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Dépistage précoce des difficultés des enfants : attention aux amalgames

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Derrière la volonté affichée par le gouvernement de développer le repérage précoce des troubles du comportement qui peuvent affecter les enfants (1), que s'agit-il vraiment d'identifier et de traiter : des souffrances ou des déviances ? Pour Laurent Ott, éducateur et enseignant, docteur en philosophie, la confusion règne, et les véritables problèmes sont laissés de côté.

« Comment ne pas s'inquiéter de la conjonction récente de différentes mesures et initiatives susceptibles de porter préjudice au statut, aux droits des enfants et à leur possibilité d'évoluer ou de changer ?

Un récent rapport de l'Inserm (2) semble malheureusement avoir apporté une "caution scientifique" - très critiquée - à un ensemble d'annonces et de mesures politiques inquiétantes portant sur le repérage précoce des enfants dans les structures de garde et éducatives : le ministre de l'Intérieur, en accord avec l'Education nationale, annonçant lors d'une visite de collège à Montbéliard (Doubs) un "plan contre la violence scolaire" qui entend banaliser la présence de la police dans les établissements ; le même proposant également un "repérage dès le plus jeune âge de ceux dont le comportement commence à déraper " et un "carnet qui suivra l'élève de l'enfance jusqu'à sa vie adulte " ; l'annonce par le Premier ministre, suite aux "nuits de novembre" 2005, de la création d'un contrat de responsabilité parentale (3), destiné à "suivre" la famille de certains enfants repérés précocement et éventuellement à la pénaliser si elle ne coopère pas ;d'incessants appels de politiciens, tels le député Jacques-Alain Benisti (4), à dépister au plus tôt les troubles et inadaptations dans les écoles sous couvert de préoccupations relatives à la santé mentale ; la possibilité réglementaire de mise en œuvre, dès l'école élémentaire, de procédures de dépistage généralisées, telles que celles rendues possibles par la circulaire de l'Education nationale du 1er décembre 2003 (5), au moyen de tests faciles à faire passer à un grand nombre d'enfants.

On ne saurait cautionner une vision de la prévention réduite à celle de la délinquance. Si la souffrance et les difficultés des enfants nécessitent en effet une attention et une écoute prioritaires, à tout âge, ce n'est pas parce qu'elles seraient des signes avant-coureurs de risques de délinquance mais parce qu'elles sont tout simplement inacceptables et qu'elles doivent recevoir une réponse adaptée au temps de l'enfant et respectueuse de son environnement naturel et, au premier chef, de sa famille.

Il me paraît nécessaire de dénoncer aussi un ensemble de mesures annoncées qui se fondent sur de graves confusions entre difficultés, symptômes, pathologies et délinquance. Que s'agirait- il d'identifier et éventuellement de "traiter " : des signes prédictifs, des conduites ou des pathologies ? Des souffrances ou une déviance ?

Une confusion lourde de conséquences

Comment également ne pas condamner une confusion qui devient habituelle entre les concepts de "repérage ","traitement" et "pénalisation précoce ", ou encore entre ceux de "prévention" et de "répression " ?De tels amalgames sont en effet lourds de conséquences pour les enfants qui vont en faire les frais et dont on sait à l'avance, par toutes sortes d'études sociologiques, qu'ils appartiennent massivement aux milieux sociaux les plus faibles économiquement et les plus défavorisés.

S'il est vrai que de grands progrès restent à accomplir pour de nombreux enfants qui vivent des situations difficiles et qui peuvent manifester de la souffrance, de l'angoisse ou du désarroi dès leur plus jeune âge, encore faut-il rappeler que les réponses éducatives "naturelles" à ces difficultés sont loin d'être réunies à ce jour.

La médecine scolaire est actuellement complètement sinistrée et n'est plus en mesure d'exercer un véritable suivi de tous les élèves. Les équipes de soutien psychologique à l'école (les réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficulté [RASED]) ont continué ces six dernières années à voir leurs moyens réduits, leurs secteurs étendus, au point, dans de nombreux territoires, de ne plus pouvoir assurer qu'un suivi administratif sans soutien direct auprès des enfants qui en ont besoin.

Les centres médico-psychologiques et les centres médico-psycho-pédagogiques, compétents et expérimentés en matière de suivi des enfants en difficulté psycho-socio-affective, sont à ce jour débordés. Dans ces conditions, les programmes de repérage systématique risquent fort de ne pas aboutir à de véritables aides concrètes pour les enfants et les familles.

On doit s'inquiéter aussi du devenir et de l'exploitation de toutes ces informations collectées, si personnelles, si intimes, sur les enfants, qui vont être à terme centralisées (ce sera possible avec l'outil de gestion centralisé "Base Elèves" mis en place dès 2006 dans les écoles primaires, par exemple).

On sait déjà que ces informations "sensibles" seront sans aucun doute accessibles aux maires (devenus incontournables dans le cadre des programmes de réussite éducative) et aux administrations. Comment, dès lors, peut-on assurer qu'elles ne déboucheront pas sur des traitements discriminatoires et ne véhiculeront pas une image péjorative et préjudiciable des enfants concernés au risque de compromettre leur socialisation et leur éducation ?

Les méthodes envisagées pour "dépister" les difficultés précoces des enfants, les campagnes de repérage "de masse ", par le biais de tests, posent aussi problème en elles-mêmes. Elles sont déconnectées des relations que les enfants entretiennent avec leur famille et les professionnels proches et renvoient à une politique déshumanisée, et à terme déshumanisante, de collecte d'informations relevant du "fichage ".

Les enfants ont le droit de recevoir des soins qui les reconnaissent, eux comme leurs parents, comme des acteurs indispensables et qui ne doivent pas concourir à ternir leur image.

De nombreuses causes des difficultés sociales et personnelles qui les affectent sont aujourd'hui largement connues et ne nécessitent pas de dépistages coûteux. Elles restent tout simplement sans réponse : les problèmes de mal-logement, de chômage et de précarité constituent aujourd'hui de véritables causes de mal-être, de souffrances et de risques éducatifs pour de très nombreux enfants pauvres, dont tous les rapports nous indiquent qu'ils sont de plus en plus nombreux.

C'est sur de tels objectifs sociétaux de lutte contre la misère des enfants, et non pas contre les enfants pauvres, que devrait se pencher la puissance publique. »

Laurent Ott Contact : 28, rue des Marguerites -91160 Longjumeau - E-mail :laurent.ott@wanadoo.fr.

Notes

(1)  Voir la pétition lancée par des professionnels de la santé, ce numéro et ASH Magazine n° 13.

(2)  Voir ASH n° 2423 du 30-09-05.

(3)  Voir l'analyse de ce contrat par l'Association nationale des assistants de service social, ce numéro.

(4)  Voir ASH n° 2433 du 9-12-05.

(5)  Voir ASH n° 2338 du 19-12-03.

TRIBUNE LIBRE

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