Amnesty international France a rendu public le 8 février son premier rapport sur la violence faite aux femmes (1), au lendemain du coup d'envoi d'une campagne de sensibilisation en France. Fruit d'un an d'enquête auprès des professionnels de terrain - médecins, travailleurs sociaux, juristes, avocats -, le document se veut être un état des lieux des réponses judiciaires et civiles à ce phénomène, qualifié par Amnesty d' « affaire d'Etat ». L'organisation en démontre les limites et appelle les pouvoirs publics à prendre la pleine mesure de cette violation des droits humains. Selon un recensement national des morts violentes survenues au sein du couple en 2003 et 2004, réalisé à la demande du ministère délégué à la cohésion sociale et à la parité, une femme meurt sous les coups de son partenaire tous les quatre jours en France (2). Une femme sur dix est victime de violence conjugale selon une enquête nationale publiée en 2003 (3).
Ces 20 dernières années, reconnaît l'organisation, ont permis plusieurs avancées, dont la reconnaissance, en 1994, de la violence au sein du couple comme circonstance aggravante et, en janvier 2005 - date d'entrée en vigueur de la loi réformant le divorce (4) -, l'attribution du domicile conjugal au conjoint non auteur des violences (sur les dernières consignes de Nicolas Sarkozy aux préfets, voir ce numéro). La réticence des victimes à dénoncer les infractions - 13 % seulement portent plainte -, la complexité des démarches et le manque d'accompagnement et d'hébergements restent pourtant des obstacles. « S'il existe des mesures et dispositions relatives à la lutte contre la violence au sein du couple, celles-ci sont disparates, morcelées et appliquées de façon hétérogène sur le territoire national », relève Amnesty.
L'organisation suggère des moyens pour mieux identifier le délit, notamment en homogénéisant l'évaluation de l'incapacité totale de travail, qui traduit difficilement les violences subies. Elle demande aussi une « meilleure articulation entre les procédures pénales et civiles » : les auteurs devraient être convoqués sans délai devant la justice, être éloignés du domicile si nécessaire, en même temps que la protection et le suivi de la victime devraient être organisés. Parmi les réponses judiciaires existantes, l'organisation émet « de sérieuses réserves » sur la mise en œuvre d'une médiation pénale, qui suppose que « les deux parties sont sur un plan d'égalité ».
Les autorités, ajoute-t-elle, devraient s'assurer que chaque département est doté d'une commission d'action contre les violences faites aux femmes et renforcer leur coordination au plan national. L'action des services de police et les dispositifs d'hébergement devraient être intégrés « dans une politique cohérente et coordonnée, tant au niveau national que local, de façon homogène », qui passerait par un plan d'action interministériel. Amnesty recommande également une campagne de sensibilisation et des structures d'hébergement adaptées pour lutter contre les mariages forcés .
Une autre série de propositions concerne les personnes prostituées (14 000 selon la direction générale de l'action sociale). Soulignant les contradictions de la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003, Amnesty demande que les victimes de la traite des êtres humains « ne soient pas sanctionnées pour des faits » comme le racolage ou le séjour irrégulier, et qu'elles bénéficient d'une protection adéquate et d'un titre de séjour de six mois minimum renouvelable, sans conditions.
Elle préconise par ailleurs de nommer, auprès de chaque corps de professionnels confrontés aux mutilations sexuelles féminines, des « personnes référentes » pour prévenir ce phénomène et de les informer sur « leur devoir de signalement ». En matière pénale, la prescription pour ces délits devrait être, selon elle, modifiée et la possibilité de poursuites par les juridictions françaises être étendue aux mutilations commises à l'étranger.
(1) Les violences faites aux femmes en France, une affaire d'Etat - Editions Autrement - Collection « Mutations » n° 241 - 15 €.
(2) Voir ASH n° 2431 du 25-11-05.
(3) Voir ASH n° 2232 du 12-10-01.
(4) Voir ASH n° 2360 du 21-05-04.