Dans cette maison bourgeoise, les murs aux tons pastel et l'escalier en bois distillent une atmosphère chaleureuse et feutrée. Rien ne laisse présager de prime abord que ce grand pavillon de Livry-Gargan, dans la Seine-Saint-Denis, abrite une structure institutionnelle. « Il était important que les enfants et les parents soient reçus dans un bel endroit. De plus, nous voulions être présents dans la cité avec le plus de discrétion possible. C'est un taxi, et non une ambulance, qui fait la navette entre l'école et l'institution pour aller chercher les jeunes », explique Hervé Pinçon, directeur adjoint du service d'Elan pour l'intégration des adolescents (SELIA) 93 (1).
En 2001, l'association Elan a obtenu un agrément régional pour gérer un projet pilote de service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) visant au maintien et/ou à l'intégration scolaire (2). Ce service autonome (3), financé par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, n'est pas destiné aux enfants en situation de handicap physique ou mental mais prend en charge une quarantaine de jeunes âgés de 7 à 16 ans manifestant des troubles du comportement et de la conduite (4). Cette terminologie rassemble des pathologies psychiques diverses qui induisent chez les enfants et les adolescents de grandes souffrances qu'ils ne parviennent pas à exprimer. Inhibés ou agressifs, ils se désignent souvent eux-mêmes comme des « cailleras » - « racailles » en verlan. Les insultes ou les actes violents constituent pour beaucoup d'entre eux le seul moyen de communiquer. Ils sont en général incapables de rester assis en classe. Certains essaient même de s'échapper de l'école en commettant des actes graves comme une tentative d'incendie. C'est d'ailleurs la plupart du temps à la demande des établissements où ils sont scolarisés que les jeunes arrivent au SELIA.
Composée d'une directrice, de trois psychologues cliniciens, de quatre éducateurs spécialisés, d'une monitrice-éducatrice, d'un enseignant spécialisé et d'une psychiatre référente basée à Paris, l'équipe accompagnante a un leitmotiv : « Nous n'avons pas pour objectif de les rendre polis, mais de les aider à trouver l'apaisement, affirme Hervé Pinçon, qui assure par ailleurs la fonction de psychologue au sein du Sessad. Il s'agit avant tout d'identifier les causes des troubles. Pourquoi l'enfant n'arrive-t-il pas à travailler en classe ? A rester à l'école ? Nous partons de ces questions, qui s'expriment en public, pour les déplacer vers le champ privé. Les gestes et le langage violents masquent en réalité une souffrance psychique dont les causes sont inconscientes. »
Les six premières semaines de la prise en charge sont consacrées à la réalisation de bilans éducatif, pédagogique, psychologique et social. L'équipe cherche avant tout à instaurer une relation de confiance avec l'enfant et les parents, car l'orientation en Sessad n'est pas toujours bien vécue. « Notre rôle est de rassurer les jeunes et de leur expliquer que nous ne les prenons pas pour des "gogols ", pour utiliser leur expression, affirme Hervé Pinçon. Certains n'ont plus confiance en aucun adulte et il n'est pas question de les forcer à parler dès le prime abord. » Et d'ajouter : « Il est aussi indispensable de dédramatiser vis-à-vis des familles. Elles ne nous connaissent pas et peuvent refuser la prise en charge. Nous leur expliquons le sens de notre travail et l'importance de leur collaboration. »
La période d'évaluation aboutit à la mise en place d'un projet personnalisé de scolarisation défini en accord avec l'enfant et ses parents. Il s'agit de permettre à l'enfant de retrouver un comportement adapté à l'école et d'éviter ainsi une stigmatisation, qui risque de le conduire à la rupture sociale. Pour l'équipe, redonner à l'enfant sa place à l'école, c'est donc aussi prévenir la délinquance.
Les enfants viennent à l'établissement pendant le temps scolaire, pour participer à des activités allant de 2 à 15 heures par semaine. L'emploi du temps est articulé avec celui de l'école pour assurer la continuité. En fonction de ses centres d'intérêt, les éducateurs proposent à l'enfant de participer à des ateliers (cuisine, musique, jardinage, art mural, sport, esthétique, etc.). Il s'agit de recréer une situation d'apprentissage en collectivité et de favoriser la reprise de confiance en soi.
Mais vivre en groupe constitue parfois une véritable gageure et l'équipe doit constamment s'adapter aux situations. « Nous ne pouvons pas avoir des objectifs trop élevés, relativise Alexandre Badault, éducateur sportif. Notre but est que les jeunes parviennent à passer d'une activité individuelle à un petit groupe. Même lorsqu'ils sont seulement deux ou trois, cela peut s'avérer compliqué. Si les séances se déroulent sans insulte ni incivilité, c'est déjà un point positif. » Pour Alexandre Badault, l'ouverture vers d'autres jeunes à l'extérieur de l'établissement est indispensable pour permettre la resocialisation. « La difficulté réside dans le fait qu'ici, ils sont entre jeunes "à problèmes ", souligne-t-il. Je souhaite qu'on arrive davantage à organiser des rencontres avec d'autres jeunes. Mais cela ne pourra fonctionner que si nous sommes soutenus par les établissements scolaires. Le travail de communication auprès des équipes éducatives doit se poursuivre dans ce sens. »
La collaboration avec les écoles est en effet primordiale. Elle passe aussi par l'aide aux devoirs et le suivi du travail en classe. « Nous sommes régulièrement en contact avec les enseignants et les conseillers principaux d'éducation pour connaître l'attitude de l'enfant pendant les cours, explique Carine Gilles, éducatrice. C'est très important pour le jeune de savoir que nous sommes tous en relation, sinon il risquerait de se sentir encore plus morcelé. » Ce partenariat avec l'Education nationale ne s'est toutefois pas construit sans heurts. « Nous nous sommes parfois entendu dire que le Sessad n'avait pas à se substituer à l'école, relate Chantal Madranges, directrice du SELIA et retraitée de l'Edu-cation nationale. Mais, à présent, la plupart des équipes éducatives ont compris que nous n'étions pas dans la rivalité et que nous étions à leur disposition. »
Sur le plan médical et thérapeutique, les psychologues de l'équipe proposent des temps de parole et d'écoute aux enfants ainsi qu'aux familles tout au long de la prise en charge, qui peut durer plusieurs années. Dans un premier temps, les entretiens visent à évaluer les difficultés rencontrées par le jeune. Selon la gravité des troubles, le Sessad est amené à orienter les familles vers le secteur hospitalier ou privé pour que leur enfant soit suivi par un psychiatre. Dans un second temps, le psychologue accompagne les jeunes dans leur projet de scolarisation. « Nous essayons de les aider à se dégager d'un jugement de valeur par rapport à l'échec scolaire, résume Sylvain Lombet, psychologue. On peut arriver à ce qu'ils dépassent leurs difficultés en s'appuyant sur ce qu'ils réussissent à faire. » Le psychologue les aide également à lutter contre certains préjugés, qui les emprisonnent dans une image négative d'eux-mêmes. « On ne parvient pas toujours à ce que l'enfant se voie autrement que comme "un nul ", surtout quand cette étiquette lui est attribuée par son entourage familial ou l'école, observe Sylvain Lombet. Le travail en partenariat avec ceux qui les côtoient peut alors être difficile car tous n'acceptent pas de changer de regard. Pour certains, il est plus commode de se cantonner à une étiquette de casse-pieds plutôt que de reconnaître une souffrance. »
La pluridisciplinarité de l'équipe joue un rôle majeur pour dépasser les difficultés de communication. « Personne ne détient le savoir sur la manière de soulager, affirme Purdey Jaeger, psychologue. Nos échanges et notre complémentarité permettent de dépasser les blocages. Si l'enfant ne veut pas venir en entretien, l'éducateur prendra le relais et pourra le convaincre de s'y rendre. » Chacun souligne cependant que les objectifs doivent être réalistes. Les marges de manœuvre pour changer la trajectoire des adolescents les plus âgés sont limitées. « Certains sont déjà entrés dans la délinquance, poursuit Purdey Jaeger. Il est plus facile d'agir avec les plus jeunes car ils sont moins dans une logique d'exclusion. » D'où l'accent mis sur la prévention. L'équipe organise régulièrement des réunions dans les établissements scolaires pour informer les enseignants sur l'importance de signaler le plus tôt possible les enfants en difficulté. Le Sessad vient d'ailleurs d'obtenir l'agrément pour ouvrir deux autres unités dans le département, avec la possibilité d'accueillir les enfants dès l'âge de 3 ans. Signe que le SELIA commence à être reconnu comme un maillon manquant. Mais arrivera-t-il à combler les besoins ? Si, en trois ans, le nombre d'enfants qu'il accueille est passé de 20 à 40, plus de 200 demandes de prise en charge sur l'ensemble du département sont toujours en attente.
Nadège Figarol
La mise en place d'une collaboration entre votre établissement et le Sessad répondait-elle à des besoins particuliers ?- Le nombre insuffisant de psychologues et de pédopsychiatres est flagrant dans la Seine-Saint-Denis. La carence est telle que nous ne disposons quasiment pas de structures où orienter les enfants présentant des troubles du comportement, qui souffrent pourtant de maladies psychologiques avérées. Je souhaite que davantage de jeunes de notre école puissent être accueillis en Sessad. Contrairement à d'autres structures, l'enfant n'y va pas pour une consultation ponctuelle, mais pour une prise en charge individualisée sur le long terme, qui est à la fois psychothérapique, éducative et pédagogique. De plus, nous apprécions que les intervenants du SELIA viennent régulièrement nous rencontrer. Les enseignants se sentent en effet démunis face au comportement de ces enfants. Comment s'effectue ce travail de concertation ?- Nous nous réunissons deux fois par trimestre avec l'enseignant pour définir ensemble des objectifs d'intégration scolaire. L'équipe du SELIA nous éclaire sur les raisons pour lesquelles l'enfant a tel comportement et nous fait des suggestions pour prévenir ses réactions ou y répondre. Si nous rencontrons un problème important - l'enfant s'échappe de l'école par exemple -, ils sont toujours disponibles au téléphone pour nous guider dans la marche à suivre. En échange, l'équipe du Sessad s'appuie sur les explications que nous lui donnons sur le comportement de l'enfant en classe pour faire évoluer sa prise en charge. Après chaque réunion, nous rencontrons les parents pour leur faire part des difficultés, mais aussi pour les impliquer dans les progrès réalisés par leur enfant. Quelles évolutions observez-vous depuis la mise en place de cette collaboration ?- Les objectifs que nous nous fixons ne répondent pas aux mêmes exigences que nous avons pour les autres élèves, car les enfants en difficulté sont parasités par des problèmes psychologiques. Faire en sorte que l'enfant reste à sa table, qu'il soit en position d'apprenant, c'est déjà un premier pas. Nous avons beaucoup avancé grâce au travail d'équipe avec le Sessad. Les enfants pris en charge parviennent à acquérir les règles de l'école. Ce suivi pluridisciplinaire, précoce et sur le long terme, me semble indispensable pour éviter de graves problèmes à l'adolescence. Josette Laborde est directrice de l'école primaire Charles-Péguy : Impasse Boris-Vian - 93420 Villepinte.
(1) SELIA 93 : 42, avenue du Maréchal-Leclerc - 93190 Livry-Gargan - Tél. 01 41 70 39 80.
(2) Le statut du Sessad s'adaptait bien au projet, l'école étant considérée comme domicile.
(3) Alors que les Sessad sont habituellement rattachés à un institut médico-éducatif ou à un institut de rééducation.
(4) Adressés par la commission départementale de l'éducation spéciale (intégrée désormais à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées) après signalement des établissements scolaires.