Au moment où la médiocrité de l'état des prisons françaises est dénoncée par le Conseil de l'Europe (ce numéro), et à peine quelques semaines après la Cour des comptes qui a fustigé la façon dont l'administration pénitentiaire assume sa mission de garde et de réinsertion (1), le Conseil économique et social critique, à son tour, dans un avis et un rapport adoptés le 22 février, les conditions de la réinsertion socioprofessionnelle des détenus (2). Et dessine les contours de son ambition pour la politique pénale : « faire que la détention ne soit pas un temps inutile, un temps vide, et permettre à la personne détenue de se reconstruire et, à sa sortie, de s'assumer comme élément solidaire de la communauté des hommes et des femmes ».
Sur les constats, Donat Decisier, rapporteur pour la section des affaires sociales, dont il assure également la vice-présidence, et membre du groupe de la CGT, rejoint l'analyse de la Cour des comptes. Il note ainsi que le souci de la réinsertion s'efface trop souvent devant les impératifs de sécurité, alors même que la population accueillie en prison est très désocialisée et pose « de nouveaux défis en termes de santé publique ». De fait, la délinquance sexuelle est devenue la première cause d'incarcération en France de sorte « qu'une frange importante de la population carcérale nécessite une prise en charge adaptée aux plans sanitaire et socio-judiciaire ». Le nombre de détenus atteints de troubles mentaux ne cesse par ailleurs d'augmenter, transformant « progressivement [les] établissements pénitentiaires en "prison-asiles " ». En outre, les moyens budgétaires ne sont pas à la hauteur des enjeux, notamment en ce qui concerne les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).
Les sages estiment en outre qu'il n'y a pas de fatalité « qui conduirait inéluctablement de la pauvreté à la prison » et proposent d'agir sur plusieurs fronts, notamment en intensifiant les politiques de lutte contre les exclusions et de prévention de la délinquance. Ils préconisent également de prendre en compte les problématiques spécifiques de certains publics, souhaitant par exemple « mettre un terme au mouvement qui conduit au transfert de la prise en charge des malades mentaux vers les établissements pénitentiaires ». Ce transfert résultant des « défaillances du système psychiatrique », ils estiment nécessaire « la mise en place d'une véritable politique de santé mentale ».
Pour faire de la réinsertion une « mission réellement prioritaire », le conseil prône, par ailleurs, de mieux lutter contre la récidive par un recours accru aux mesures d'aménagement de peine. Ce, d'autant plus que leur coût est moindre que celui de la détention. A cette fin, les sages préconisent le renforcement des moyens et la constitution de SPIP pluridisciplinaires auxquels des surveillants et des psychologues participeraient, aux côtés des conseillers d'insertion et de probation. Faire de la prison « une solution de dernier recours », instaurer un numerus clausus pour éviter la surpopulation carcérale (3) et considérer le détenu « en tant qu'être humain et sujet de droit » sont aussi autant de pistes tracées par le conseil pour renforcer la mission de réinsertion de l'administration pénitentiaire.
L'instance souhaite également transformer la détention en un temps utile pour la réinsertion socioprofessionnelle. A l'instar de la Cour des comptes, elle relève que le taux d'emploi des détenus est bas et variable selon les établissements, que le droit du travail y est quasi inexistant et s'accompagne d'une faiblesse des rémunérations et d'une couverture sociale incomplète (exclusion de l'assurance chômage). Dès lors, « un certain nombre de détenus se trouvent réduits à une inactivité subie, toute la journée, ce qui contribue à accroître leur précarité sociale. Cette situation les empêche également de participer à l'indemnisation des victimes et de s'engager dans une démarche active de réinsertion. » Aussi le conseil propose-t-il, par exemple, de relever sensiblement le seuil d'indigence (4) et de mettre en place une commission ad hoc chargée de déterminer les conditions d'attribution d'un minimum de ressources en faveur des détenus indigents. Il suggère également l'élaboration, pour chaque détenu, d'un projet d'exécution de peine permettant de bâtir « un parcours cohérent et individualisé de réinsertion » combinant des activités de travail, d'enseignement, de formation professionnelle et une préparation à la sortie. Autres pistes : renforcer l'attractivité du travail pénitentiaire pour les entreprises en adoptant des « dispositions fiscales ou financières appropriées » permettant de compenser l'écart de productivité avec l'extérieur, à l'instar de celles dont bénéficient les entreprises d'insertion, ou encore généraliser un contrat d'engagement comparable au contrat de travail mais aménagé en fonction des caractéristiques du milieu carcéral.
Dernier axe : mieux préparer la sortie de prison par une augmentation des moyens humains - assortie d'un renforcement du rôle des SPIP en matière de coordination des acteurs internes à l'administration pénitentiaire dans ce cadre -, mais également par le développement de partenariats entre institutions, collectivités territoriales et associations pour assurer « une continuité entre le milieu fermé et le milieu ouvert ».
Au final, le conseil réclame une loi pénitentiaire, « ce qui n'exclut pas la mise en oeuvre sans délai des mesures ne nécessitant par un support législatif ».
S.A.
(1) Voir ASH n° 2440 du 27-01-06.
(2) Les conditions de la réinsertion socioprofessionnelle des détenus en France - Rapporteur : Donat Decisier - Avis et rapport disponibles sur
(3) Sur la campagne associative et syndicale lancée pour l'instauration d'un numerus clausus en prison, voir ASH n° 2438 du 13-01-06.
(4) Sont définis comme « indigents » les détenus dont le solde du compte nominatif pendant le mois courant et le mois précédent est inférieur à 45 €.