Quelles pourraient être les conséquences financières de « l'arrêt Dellas » rendu le 1er décembre par la Cour de justice des Communautés européennes (1), qui a condamné le régime des heures d'équivalence pour les nuits passées en chambre de veille institué par le décret du 31 décembre 2001 ? Au pire, si le Conseil d'Etat annule ce texte avec effet rétroactif, et si tous les salariés concernés demandent les arriérés de salaires, il pourrait en coûter 858,5 millions d'euros sur cinq ans aux établissements sociaux et médico-sociaux concernés. Somme qui les obligerait à se retourner vers la tutelle qui assure leur financement, c'est-à-dire vers l'Etat.
Tel est du moins « l'ordre de grandeur » calculé, à la demande de l'administration (2), par l'Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, social et médico-social (Unifed). Il a été présenté le 30 janvier à la direction générale de l'action sociale (DGAS) et à la direction des relations du travail (DRT). Une précédente réunion entre techniciens et fonctionnaires avait permis, le 25 janvier, d'harmoniser les méthodes de calcul entre les syndicats d'employeurs afin de parvenir à un chiffrage « cohérent et sérieux », l'administration elle-même étant incapable d'avancer une estimation.
Les six membres de l'Unifed sont inégalement touchés, selon la taille des établissements adhérents et le type de public accueilli, les structures qui hébergent des adolescents étant celles qui recourent le plus à la « veille couchée ». Selon les évaluations de chacun, au Snasea, 500 établissements seraient concernés, pour un surcoût de 400 millions d'euros sur cinq ans ; à la Fegapei, 160 établissements pour 195 millions ; au SOP, 450 établissements pour 137,5 millions ; à la FEHAP, 550 établissements pour 120 millions ; à la Croix-Rouge, 7 établissements pour 6 millions. Aucun centre de lutte contre le cancer n'est concerné. Au total, 1 667 structures utiliseraient donc le régime des heures d'équivalence.
L'Unifed juge inévitable l'annulation du décret par le Conseil d'Etat. Elle plaide donc, dans le mémoire remis fin janvier à la Haute Juridiction, pour une décision sans effet rétroactif. Elle réfléchit aussi aux solutions de rechange qu'il faudrait adopter rapidement. Avec deux hypothèses pour l'instant. Soit l'embauche d'éducateurs qui ne travailleraient que de nuit en effectuant des « veilles debout ». Mais où les trouver alors qu'il y a déjà pénurie ? Soit l'embauche de surveillants de nuit, avec un éducateur d'astreinte, mais il faudrait que l'accord de branche sur les astreintes, déjà refusé trois fois par la tutelle pour des raisons de coût, soit enfin agréé, plaide l'organisation patronale.
De son côté, l'administration développe, semble-t-il, un point de vue différent dans le mémoire qu'elle a déposé devant le Conseil d'Etat. Interrogée par les ASH, elle refuse de communiquer. Mais, selon une source proche du dossier, la DRT estime que l'arrêt Dellas ne porte que sur la durée du travail, pas sur la rémunération. Il suffirait, à ses yeux, d'amender le mode de décompte des heures pour mettre le décret du 31 décembre 2001 en conformité avec la durée légale - 48 heures au maximum par semaine au plan européen, 44 selon l'accord de branche -, et le régime financier des heures d'équivalence pourrait perdurer.
La décision du Conseil d'Etat est attendue pour la mi-mars.
(1) Voir ASH n° 2433 du 9-12-05.
(2) Voir ASH n° 2438 du 13-01-06.