Environ 263 000 pauvres de plus en un an ! Entre 2002 et 2003, la pauvreté monétaire, qui diminuait depuis l'an 2000, a recommencé à augmenter. Elle touchait 3,7 millions de personnes à la fin 2003, soit 6,3 % de la population, contre 5,9 % un an plus tôt. Et cela, en plaçant le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian, selon le critère traditionnellement retenu en France, soit à 645 € de revenu mensuel pour une personne seule. Si, selon les standards européens, la barre est placée à 60 % (774 €), on décompte 7 millions de personnes pauvres, soit 12 % de la population, taux qui reste, celui-ci, stable par rapport à 2002. Un autre indicateur, celui de la « pauvreté ancrée dans le temps », repart à la hausse en 2003, alors qu'il diminuait depuis 1997.
L'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, qui livre ces chiffres dans son quatrième rapport (1), note qu'il s'agit non seulement d'un retournement par rapport aux années précédentes, mais aussi d'une « inflexion » par rapport à la tendance de diminution de la pauvreté enregistrée depuis 1970. Tout indique que l'année 2004 ne devrait pas être plus favorable, avec le maintien d'un taux de chômage à un niveau élevé, le durcissement des règles d'indemnisation et l'augmentation du nombre d'allocataires des minima sociaux (2).
La pauvreté frappe inégalement selon le type de ménage, l'âge et le sexe. Les personnes seules et les familles monoparentales sont plus durement touchées. Les femmes sont légèrement surreprésentées parmi les pauvres, de même que les moins de 25 ans. Tout cela est, hélas, classique. Ce qui l'est moins, ce sont les indices et les interrogations qui émergent sur le retour de la pauvreté parmi les personnes âgées, surtout celles qui vivent seules.
Une note plus optimiste, cependant : la pauvreté mesurée en conditions de vie (restrictions de consommation, difficultés de logement, retards de paiement...) continue de diminuer en 2003 et en 2004. A l'échelon européen, la France fait moins mal que ses homologues, avec son taux de 12 % alors que la moyenne des 15 comme des 25 se situe à 15 %. Cela, sous l'effet des transferts sociaux, qui jouent un rôle plus important dans l'Hexagone que dans la plupart des pays membres de l'Union.
La pauvreté n'a pas qu'une dimension monétaire. Elle se traduit par de multiples difficultés d'accès aux droits fondamentaux, qu'il s'agisse de s'alimenter, de se soigner ou de se loger, rappelle. Le rapport revient notamment sur les liens complexes entre pauvreté, chômage et emploi, en insistant de nouveau sur le phénomène des « travailleurs pauvres » (3), lié au développement de l'emploi « de mauvaise qualité et/ou à faible rémunération ». Autre caractéristique : la concentration accrue des phénomènes de chômage. Entre 1975 et 2002, la part des ménages dans lesquels toutes les personnes susceptibles de travailler ont un emploi progresse de 57 à 68 % tandis que la proportion des ménages où personne ne travaille a presque doublé en grimpant de 6,3 à 12,2 %. Autant de phénomènes qui ne sont pas seulement liés à la conjoncture mais aussi aux politiques menées. Ce sont toujours les moins qualifiés parmi les jeunes, les chômeurs et les travailleurs qui ont le moins accès à la formation et à la validation des acquis. De plus, le nombre de bénéficiaires de minima sociaux accédant à un contrat aidé est passé de 222 000 en 1998 à 137 000 en 2004, alors que, même s'ils ne débouchent pas forcément sur une insertion durable dans l'emploi, ces contrats permettent souvent une nette amélioration des conditions de vie. Des corrections successives ont supprimé les obstacles financiers au retour à l'emploi, reconnaît l'observatoire, mais c'est pour rappeler à son tour l'importance de l'accompagnement des personnes les plus en difficulté pour estomper les autres obstacles, de santé, de transports, de garde d'enfants...
Le rapport consacre aussi tout un chapitre à la dimension territoriale d'une pauvreté qui apparaît toujours plus urbaine. Il examine aussi la situation des départements d'outre-mer, où la pauvreté « est à la fois plus étendue et plus diffuse ».
Enfin, revenant sur le thème essentiel de son premier rapport (4), l'observatoire rappelle les limites des indicateurs de pauvreté. D'abord, parce qu'ils prennent mal en compte les « populations les plus en difficulté ou marginales » comme les personnes sans abri ou hébergées dans des centres, foyers, prisons, et même en hôpitaux et maisons de retraite, soit 2 % de la population, qui se situent parmi les ménages les plus pauvres. Ensuite, parce qu'ils ne permettent pas de cerner les trajectoires des individus touchés et rendent difficilement compte du caractère temporaire ou, au contraire, permanent ou récurrent des situations de pauvreté. Ils peinent en outre à traduire le vécu des personnes concernées. Dernier défaut, grave si l'on souhaite que les politiques publiques soient plus réactives : la lenteur des remontées statistiques, notamment des données fiscales, qui ne permet de faire le point début 2006 que sur la situation de 2003...
Dans l'immédiat, l'observatoire propose de retenir 11 indicateurs relatifs à la pauvreté et à l'exclusion dont les « délais de production » devraient pouvoir être nettement améliorés. Objectif repris par le ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, et par sa ministre déléguée, Catherine Vautrin, à qui le rapport a été discrètement remis le 22 février, et qui souhaitent « une évaluation de l'action publique en temps réel ».
M.-J.M.
(1) Le rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, 2005-2006 - Disponible sur
(2) Voir ASH n° 2435 du 23-12-05.
(3) Il soulignait déjà ce phénomène dans son précédent rapport - Voir ASH n° 2355 du 16-04-04.
(4) Voir ASH n° 2190 du 24-11-00.