Une femme, seule titulaire de l'autorité parentale sur ses deux enfants, dont la filiation paternelle n'est pas établie, peut-elle demander la délégation, totale ou partielle, de cette autorité à la compagne avec laquelle elle vit ? Pour la première fois, la Cour de cassation était appelée à se prononcer sur le sort des couples homosexuels élevant ensemble des enfants, dans une affaire où une mère, qui vivait avec son amie depuis 1989 et avait conclu avec elle un pacte civil de solidarité en 1999, invoquait, au bénéfice de cette dernière, le premier alinéa de l'article 377 du code civil.
Selon ce texte, inséré par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, « les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l'exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l'exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l'aide sociale à l'enfance ». Pour la requérante, les circonstances l'exigeaient bien. En effet, astreinte professionnellement à de longs trajets quotidiens, elle courait, selon elle, le risque d'un accident qui pouvait la placer dans l'incapacité d'exprimer sa volonté et priver du même coup sa partenaire de sa capacité à tenir un rôle éducatif à l'égard de ses deux enfants, cette dernière n'ayant aucun droit sur eux.
D'abord déboutée de sa demande en première instance, l'intéressée a vu la cour d'appel d'Angers lui donner gain de cause. A son tour saisie par le procureur général, la Haute Juridiction considère que l'article 377, alinéa 1er du code civil, « ne s'oppose pas à ce qu'une mère seule titulaire de l'autorité parentale en délègue tout ou partie de l'exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que les circonstances l'exigent et que la mesure est conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant ».
En l'espèce, la Cour de cassation approuve l'appréciation faite par les juges d'appel qui ont délégué partiellement l'autorité parentale de la mère à son amie en se fondant sur le caractère « stable depuis de nombreuses années » et harmonieux de la relation existant entre elles, l'épanouissement et l'équilibre des enfants « bénéficiant de l'amour, du respect, de l'autorité et de la sérénité nécessaires à leur développement » et sur la circonstance que, en l'absence de filiation paternelle, un événement accidentel plaçant la mère dans l'incapacité d'exprimer sa volonté serait de nature à priver sa compagne de la capacité « de tenir le rôle éducatif qu'elle [a] toujours eu » auprès des deux enfants.
Par cet arrêt, qui fera sans doute jurisprudence, la Cour de cassation se démarque de la récente position de la mission d'information sur la famille et les droits de l'enfant de l'Assemblée nationale, qui avait refusé toute avancée en faveur de l'homoparentalité (1). Elle donne aussi pleine force au principe de « l'intérêt supérieur de l'enfant ».
(1) Voir ASH n° 2441 du 3-02-06.