Dans une circulaire du 26 février d' « application immédiate », le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, et son homologue de la Justice, Pascal Clément, détaillent, à l'attention des parquets et des préfets (1), les conditions de la régularité des interpellations des étrangers clandestins, souvent « sources de difficultés procédurales et de risques de contentieux particuliers pour les services des étrangers des préfectures » (sur les réactions associatives, voir ce numéro). Le texte rappelle du reste, en préambule, que la régularité de ces opérations conditionne la mise en œuvre, jusqu'à son terme, de la procédure d'éloignement du clandestin, et revient en détail sur les quatre types d'interpellations, rappelant pour chacun le sens de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Les « interpellations sur la voie publique », qui interviennent à la suite d'un contrôle de titre de séjour effectué par des officiers de police judiciaire (OPJ), sont celles qui, aux yeux des ministres, « présentent le moins de difficulté ». Pour mémoire, les OPJ peuvent demander à toute personne de nationalité étrangère les documents qui l'autorisent à circuler ou à séjourner en France. Problème : comment apprécier la qualité d'étranger d'une personne ? La circulaire indique que les officiers doivent se fonder sur des éléments objectifs, « déduits des circonstances et extérieurs à la personne même de l'intéressé ». La jurisprudence de la Cour de cassation évoque à cet égard des « signes objectifs d'extranéité ». La Haute Juridiction considère par exemple que l'usage d'une langue étrangère n'en est pas un. A l'inverse, est considéré licite le contrôle d'identité d'étrangers occupant sans titre un bâtiment et revendiquant publiquement l'irrégularité de leur situation administrative.
Les interpellations au guichet d'une préfecture apparaissent plus délicates aux yeux des ministres. Des « difficultés contentieuses » peuvent en effet survenir, notamment lorsque la préfecture convoque, pour un examen de sa situation, un étranger auquel un refus de séjour voire un arrêté de reconduite à la frontière a été notifié. La circulaire s'attarde en particulier sur la question de la « loyauté » de la convocation et demande aux préfets de « proscrire des motifs de convocation ambigus évoquant une régularisation de situation administrative ». Elle propose au passage un modèle dans l'une de ses annexes. Nicolas Sarkozy et Pascal Clément ne voient en revanche aucune difficulté particulière dans l'interpellation d'un étranger se présentant de lui-même aux guichets de la préfecture afin de déposer une nouvelle demande de titre de séjour, dans la mesure où le dépôt d'une nouvelle requête ne fait pas obstacle à la prise d'un arrêté de reconduite à la frontière et au placement éventuel de l'intéressé en rétention.
Les interpellations effectuées au domicile de la personne sont, pour leur part, sources d'un contentieux important. La circulaire rappelle à cet égard la définition du domicile retenue par la Cour de cassation, étant entendu que cette notion limite les possibilités d'intervention des forces de l'ordre. Il s'agit non seulement du « lieu où une personne a son principal établissement » mais encore de celui « où, qu'elle y habite ou non, elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux ». A titre d'exemples, le siège d'une association, un véhicule automobile ou un atelier artisanal et industriel ne sont pas considérés comme des domiciles.
Cette notion de domicile ne coïncide pas nécessairement avec la distinction entre lieux privés et lieux publics. Ainsi, au sein même d'un établissement ouvert au public, il faut distinguer les espaces publics comme les halls d'accueil ou les salles d'attente, où des contrôles et des interpellations peuvent être effectués, et les espaces privés comme les chambres des patients ou les bureaux individuels du personnel, qui doivent être considérés comme des domiciles. La circulaire détaille, au-delà, les différentes hypothèses de « pénétration des enquêteurs dans le domicile » (dans le cadre d'une enquête préliminaire, d'une enquête de flagrance ou d'une commission rogatoire) et la marche à suivre selon les cas.
S'agissant des interpellations dans un logement-foyer (foyer de travailleurs migrants, résidence sociale...) ou un centre d'hébergement (centre d'hébergement et de réinsertion sociale, centre d'accueil pour demandeurs d'asile...), les ministres demandent aux préfets d' « inviter les gestionnaires [de ces structures] à une vigilance particulière, notamment au regard des responsabilités qui leur incombent en matière de sécurité, envers les risques spécifiques liés à la présence de sur-occupants ou d' « activités informelles » dont certaines peuvent être illégales ou dangereuses ». Dans l'exercice de ces responsabilités, précisent encore les ministres, ces mêmes gestionnaires peuvent « et, dans certains cas, doivent » solliciter l'intervention des forces de l'ordre. Ces dernières peuvent se heurter à la protection due au titre du domicile. Là encore, il faut distinguer parties privatives (chambres et appartements) et espaces collectifs. Dans le premier cas, les forces de l'ordre doivent obtenir l'accord de l'occupant pour pouvoir venir contrôler la régularité de son séjour. Dans le second cas, elles doivent recevoir l'assentiment exprès du gestionnaire de la structure. Cette autorisation doit être réitérée pour chaque opération de contrôle. Autrement dit, il ne peut y avoir d'autorisation permanente donnée aux services de police pour venir effectuer des contrôles dans un établissement.
Nicolas Sarkozy et Pascal Clément se veulent pressants. Préfets et procureurs sont ainsi conviés à réunir, dès réception de la circulaire, les responsables départementaux concernés par les directives contenues dans ce texte (comme le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales), « afin de les sensibiliser à la nécessité d'accroître de manière significative le nombre d'interpellations d'étrangers en situation irrégulière ». Ils devront également rencontrer « avant le 10 avril » les gestionnaires des lieux d'accueil des étrangers afin de fixer les modalités de mise en œuvre des orientations de la circulaire les concernant. Enfin, les procureurs devront rendre compte du travail accompli « pour le 10 octobre ».
(1) Les premiers sont concernés dans la mesure où la constatation et la poursuite du délit de séjour irrégulier relèvent de leur compétence. Quant aux seconds, il leur incombe de faire cesser l'infraction en prononçant un arrêté de reconduite à la frontière.