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Des accueils de jour pour se ressourcer

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Maladie « familiale » au sens où elle place la famille au rang d'acteur principal de l'accompagnement de son parent atteint, la maladie d'Alzheimer se referme comme un piège. Pour rompre le huis clos familial, des centres d'accueil de jour offrent des espaces de détente et de sociabilité aux personnes malades, des plages de répit pour leurs aidants. Mais ces derniers hésitent parfois à y recourir.

« Alzheimer est un nom propre qui a réussi : il est devenu nom commun », sourit Françoise Héritier, professeure honoraire au Collège de France, vice-présidente du conseil d'administration de la Fondation Médéric-Alzheimer (1). De fait, le mot est devenu familier parce que la pathologie ou, plus exactement, la nébuleuse de pathologies qu'il désigne - maladie d'Alzheimer et troubles apparentés - progresse aussi spectaculairement que l'allongement de la vie qui en constitue le principal facteur de risque. En France, 860 000 personnes seraient aujourd'hui touchées et quelque 150 000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année (2).

Ces estimations donnent la mesure de l'ampleur du fléau. Une mesure relative, cependant, car elle ne prend pas en compte une caractéristique particulière de cette affection : sa dimension familiale. Les familles, en effet, ne ménagent pas leur peine afin que leur proche puisse vivre à domicile le plus longtemps possible. Pour les soulager, de temps en temps, d'une charge qui devient vite épuisante et permettre aux personnes malades de sortir du huis clos familial, différentes formules d'accueil temporaire ont été mises en place depuis une quinzaine d'années (3).

D'abord initiées par quelques pionniers, elles sont désormais reconnues au plan juridique et peuvent bénéficier, pour se développer, de financements de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). En 2005, sa section qui a vocation à financer les structures d'accompagnement et de répit était dotée de 20 millions d'euros. Elle n'en a dépensé que 12.

Les accueils de jour font partie de ces réponses novatrices que les pouvoirs publics entendent promouvoir. Fin 2004, il existait 2 242 places d'accueil de jour. L'année suivante, dans le cadre du plan Alzheimer 2004-2007, 1 214 places supplémentaires ont reçu l'autorisation d'ouvrir (4). Autant dire qu'on est encore très loin du compte en termes d'offre, note Alain Villez, conseiller technique de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), qui a piloté un groupe de travail sur les services d'accueil de jour dans le cadre de la Fondation Médéric-Alzheimer (5). Créées sur un mode autonome, ou rattachées à un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), un service hospitalier ou un service d'aide et de soin à domicile, ces structures sont généralement ouvertes cinq jours sur sept. Les personnes qui les fréquentent, par journée complète ou demi-journée, viennent le plus souvent au rythme d'une ou deux fois par semaine. Il peut s'agir uniquement de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer (et troubles apparentés), ou bien d'un public « mixte », comptant d'autres personnes âgées en perte d'autonomie ou ayant besoin de socialisation, et même, le cas échéant, des adultes de moins de 60 ans.

Mélanger les publics...

A Aussillon, dans le Tarn, l'accueil de jour ouvert en 1997 par l'Association d'aide à domicile en milieu regroupé (ADAR) a misé sur l'hétérogénéité des publics. Celle-ci apporte énormément à la dynamique de groupe, estime Janny Rivière, aide-soignante. La responsable du centre a d'ailleurs été surprise par les capacités d'adaptation des personnes accueillies, dont une partie souffre de la maladie d'Alzheimer, l'autre de pathologies psychiatriques ou d'un handicap physique. Elles sont aujourd'hui 12 à venir se retrouver à l'accueil de jour, grâce à la solidarité d'ambulanciers de Mazamet qui assurent leur transport moyennant un prix défiant toute concurrence : 4,80 € l'aller-retour. Réunis autour d'une grande cheminée de pierre, valides et moins valides « se tiennent chaud ». Ils se soutiennent aussi au sens propre du terme, lors des pérégrinations quotidiennes qu'effectue le groupe dans le quartier. Feuilleter des livres d'art ou aller prendre l'air : le but est d'offrir aux personnes accueillies, qui, « elles aussi, ont besoin de souffler, un espace de liberté où elles peuvent s'exprimer sans que leurs troubles du comportement gênent les accompagnants », estime Janny Rivière. Et de noter les bénéfices que les personnes retirent de leur fréquentation du centre : elles sont beaucoup moins anxieuses et déprimées et gagnent souvent en mobilité.

« Si la vocation des accueils de jour est avant tout psychosociale, leur finalité est thérapeutique au sens profond du terme », résume Arlette Meyrieux, présidente de l'union France Alzheimer et de l'association Alzheimer Savoie. Cet effet passe par le bien-être et le plaisir des personnes accueillies. « Leur proposer une journée agréable dans un groupe, en s'adaptant à chacun : tel est bien l'objectif », souligne Irène Sipos, directrice de l'EHPAD Saint-Cyr, à Rennes, qui a ouvert un accueil de jour en 1990. Avec le recul, celle-ci estime d'ailleurs que, s'il convient d'organiser des activités intéressantes pour les personnes, il est essentiel de « ne pas trop en faire ». A cet égard, tout dépend bien sûr de la population accueillie. Au début, celle qui fréquentait le centre breton était certes isolée et fragile, mais dynamique et autonome. Aujourd'hui, alors qu'il est toujours ouvert à un public qui n'est pas forcément atteint de la maladie d'Alzheimer, l'accueil Saint-Cyr reçoit quasi-exclusivement des personnes présentant des troubles cognitifs. C'est aussi ce qui a amené à faire évoluer le profil de la maîtresse de maison : l'intéressée a suivi un cursus d'aide médico-psychologique.

... Ou offrir une prise en charge spécifique

Pour s'ajuster le mieux possible aux besoins des personnes qui souffrent de la maladie d'Alzheimer, les familles du réseau France Alzheimer défendent, quant à elles, le principe d'une prise en charge spécifique, mise en œuvre par des personnels - salariés comme bénévoles - qui sont, eux aussi, spécifiquement formés. Ainsi, le club de Bressieux, dans la banlieue de Chambéry, structure autonome dirigée par une infirmière, que l'association Alzheimer Savoie a créée en 2003, accueille exclusivement des personnes pour lesquelles un diagnostic de la maladie d'Alzheimer ou apparentée a été posé. Des malades qui doivent être accessibles au langage et ne pas faire montre de comportements (trop) agressifs.

Placées sous le signe de la convivialité, de nombreuses activités artistiques et ludiques sont proposées aux intéressés - chez qui les familles redécouvrent bien souvent des capacités qu'elles croyaient totalement disparues. Elles-mêmes, quand leur proche est à l'accueil, peuvent trouver information et soutien dans l'autre partie du bâtiment où siège l'association. Au vu de la satisfaction des uns et des autres, Arlette Meyrieux a deux regrets. « Le plus dur, c'est quand il faut dire au malade et à sa famille qu'on ne peut plus l'accueillir », déclare-t-elle. C'est pourquoi, à côté des accueils de jour peu médicalisés comme celui de Chambéry, la responsable préconise d'en créer d'autres qui le soient plus pour les personnes dont la maladie est à un stade avancé. Arlette Meyrieux déplore, par ailleurs, la sous-utilisation du club de Bressieux : de nombreux malades, qui pourraient en bénéficier, n'y viennent pas, constate-t-elle, précisant que le travail avec les médecins généralistes est assez difficile.

Circonspection des mé-decins ? A tout le moins, selon Janny Rivière, un certain attentisme avec lequel elle a dû composer jusqu'à ce que l'accueil d'Aussillon atteigne sa vitesse de croisière. Avant d'y parvenir -essentiellement grâce au bouche à oreille -, le centre a néanmoins pu continuer à fonctionner parce que son budget était équilibré par l'association d'aide à domicile dont il dépend. Irène Sipos confirme l'intérêt, pour un accueil de jour, d'être adossé à un établissement solide. Il n'empêche : elle a parfois hésité à fermer le centre breton. « La demande est inférieure aux besoins théoriques », note-t-elle. Ce qui l'amène à s'interroger sur les réticences des familles. Celles-ci ont sans doute partie liée avec les problèmes d'organisation matérielle quand, faute de transports ad hoc, les aidants familiaux doivent accompagner leur proche.

Mais d'autres obstacles, d'ordre psychologique, peuvent aussi contrarier l'utilisation des services d'aide. « On assiste là à un paradoxe des plus complexes, commentent Michèle Frémontier et Jean-Pierre Aquino, directrice et conseiller technique de la Fondation Médéric-Alzheimer (6). Notre société demande à ces aidants familiaux [...]d'assurer avec force et courage un accompagnement continu des personnes malades. Pour autant, on refuse de leur donner la considération qui serait la juste rétribution du "fardeau" qu'ils assument. » Les deux spécialistes expliquent ainsi le sentiment de culpabilité qui empêcherait les familles de recourir aux aides proposées, fût-ce au prix de leur propre santé. Avec les conséquences désastreuses qui peuvent en résulter : risques de maltraitance et de placement en urgence. « En tant que soignants, nous postulons implicitement que le recours aux groupes de soutien ou aux services de répit ponctuels s'inscrit dans une stratégie rationnelle des aidants », analyse Geneviève Coudin, maître de conférences en psychologie à l'université Paris-V (7). Cet a priori a nourri le désir d'agir pour aider les aidants. Mais il a aussi contribué à occulter la réflexion sur les représentations, conscientes et inconscientes, que les intéressés ont de cette aide et qui peuvent expliquer qu'ils n'y fassent pas appel.

Pour en savoir plus sur la logique présidant au comportement des aidants, Colette Eynard, consultante en gérontologie, a conduit une vingtaine d'entretiens avec des familles utilisatrices de services d'aide. Différents enseignements se dégagent de ce travail réalisé dans le cadre de la Fondation Médéric-Alzheimer.

Pour que le répit soit accepté et intégré dans la vie des aidants, analyse la chercheure, il est nécessaire de respecter le cheminement qu'ils suivent dans la compréhension de ce qui leur arrive. Il faut aussi que l'information sur les services existants soit donnée à point nommé pour avoir quelque chance d'être entendue. Ce n'est pas forcément le cas lors de l'annonce du diagnostic, moment traumatisant qui peut provoquer une certaine sidération. En fait, la prise de conscience de la maladie se fait progressivement, souvent après une période de révolte, voire de déni. L'acceptation de l'aide - qui vaut acceptation de la situation - ne viendra qu'ultérieurement, éventuellement déclenchée par une situation de crise :lorsqu'un des aidants tombe malade, par exemple. « Il faut une "bonne raison" pour commencer », commente la spécialiste.

Rendant compte de leur motivation, les familles qui ont franchi le pas fournissent un élément-clé d'information dont les professionnels de l'aide pourront tirer argument. Le répit permet à ces aidants de poursuivre la relation avec leur proche malade, toujours menacée d'être interrompue par l'épuisement. Ces familles sont ensuite d'autant plus soulagées qu'elles constatent que leur temps de repos est également bénéfique au malade. Ainsi ce conjoint reconnaît : « elle est bien quand elle n'est pas avec moi », cependant qu'une autre aidante prend conscience, « petit à petit », qu'elle n'est « pas indispensable ». Mieux-être des aidés et mieux-être des aidants peuvent ainsi se conjuguer lors de ces respirations, qui leur permettent probablement aussi d'apprivoiser la séparation.

Caroline Helfter

Notes

(1)  Voir L'aide aux aidants : l'apport de la recherche médico-sociale - Actes du colloque organisé le 19 septembre 2003 par la Fondation Médéric-Alzheimer - ASH n° 2344 du 30-01-04.

(2)  Voir ASH n° 2416 du 15-07-05.

(3)  Voir Accompagner les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés : donner du sens aux pratiques, par Marie-Jo Guisset-Martinez - Fondation Médéric-Alzheimer - 2004.

(4)  Voir ASH n° 2439 du 20-01-06.

(5)  Et dont les enseignements ont été présentés lors de la journée d'étude sur « L'accueil de jour : mieux construire les projets pour mieux accompagner les personnes », organisée le 31 janvier à Lyon par l'Uriopss Rhône-Alpes et la Fondation Médéric-Alzheimer - Uriopss : 259, rue de Créqui - 69422 Lyon cedex 03 - Tél. 04 72 84 78 10.

(6)  Voir leur contribution, « La maladie d'Alzheimer : les personnes malades et leurs aidants » in Vieillir au XXIe siècle. Une nouvelle donne - Ed. Universalis - 2004.

(7)  Voir sa contribution, « La réticence des aidants familiaux à utiliser les services gérontologiques » in Alzheimer. L'aide aux aidants - Ed. Chronique Sociale - 2004.

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