« La démarche des premiers psychologues de l'association a été de garder l'approche psychanalytique, qui constituait un langage commun, et de l'adapter aux personnes vulnérables : celles qui n'avaient plus de mots pour décrire leurs maux. D'où le choix de recourir à des ateliers plutôt qu'à des entretiens pour laisser la souffrance s'exprimer. » Telle est, explique Béatriz Alzorriz, psychologue et chef de service à l'antenne parisienne de l'Association pour la prévention, l'accueil, le soutien et l'orientation (APASO) (1), la philosophie qui a présidé au projet.
En 1989, au lendemain de la loi qui institue le revenu minimum d'insertion (RMI), quelques psychologues, parmi lesquels la Chilienne Erika Lethellier, constatent que rien n'a été envisagé pour soutenir les personnes qui bénéficieront de cette allocation. Pour pallier ce manque, ils décident de créer une structure. L'APASO voit le jour à Massy, dans l'Essonne, et se donne pour mission d'accueillir les personnes en situation de précarité afin de leur redonner confiance et de les inviter à renouer des liens sociaux. La structure regroupe des psychologues, des formateurs et des animateurs, qui travaillent avec les services sociaux. Dès le début, il est envisagé d'étendre l'activité au-delà des seuls titulaires du RMI pour s'adresser à ceux qui rencontrent des difficultés personnelles, familiales, sociales ou professionnelles...
Très vite, l'APASO multiplie les points d'entrée. Pour offrir un lieu de réflexion neutre sur les questions d'éducation, un espace famille est créé. Puis, en 1999, sous l'impulsion de son nouveau directeur, Marc-Henri Ciceri, l'association intègre des juristes et crée un service d'accès au droit. « Il y a souvent un enchevêtrement des difficultés, explique Caroline Bovero, directrice adjointe. Les problèmes juridiques s'ajoutent aux problèmes psychologiques, éloignent encore d'un retour à la vie active et finissent par annihiler toute demande d'aide. En amenant les personnes en difficulté à se réapproprier leurs droits et à mieux comprendre leurs obligations, nous contribuons à les rendre plus autonomes. Vu sous cette angle, l'accès au droit est aussi un moteur d'insertion. »
En 2003 enfin, l'APASO ouvre une antenne à Paris, dans le XIVe arrondissement et, pour s'inscrire dans le plan départemental d'insertion (voir encadré ci-dessous), intègre, à côté des juristes et des psychologues, des travailleurs sociaux : deux assistantes sociales et une conseillère en économie sociale et familiale.
Tout en conservant la multidisciplinarité qui en fait un lieu d'accueil global, l'antenne parisienne s'inscrit donc dans le dispositif de prise en charge des titulaires du RMI. Et se fait reconnaître peu à peu comme l'association qui accueille les personnes souffrant d'un problème psychologique. Bientôt, les espaces insertion, les centres d'action sociale de la ville de Paris (CASVP) et les services sociaux polyvalents lui adressent des allocataires. « Nous sommes souvent la structure de la dernière chance, souligne Nelly Mounier, assistante sociale, chef de service. C'est pourquoi nous misons sur l'accueil et nous laissons à la personne une totale liberté pour se présenter... Le décalage est d'ailleurs fréquent entre les informations transmises par les services sociaux et la première impression laissée par une personne reçue. » La prise de contact est effectuée en binôme. Dès le premier entretien, un psychologue accompagne le travailleur social. « Cette configuration permet souvent de dédramatiser la situation », explique Béatriz Alzorriz. Si l'allocataire accepte une aide psychologique, il gardera les deux référents. Si, à l'inverse, la présence du psychologue est vécue comme trop « confrontante », seul le travailleur social interviendra. Mais globalement cette aide est bien perçue : « Sur environ 200 personnes, seules deux ont refusé de me voir, constate la responsable de l'antenne parisienne. Ces personnes avaient séjourné en hôpital psychiatrique et rejetaient tout ce qui avait une coloration psy. »
Le système de double référence approuvé par l'usager, un cheminement personnel lui est proposé, composé d'entretiens individuels et d'une participation aux ateliers : recherche d'emploi, réactualisation des connaissances, expression-découverte, yoga-sophrologie, revue de presse, théâtre ou simplement convivialité, ce dernier atelier étant ouvert à tous. « Car l'objectif premier est la resocialisation », explique Caroline Bovero. « Le groupe est essentiel pour se réinsérer. Ici, nous cherchons le déclic en construisant un lieu dans lequel l'autre se sent en sécurité », ajoute Béatriz Alzorriz. Reste qu'il est difficile, pour des personnes qui se repèrent mal dans le temps et l'espace, de se déplacer, de trouver l'association et, encore plus, de participer aux groupes. Ce qui n'empêche pas les bonnes surprises : par exemple, les progrès réalisés par ce jeune homme maladivement timide, qui, en six mois, a retrouvé le chemin de l'emploi, à partir du moment où il est sorti de sa carapace.
A Paris, tous les ateliers sont placés sous la responsabilité d'un psychologue. A l'exception du prochain portant sur le budget, qui sera animé par la conseillère en économie familiale et sociale... Chaque atelier a une fonction précise. « L'atelier connaissances vise par exemple à réconcilier les gens avec leur niveau scolaire, explique Nelly Mounier. Nous utilisons également la loi, parce que travailler avec le réel, c'est aussi faire un pas vers l'insertion. » Un accompagnement qui se fait en douceur puisque les juristes, comme les autres professionnels de l'association, prennent d'abord en compte la souffrance des personnes : « ils ne les brusquent pas et avancent à leur rythme ».
En 2004, l'antenne parisienne a signé 240 contrats d'insertion avec les 246 allocataires qu'elle a reçus. Comme ailleurs, ces contrats supposent des démarches de la part des usagers. « Mais ici, elles ne sont pas toujours, et d'emblée, orientées vers l'emploi, explique Nelly Mounier. Dans un premier temps, il peut s'agir de démarches sociales ou familiales. » Les contrats sont alors renouvelés, compte tenu de la fragilité psychologique ou même physique des personnes qui fréquentent l'association. « Parfois, l'objectif est le même. Mais nous apportons des informations complémentaires au contrat. L'idée n'est pas de raconter la vie de ces personnes mais de prouver qu'elles peuvent continuer à bénéficier du RMI. »
Que dire du travail réalisé en binôme par un travailleur social et un psychologue, tel qu'il est pratiqué à l'APASO ? La responsable du service social salue l'appui qu'apportent au quotidien les psychologues. « A Paris, la détresse est grande et les travailleurs sociaux ont de moins en moins de pouvoir, notamment en termes d'aide au logement. Ils se sentent démunis. Le travail avec un psychologue devient donc incontournable... » Cette collaboration suppose néan-moins beaucoup de temps de coordination, d'adaptation et de réflexion. « Les travailleurs sociaux sont formés dans une logique d'autonomie. Les cours de droit et de psychologie doivent leur permettre d'intervenir seuls. Dans un premier temps, il faut donc se défaire de l'impression d'avoir un superviseur. »
Le temps consacré aux réunions est également important. « Il est nécessaire pour une orientation pertinente du groupe de travail et pour une bonne pratique professionnelle », explique Beatriz Alzorriz. Mais il alourdit des emplois du temps déjà bien chargés.
Parmi les difficultés, Caroline Bovero évoque le cas des personnes envoyées à l'association et dont le problème relève davantage de la psychiatrie. Pour elles, l'allocation aux adultes handicapés apparaît plus pertinente que le revenu minimum d'insertion. « Il y a un vrai manque pour ces allocataires, qui très souvent sont dans le déni par rapport à leur maladie, reconnaît Nelly Mounier. Avec eux, nous nous bornons à faire du lien. Mais il reste fragile et nous devons faire preuve de vigilance. La limite est de ne pas mettre en danger la structure ou les salariés. » « Tous les organismes rencontrent des difficultés de prise en charge des personnes souffrant de problèmes psychiatriques du fait du manque de structure appropriée, confirme Agnès El Majeri, chargée de mission au cabinet de Gisèle Stievenard, adjointe au maire de Paris pour la solidarité et les affaires sociales. Dans ce cas, l'action d'une association peut consister à demander la reconnaissance de travailleur handicapé et à obtenir l'allocation aux adultes handicapés. C'est aussi un mode de sortie du RMI. »
Corinne Manoury
A Paris, le plan départemental d'insertion réserve une place particulière aux associations. Choisies « pour une technicité plus pointue », comme l'explique Jacqueline Riom, en charge des relations avec les associations au bureau du RMI de la direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé (DASES), elles s'adressent à un public plus difficile à mobiliser : des allocataires pour lesquels on estime que la sortie du dispositif ne se fera pas en moins de 15 mois. Mais, comme toutes les autres structures (espaces insertion ou centres d'action sociale), les associations proposent un accompagnement global avec l'intervention d'assistants sociaux et de conseillers en économie sociale et familiale. Par ailleurs, en misant sur le soutien psychologique, l'APASO illustre une orientation nouvelle dans la politique d'insertion de la ville. La présence de psychologues est en effet encouragée dans toutes les structures car leur action est jugée positive. « Pour celles qui ont déjà fait ce choix pour accompagner des allocataires présentant des problèmes psychologiques, les chiffres de sortie du dispositif varient entre 19 et 34 % de leur file active moyenne, explique Agnès El Majeri, chargée de mission au cabinet de Gisèle Stievenard, adjointe au maire de Paris pour la solidarité et les affaires sociales. Compte tenu de la durée du suivi - au delà de un an - et de l'éloignement de l'emploi des personnes prises en charge par ces structures, le bilan est effectivement appréciable. Surtout dans une ville comme Paris, qui ne compte pas moins de 60 000 allocataires du RMI.
32 salariés répartis sur les deux sites de Massy et de Paris mettent en œuvre la philosophie d'accompagnement global et personnalisé de l'association dans diverses activités. Dans l'Essonne, à Massy, l'APASO a créé l'ADAV, un service d'accès au droit et d'aide aux victimes, dont les jeunes de 15 à 25 ans constituent un public privilégié. Dans ce cadre, les juristes interviennent régulièrement dans les missions locales et les espaces dynamique insertion. L'antenne parisienne a, quant à elle, créé en 2002 une fonction d'écrivain public : après avoir organisé des permanences à la mairie du XIVe arrondissement et à la maison de justice et du droit du même arrondissement, le juriste en charge de cette mission a ouvert un pôle mobile d'accès aux droits pour les personnes âgées dépendantes. Les projets ne manquent pas. L'APASO souhaite ainsi, à Paris comme à Massy, que les personnes reçues à l'espace famille puissent ensuite suivre un parcours d'insertion. L'organisation de colloques pourrait également devenir une activité récurrente, à l'exemple de celui qui s'est tenu au sein d'une mission locale sur le thème des discriminations.
(1) APASO : 50, rue de l'Ouest - 75014 Paris - Tél. 01 40 47 55 53 - E-mail :