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« Les services d'intérêt général sont partie intégrante du marché unique »

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Alors que le Parlement européen s'apprête à débattre le 14 février, en première lecture, de la directive relative aux « services dans le marché intérieur » (1), Vladimir Spidla, le commissaire européen à l'Emploi, aux Affaires sociales et à l'Egalité des chances, donne son sentiment sur ce texte, sur lequel il s'est jusqu'à présent peu exprimé. Il évoque également les autres dossiers qui sont aujourd'hui sur sa table, à commencer par la communication sur les services sociaux d'intérêt général.

Actualités sociales hebdomadaires : La directive « services » suscite des polémiques. Estimez-vous ce texte nécessaire ?

Vladimir Spidla : Je suis d'accord pour ouvrir le marché aux services. Je suis convaincu que le marché unique est un outil très social qui crée de la stabilité. Maintenant, le texte de cette directive a été conçu et proposé par la précédente Commission. Il y a certains problèmes auxquels il faut trouver une solution. Il faut équilibrer les règles, éviter le danger du dumping social. C'est notre mission principale, à la Commis-sion européenne, que de rechercher cet équilibre. Les services sociaux doivent-ils être intégrés dans le marché unique et dans le champ de la directive « services »  ?

- Pourquoi pas ? Si ce principe est correctement encadré, avec une certaine sé-curité, le marché unique peut réellement apporter une stabilité et une amélioration pour les services les plus importants. Ce n'est pas de l'idéologie que de dire cela. Le vieillissement démographique est un fait inéluctable. Il va falloir s'y adapter. Dans 20 ans, il y aura 31 millions de personnes très âgées. Et les services d'intérêt général pour répondre à des besoins de cette ampleur ne sont pas disponibles. Le budget public ne suffira peut-être pas. Il faudra bien alors chercher une combinaison des finances publiques et privées, de façon dynamique.

Mais les services sociaux ont une spécificité qui les place hors marché. N'est-ce pas dans cette optique que vous travaillez actuellement pour mettre au point une communication sur les services sociaux d'intérêt général ?

- Nous préparons effectivement une communication sur les services sociaux d'intérêt général. Notre souci est d'examiner la situation actuelle (2)  : ne pas faire de l'idéologie mais voir la réalité. Ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui les services d'intérêt général sont partie intégrante du marché unique. La Cour de justice européenne a été très claire sur ce point. Mais les services qui opèrent avec des financements publics en sont exclus. Il est clair aussi qu'il y a une spécificité, une originalité des services sociaux. Mais quand vous avez des services privés entièrement financés par les personnes privées, sont-ils ou non dans le marché ? Ce point reste en discussion.

Pour ma part, je souhaite surtout des services sociaux efficaces, dignes et qui permettent aux personnes de se sentir en sécurité et soutenues. Connaître l'organisation qui procure ce service est certes important, mais il faut être surtout sûr qu'elle sera capable d'apporter l'assistance nécessaire aux personnes dans le besoin. Notre souci est davantage celui du résultat. Il ne faut pas le nier : une certaine concurrence existe déjà pour certains services. Ce qu'il faut, c'est les améliorer et éviter une concurrence vers le bas. C'est « la » question fondamentale.

La solution ne passe-t-elle pas alors par une directive spécifique pour les services d'intérêt général ?

- Pourquoi pas ? On ne peut exclure aucune solution qui soit raisonnable. On va chercher des possibilités pour pouvoir évoluer dans l'avenir. La question reste ouverte. C'est notre devoir primordial d'agir sans préjugés.

La discussion sur la directive sur le temps de travail, qui vise à modifier les modalités de décompte des temps de garde et les dérogations individuelles à la durée maximale du temps de travail [

op out ], est-elle près d'aboutir ?

- Sur le premier point, les temps de garde, la plupart des ministres sont déjà tombés d'accord pour inverser la jurisprudence et adopter une nouvelle définition, excluant du temps de travail la période où le salarié est présent sur le lieu de travail mais inactif, comme l'avait proposée la Commission européenne (3). La question qui reste à régler est celle de l'opt out individuel. Au mois de décembre, au dernier Conseil des ministres de l'Emploi, on semblait très proche d'un accord. J'ai vu certains pays évoluer, changer de position. La France et la Suède ont fait une proposition de compromis qui n'est pas encore « la » solution mais une bonne base pour permettre d'avancer. Mais est intervenu un problème nouveau : savoir si les règles du temps de travail s'appliquent par personne ou pour chaque contrat. Il faut donc encore discuter car la modification de la directive est un tout, équilibré, qu'on ne peut scinder. Nous allons donc nous revoir en mars sur ce sujet.

Estimez-vous nécessaire d'avoir une politique d'immigration plus ouverte, voire de régulariser l'immigration illégale comme l'ont fait certains pays ?

- La migration fait partie de notre histoire et de notre réalité. Et, compte tenu des perspectives de lacuteévolution démographique, elle est même une nécessité. Son importance va donc croître. L'immigration, quand elle est maîtrisée, n'a pas de conséquences négatives. Regardez l'Espagne, où, malgré la présence d'une immigration importante, le taux de chômage a baissé de plus de la moitié en quelques années - de plus de 20 % à moins de 10 % - et la croissance économique atteint 3,5 %. Le problème de la société moderne est de maîtriser le mouvement (4). Il faut aussi se doter d'une politique dacuteintégration efficace. Seule une telle politique peut assurer que la future immigration puisse devenir une des réponses appropriées au défi démographique de l'Europe.

On a l'impression que les préoccupations sociales sont marginalisées actuellement au niveau européen ?

- On pouvait craindre effectivement que la politique sociale soit marginalisée. Mais - et c'est un résultat positif de la présidence britannique, qui a été à mon sens injustement critiquée -elle est aujourd'hui plus que jamais au cœur des politiques européennes. Le sommet d'Hampton Court en octobre a été décisif. L'Europe a approuvé un socle commun de valeurs. Et, en premier lieu, des valeurs sociales. Jamais cela n'a été aussi clairement dit. De même, le fonds d'ajustement pour les restructurations, que certains disaient impossible à créer (5), va pouvoir être mis en place et sera doté de 500 millions d'euros (sur sept ans), comme l'ont décidé les chefs d'Etat et de gouvernement au sommet de décembre dernier.

Justement, le cadre budgétaire tel que défini en décembre par les chefs d'Etat et de gouvernement pour 2007-2013 semble en forte baisse par rapport aux prévisions de la Commission (6). Cela aura-t-il des conséquences sur le budget social ?

- Nous devons encore l'analyser. Et il faut attendre l'accord entre le Parlement européen et les ministres avant de se prononcer définitivement. Mais, en l'état des chiffres, les ajustements sont marginaux par rapport à la proposition, les moyens sont à peu près les mêmes. Il y a une marge de flexibilité et de manœuvre de l'ordre de 10 %.

Quelles seront vos autres priorités dans les mois qui viennent ?

- Nous devons adopter cette commu-nication sur les services sociaux d'intérêt général, continuer d'œuvrer pour davantage de portabilité des retraites complémentaires (7), la libre circulation des travailleurs dans l'Union européenne. Il nous faut également mettre en place le nouveau Fonds social européen pour les sept années à venir et mener à bien un nouveau round de discussion dans le cadre de la méthode ouverte de coordination sur l'inclusion et la protection sociale (8), dont j'attends beaucoup. Nous voulons enfin examiner, dans un « livre vert », comment faire évoluer le droit du travail. Ce document abordera toutes les questions cruciales avec l'objectif d'ouvrir le débat : Quelle peut être l'évolution du mar-ché du travail ? Comment traiter le problème des faux indépendants ?Comment sécuriser le travail précaire ? Comment concilier vie familiale et vie professionnelle ? Quelle est l'évolution nécessaire en matière de santé et sécurité sur le lieu de travail ?, etc. Beaucoup de questions pour obtenir une photographie de la situation avant de déterminer comment agir de manière appropriée en utilisant tous les moyens de l'Union européenne. Sur ce point, comme sur le reste de mon travail, ma philosophie est toujours la même : on ne peut faire aucune action sans analyse. Je n'aime pas beaucoup décider en aveugle.

A vous écouter, on a l'impression cependant que vous êtes réticent à mettre en chantier de nouvelles directives en matière sociale ?

- Ce n'est pas tout à fait exact. Outre la proposition de directive sur la portabilité des pensions, je veux refondre les directives sur l'égalité des chances, relancer la directive sur le travail intérimaire qui donne des garanties aux travailleurs comme à la société. Avec 8 millions d'intérimaires en Europe, cette forme de travail n'est pas négligeable, puisqu'elle représente la population moyenne d'un Etat membre. Pour maintenir une société efficace et solidaire, dans un monde qui bouge rapidement, je pense a priori que tous les moyens sont bons, à condition d'être efficaces. Mais un texte ne suffit pas toujours à résoudre un problème. Par exemple, sur l'égalité entre hommes et femmes, nous avons un excellent texte qui est entré en vigueur il y a plus de 30 ans maintenant. Et, malgré cela, les discriminations persistent. C'est peut-être qu'il faut s'attaquer à ce problème autrement. Changer les comportements par exemple. Dans le livre du brave soldat Chweik, un classique de la littérature tchèque, l'infanterie attaque avec des baïonnettes, alors qu'il y a des microbes, ce qui n'est pas très efficace. En matière sociale, c'est la même chose, il faut toujours chercher les méthodes appropriées.

Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde

QUI EST VLADIMIR SPIDLA ?

Comme le dit lui-même Vladimir Spidla, 54 ans, « un "honnête" homme n'avait aucune carrière à faire dans le régime communiste de la Tchécoslovaquie ». C'est pourquoi, après un doctorat d'histoire et de préhistoire obtenu en 1976 à l'université Charles-de-Prague, il a exercé, jusqu'à la « révolution de velours », en 1989, divers métiers : ouvrier- dans une scierie, une industrie laitière et dans le bâtiment -, archéologue, conservateur de la nature. En 1991, il devient directeur d'un office régional de l'emploi. Il entre au parti démocratique social tchèque en 1992, et devient député à partir de 1996. Il préside alors le comité parlementaire chargé de la politique sociale et de la santé. En 1998, il entre au gouvernement comme vice-Premier ministre et ministre du Travail et des Affaires sociales. Il sera notamment chargé de nombreuses réformes délicates pour préparer l'adhésion à l'Union européenne. Il devient président de son parti en 2001 et est nommé au poste de Premier ministre un an plus tard. Il en démissionne en 2004, sa formation ayant subi une sévère défaite aux élections, et est alors nommé à la nouvelle Commission européenne qui entre en fonction en novembre 2004, sous la présidence de José Manuel Barroso. Il succède à Anna Diamantopoulou en tant que commissaire à l'Emploi, aux Affaires sociales et à l'Egalité des chances.

La directive « services »  : état des lieux

La directive « services » sera examinée pour la première fois en séance plénière du Parlement européen le 14 février (le vote étant prévu le 16 février). Lors du débat en commission parlementaire « Marché intérieur et consommateurs », en novembre dernier (9), une majorité de députés semblait s'orienter plutôt vers une clarification que vers une réécriture radicale du texte. Champ d'application limité. Le projet de directive présenté au vote des députés devrait exclure - sous réserve d'amendements de dernière minute - les services d'intérêt général (non économique), la santé, les jeux de hasard et loteries, l'audiovisuel dont le cinéma, les professions liées à l'exercice de l'autorité publique (notaires, avocats...). Mais les services d'intérêt économique général (SIEG) resteraient soumis au principe de libre circulation, sauf lorsqu'ils sont financés exclusivement par de l'argent public. Ce qui suscite quelques interrogations, la définition du « service économique » étant particulièrement large au niveau européen et pouvant englober certains services sociaux (10). Principe du pays d'origine conservé. Rebaptisé « principe de liberté d'offrir des services », il devrait permettre au prestataire d'obéir essentiellement aux conditions d'exercice de sa profession existant dans son pays d'origine et non dans le pays où il exercera son activité. Les Etats membres pourront cependant, au nom de l'ordre public, de la santé ou de l'environnement, imposer certaines mesures de protection. Cette solution diffère sensiblement de celle proposée par la social-démocrate allemande. Exception sociale. Une majorité de députés, toutes tendances confondues, semble en revanche d'accord pour supprimer tout conflit avec les règles européennes sur le détachement des travailleurs, la sécurité sociale ou la reconnaissance des qualifications. Nombre d'amendements votés en commission de l'emploi en juin dernier (11) seraient alors acceptés. Les entreprises ou organismes envoyant des salariés dans un autre pays, dans le cadre d'une prestation de services, devront alors respecter les règles du pays d'accueil (salaire minimum, temps de travail...). Calendrier. Après le vote en séance plénière, la Commission européenne indiquera quels amendements elle entend conserver et ceux qu'elle veut rejeter. Puis viendra l'examen, toujours en première lecture, par le conseil des 25 ministres de l'Industrie des Etats membres (la décision étant prise à la majorité qualifiée). Sauf accord complet sur le texte (ce qui semble difficile à atteindre), une deuxième lecture devrait avoir lieu, voire une troisième s'il n'y a toujours pas consensus entre les deux institutions. Le texte final ne pourrait donc pas être voté avant fin 2007. Et l'entrée en vigueur ne devrait alors pas se produire avant 2010, le texte prévoyant, pour l'instant, un délai de transposition de trois ans.

EFFERVESCENCE POUR INFLÉCHIR LE TEXTE

En France et en Europe, la mobilisation est forte pour limiter la portée de la directive. Le gouvernement français a, à l'issue du comité interministériel sur l'Europe qui s'est tenu la 6 février, insisté sur « quatre exigences »  : « la disparition de tout risque de dumping social, par l'exclusion du droit du travail de la directive, la préservation des services publics, la remise en cause du principe du pays d'origine dans la mesure où il porte atteinte à la protection des droits du travailleur et du consommateur, l'exclusion du champ d'application de la directive d'activités spécifiques participant à l'exercice de la puissance publique ou contribuant à la diversité culturelle ». En matière d'action sociale et médico-sociale, une trentaine d'organisations du secteur viennent d'interpeller les eurodéputés pour que les services sociaux et de santé d'intérêt général soient explicitement exclus du champ d'application du texte (12). La plate-forme des organisations non gouvernementales européennes du secteur social a, de son côté, lancé une campagne pour exclure les services sociaux d'intérêt économique général du périmètre de la proposition et a adressé une lettre dans ce sens à l'ensemble des députés européens (13). « Il ne suffit pas d'exclure les "services d'intérêt général ", puisqu'une grande proportion des services sociaux en Europe tombent dans la classification européenne des services d'intérêt "économique ", et, partant, constituent des "services d'intérêt économique général " », explique-t-elle. Elle redoute que la directive réduise « de manière significative la capacité qu'ont les autorités publiques à garantir un accès pour tous les usagers à des services sociaux de haute qualité et à promouvoir la cohésion sociale et territoriale, par le biais d'une réglementation nécessaire et proportionnée », crainte fondée plus précisément sur les dispositions relatives aux régimes d'autorisation et au principe du pays d'origine. Pour elle, « il convient d'exclure les services sociaux d'intérêt économique général de la directive, soit dans le cadre d'une exemption générale des services d'intérêt économique général, soit en tant que secteur spécifique, comme la commission "Marché intérieur" le propose pour les services de santé » .Quant à la confédération européenne des syndicats, qui regroupe la plupart des organisations de défense des salariés en Europe (notamment la CFDT, la CFTC, la CGT, FO et l'UNSA), elle appelle à une manifestation le 14 février à Strasbourg, et demande notamment que les services d'intérêt économique général soient exclus de la proposition et couverts par des règlements spécifiques de l'Union européenne.

C. G.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2403 du 15-04-05.

(2)  Voir ASH n° 2406 du 6-05-05 et n° 2403 du 15-04-05.

(3)  Voir ASH n° 2411 du 10-06-05.

(4)  Une feuille de route sur l'immigration légale a été fixée par la Commission européenne - Voir ASH n° 2436 du 30-12-05.

(5)  Voir ASH n° 2427 du 28-10-05.

(6)  Voir ASH n° 2369 du 23-07-04.

(7)  Retraites supplémentaires au sens français.

(8)  Voir ASH n° 2438 du 13-01-06.

(9)  Voir ASH n° 2431 du 25-11-05.

(10)  Voir ASH n° 2404 du 22-04-05.

(11)  Voir ASH n° 2416 du 15-07-05.

(12)  Voir ASH n° 2441 du 3-02-06.

(13)  Disponible sur www.socialplatform.org

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