Il est urgent de prendre la mesure du phénomène et de trouver des solutions pour briser la véritable « omerta institutionnelle » face aux mécanismes d'exclusion des jeunes issus de l'immigration. Telle est la conclusion d'une intéressante étude qualitative sur l'insertion professionnelle des apprentis français issus de l'immigration maghré-bine, africaine ou « domienne », lancée, à la demande de l'Assemblée des chambres françaises du commerce et de l'industrie, de la direction de la population et des migrations et du Fasild, sous la direction de la consultante Nora Barsali (1). 70 entretiens approfondis ont été menés dans cinq centres de formation d'apprentis (CFA) de tous métiers et de tous niveaux (du CAP à bac + 5).
Aucun doute pour les jeunes interviewés : les discriminations raciales à l'embauche existent, ils les vivent, et souvent plus durement que ce qu'ils avaient imaginé.
Du côté des responsables des CFA, le premier réflexe est le déni, en tout cas la minimisation et parfois la surprise quant à l'intérêt porté à un phénomène « qui fait partie du paysage ». Une partie des référents disculpe les entreprises, voire adhère à leur discours, au nom d'expériences antérieures malheureuses ou d'exigences supposées des clients. Comme recruteurs ou intermédiaires, certains responsables de centres co-produisent de la discrimination, soulignent les chercheurs. Les jeunes sont souvent stigmatisés d'entrée par leur origine, par exemple identifiés comme « musulmans » même s'ils ne le sont pas. Beaucoup n'ont pas conscience du caractère illégal et absurde de ces pratiques. Quelques-uns, par « réalisme », poussent à la recherche de solutions communautaristes. Très peu, au total, envisagent des solutions face à un phénomène rarement abordé collectivement.
Du côte des entreprises (du moins de celles qui ont accueilli un apprenti issu de l'immigration), le premier réflexe est aussi de nier les discriminations. Quitte ensuite à reconnaître qu'elles existent couramment ailleurs, mais avec l'impression que la situation tend à s'améliorer. Perception contredite par les chargés de relations avec les entreprises au sein des CFA qui jugent, eux, que la situation stagne ou régresse.
Une politique volontariste est indispensable si l'on ne veut pas que les jeunes rejettent la France et ses valeurs égalitaires, perçues comme mensongères, conclut l'étude. Pour elle, il faut d'abord reconnaître l'existence des pratiques discriminatoires et « casser les routines ». Puis envisager une « sur-promotion de l'égalité des chances afin de rattraper le retard ». Pour cela, il faut « prendre en compte les différences de situation afin de réaliser l'égalité en droit et l'égalisation effective des opportunités ». Les dix propositions qui suivent s'adressent aux CFA, mais pourraient sans doute inspirer bien d'autres organismes de formation ou de placement.
A signaler une autre étude, plus générale, du Centre d'études et de recherches sur les qualifications, qui conclut à la réalité d'une barrière à l'entrée sur le marché du travail pour tous les jeunes issus d'une immigration visible, quels que soient leur niveau de formation et l'état du marché du travail (2).
(1) « L'égalité des chances : un défi à relever dans l'apprentissage » - Juin 2005 - Contact : Nora Communication - 147-149, rue Saint-Honoré - 75001 Paris.
(2) « Jeunes issus de l'immigration. Une pénalité à l'embauche qui perdure » - Bref n° 226 - Janvier 2006 - Disponible sur