique, d'auxiliaire de vie sociale, de technicien de l'intervention sociale et familiale et de moniteur-éducateur. Raisons invoquées par la direction de l'enseignement scolaire : des procédures simplifiées puisque l'ouverture des formations sociales n'est plus soumise à l'agrément des directions régionales des affaires sanitaires et sociales et qu'une « simple déclaration préalable au représentant de l'Etat en région » suffit ; l'existence de besoins non couverts dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées en établissement et de l'accompagnement des familles.

Quel pouvoir pour la région ?

A l'Association des régions de France (ARF), c'est la douche froide : « Quand on m'a fait passer cette lettre, j'ai sauté sur ma chaise et j'ai demandé qu'on vérifie. Ce ne pouvait être qu'une erreur grossière ! », s'emporte Monique Iborra, vice-présidente de la région Midi-Pyrénées et présidente du groupe des formations sanitaires et sociales de l'ARF. Laquelle précise que si une déclaration préalable au préfet de région est nécessaire, c'est le président du conseil régional qui délivre l'agrément aux établissements et permet l'ouverture des formations. « Ce qui n'est nullement précisé dans la lettre. Un oubli bien regrettable, une erreur juridique, que nous ne pouvons pas accepter. Une telle interprétation montre bien à quel point ce transfert des compétences s'est fait dans la précipitation et l'incurie. Ce qui provoque des tensions, des inquiétudes et des dysfonctionnements. » Pas question en effet pour les régions de voir leurs compétences limitées aux seules formations qu'elles financent : elles entendent bien peser comme de véritables acteurs.

Simple oubli de la part de l'Education nationale ? Non, puisque les lycées professionnels sont des établissements publics et sont déjà agréés, précise Brigitte Trocmé, adjointe au chef du bureau du partenariat avec le monde professionnel et les commissions professionnelles consultatives à la direction de l'enseignement scolaire. Un avis que partage Maryse Chaix, sous-directrice de l'animation territoriale et du travail social à la direction générale de l'action sociale (DGAS), même si elle estime le courrier, dont elle n'avait pas eu connaissance, « un peu maladroit ». Et d'expliquer en se référant à la loi du 13 août 2004 et aux décrets du 22 février et du 4 mai 2005, que les présidents de conseils régionaux n'agréent que les établissements qu'ils financent. « C'est la réalité des textes. Maintenant les présidents des conseils régionaux garderont un vrai rôle de pilotage et une vue d'ensemble à travers les schémas régionaux des formations sociales qui rassembleront tous les interlocuteurs : Etat, départements, employeurs... » Il est d'ailleurs bien évident, pour Brigitte Trocmé, que l'ouverture des formations sociales dans les lycées professionnels, qui sont inscrits dans les schémas régionaux, se fera en accord avec les régions. « Ce sont des partenaires naturels avec lesquels nous travaillons depuis plus de 20 ans sur la formation professionnelle des jeunes », tient-elle à préciser.

Quel contrôle pédagogique sur les lycées professionnels ?

Ces différences de vue sur le pouvoir donné aux régions en disent long sur le climat qui accompagne le transfert de compétences. Et ne sont guère de nature à rassurer les acteurs des formations sociales, dans le contexte de turbulences actuel, sur le futur pilotage du dispositif de formation. Eux aussi d'ailleurs, tout comme l'ARF, se sont dits « très surpris » lorsqu'ils ont découvert, « par hasard », la lettre adressée aux recteurs d'académie. C'est d'ailleurs cet « étonnement » que les partenaires sociaux de la Commission paritaire nationale de l'emploi (CPNE) de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale se sont empressés de signifier, dans un courrier daté du 28 février, à Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale. Dans ce texte, ils lui demandent comment ses services, toujours compétents en la matière, comptent exercer leur contrôle sur les lycées professionnels pour garantir la qualité des formations, l'organisation pédagogique et le respect des processus de sélection. Ou alors, s'interrogent-ils, « la majorité des titres visés relevant du ministère des affaires sociales en matière de certification, est-il imaginé un processus à caractère interministériel dont nous ne serions point informés ? »

« Face au mastodonte de l'Education nationale, la direction générale de l'action sociale ne fera pas le poids », s'inquiète Christian Chassériaud, président de l'Association française des organismes de recherche et de formation en travail social (Aforts). « Que l'Education nationale ait besoin de redéployer ses moyens face à la baisse des effectifs dans ses établissements, je ne le nie pas. Mais quelle est sa légitimité en termes de connaissance du secteur et d'expérience à gérer des formations sociales ?, se demande Jean-Michel Godet, secrétaire général du Groupement national des instituts du travail social (GNI). En outre, à quoi servent les schémas régionaux de formation, censés articuler les besoins d'emploi et de formation, si les lycées professionnels peuvent ouvrir des formations sociales à partir d'une simple déclaration préalable au préfet de région ? » De là à se demander s'il ne s'agit que d'un coup d'essai, il n'y a qu'un pas : « Le scénario demain sera-t-il la mainmise de l'université sur les niveaux III et II du travail social ? », s'interroge Christian Chassériaud.

A la direction de l'enseignement scolaire, on se défend de vouloir faire de la concurrence aux appareils de formation traditionnels. « Il ne s'agit pas de créer des sections tous azimuts, mais de prendre en compte des besoins existants, explique Brigitte Trocmé. En outre, dans notre lettre, nous avons invité les recteurs à la plus extrême vigilance, afin que les lycées professionnels interviennent en complémentarité avec les centres relevant du ministère des affaires sociales et que des partenariats se développent en région entre départements ministériels. » C'est également cette nécessaire « coopération » avec l'Education nationale que met en avant Maryse Chaix : « Face à l'importance des besoins à venir et aux problèmes de recrutement des professionnels, il faut changer notre vision des choses et travailler ensemble. » Quant aux craintes d'un lâchage des formations sociales par le ministère chargé des affaires sociales, elles relèvent selon elle du « fantasme ». « Tout le travail que nous menons actuellement pour "réingénieriser" nos titres et nos diplômes, nos efforts sur la validation des acquis de l'expérience, démontrent le contraire. » Et de préciser que la DGAS est particulièrement attentive, dans la préparation des orientations nationales en travail social qui doivent être arrêtées par le ministre chargé des affaires sociales en 2007, à la qualité des formations. Un volontarisme qui reste maintenant à traduire sur le terrain...

I.S.

LE SOCIAL EN ACTION

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